09 12 24

Mémoire, Noms, prénoms, titres et sobriquets

Oui, c’est le mar­quis, je pense, de qui le cer­veau, de même que le mien, se voit équi­pé de ce que le mar­quis, donc, appelle un sur­veillant de som­meil. Le sur­veillant de som­meil est mis en acti­vi­té sitôt que le mar­quis s’est lui-même mis au lit. Le mar­quis lit dans son lit (force lui est, au demeu­rant, de consta­ter que ce n’est plus jamais que dans son lit qu’il lit), et le sur­veillant de som­meil est, prin­ci­pa­le­ment, un sur­veillant de lec­ture, quoiqu’il puisse aus­si, mais de moins en moins fré­quem­ment pour celui qui nous occupe, fonc­tion­ner en mode de sur­veillance de pen­sée : le cas est deve­nu, en effet, excep­tion­nel où le mar­quis se couche assez repo­sé pour pou­voir encore voir venir la fatigue ; le mar­quis, dans le cas rare où il se couche repo­sé, lit un peu, voit, lisant, venir la fatigue, éteint la lumière, et, seule­ment alors met en acti­vi­té le sur­veillant de som­meil, avant d’entreprendre de pen­ser dans le noir. Dans le même temps que le mar­quis pense, le sur­veillant de som­meil ana­lyse ses pen­sées, non pas sous le jour de leur valeur intrin­sèque, laquelle demeure de l’exclusive com­pé­tence du mar­quis, mais sous celui seul de leur cohé­rence, en fonc­tion de quoi il les qua­li­fie­ra ou de diurnes ou de noc­turnes. Une pen­sée sitốt épin­glée comme noc­turne, le sur­veillant de som­meil aver­tit le mar­quis qu’il vient de s’endormir, et prend congé. Ainsi, cepen­dant, que nous l’avons dit, le cas le plus fré­quent est celui ou c’est déjà fati­gué que le mar­quis se met au lit, et lit. Ce sont phrases, alors, qu’examine le sur­veillant de som­meil, auto­ma­ti­que­ment déclen­ché. Sans doute même devrions-nous dire – puisque, enfin, sont d’ordinaire phrases elles-mêmes ces pen­sées que nous avons vu plus haut le sur­veillant de som­meil pou­voir avoir pour tâche d’analyser – qu’il ana­lyse des phrases lues, toute la ques­tion, qu’il lui faut résoudre, étant celle de savoir si le livre existe, ou s’il n’existe pas, dans lequel le mar­quis, selon, ou les lit ou croit les lire. S’il est patent que le livre n’existe pas, ou si, exis­tant pour­tant, ou pou­vant être appe­lé à l’existence (le point qui alerte le sur­veillant de som­meil peut être, en effet, l’irruption de l’un par­mi ces per­son­nages des­quels le mar­quis est le concep­teur unique ; or nous devons savoir, et du moins, quant à lui, le sur­veillant de som­meil sait-il, que le mar­quis ne se relit jamais ; à plus forte rai­son ne se relit-il pas au lit), ce livre ne peut être le livre que le mar­quis lit, c’est, alors, que le mar­quis, sinon dort, du moins s’endort. À la ques­tion de savoir à quoi réel­le­ment peut bien ser­vir un sur­veillant de som­meil, il est répon­du que, sans doute, en effet, non, il ne sert pas à grand-chose : à peine, nous l’avons vu, dans les cas de lec­tures lasses, dont nous savons aus­si qu’elles sont les plus fré­quentes, auto­rise-t-il – ins­truit par le sur­veillant de som­meil de ceci qu’il ne lit plus mais déjà, sinon tout à fait dort, du moins s’endort, le mar­quis dépose le livre, déchausse ses lunettes, et éteint la lumière – de tout de même assez modestes éco­no­mies d’énergie. En ce, tou­te­fois, qu’il per­met, ou bien à la phrase ou bien à la pen­sée près, de repé­rer l’instant de l’endormissement, il offre sur le tard de la vie ce que l’on se rap­pelle avoir répé­ti­ti­ve­ment ten­té d’atteindre dans l’enfance.