Oui, c’est le marquis, je pense, de qui le cerveau, de même que le mien, se voit équipé de ce que le marquis, donc, appelle un surveillant de sommeil. Le surveillant de sommeil est mis en activité sitôt que le marquis s’est lui-même mis au lit. Le marquis lit dans son lit (force lui est, au demeurant, de constater que ce n’est plus jamais que dans son lit qu’il lit), et le surveillant de sommeil est, principalement, un surveillant de lecture, quoiqu’il puisse aussi, mais de moins en moins fréquemment pour celui qui nous occupe, fonctionner en mode de surveillance de pensée : le cas est devenu, en effet, exceptionnel où le marquis se couche assez reposé pour pouvoir encore voir venir la fatigue ; le marquis, dans le cas rare où il se couche reposé, lit un peu, voit, lisant, venir la fatigue, éteint la lumière, et, seulement alors met en activité le surveillant de sommeil, avant d’entreprendre de penser dans le noir. Dans le même temps que le marquis pense, le surveillant de sommeil analyse ses pensées, non pas sous le jour de leur valeur intrinsèque, laquelle demeure de l’exclusive compétence du marquis, mais sous celui seul de leur cohérence, en fonction de quoi il les qualifiera ou de diurnes ou de nocturnes. Une pensée sitốt épinglée comme nocturne, le surveillant de sommeil avertit le marquis qu’il vient de s’endormir, et prend congé. Ainsi, cependant, que nous l’avons dit, le cas le plus fréquent est celui ou c’est déjà fatigué que le marquis se met au lit, et lit. Ce sont phrases, alors, qu’examine le surveillant de sommeil, automatiquement déclenché. Sans doute même devrions-nous dire – puisque, enfin, sont d’ordinaire phrases elles-mêmes ces pensées que nous avons vu plus haut le surveillant de sommeil pouvoir avoir pour tâche d’analyser – qu’il analyse des phrases lues, toute la question, qu’il lui faut résoudre, étant celle de savoir si le livre existe, ou s’il n’existe pas, dans lequel le marquis, selon, ou les lit ou croit les lire. S’il est patent que le livre n’existe pas, ou si, existant pourtant, ou pouvant être appelé à l’existence (le point qui alerte le surveillant de sommeil peut être, en effet, l’irruption de l’un parmi ces personnages desquels le marquis est le concepteur unique ; or nous devons savoir, et du moins, quant à lui, le surveillant de sommeil sait-il, que le marquis ne se relit jamais ; à plus forte raison ne se relit-il pas au lit), ce livre ne peut être le livre que le marquis lit, c’est, alors, que le marquis, sinon dort, du moins s’endort. À la question de savoir à quoi réellement peut bien servir un surveillant de sommeil, il est répondu que, sans doute, en effet, non, il ne sert pas à grand-chose : à peine, nous l’avons vu, dans les cas de lectures lasses, dont nous savons aussi qu’elles sont les plus fréquentes, autorise-t-il – instruit par le surveillant de sommeil de ceci qu’il ne lit plus mais déjà, sinon tout à fait dort, du moins s’endort, le marquis dépose le livre, déchausse ses lunettes, et éteint la lumière – de tout de même assez modestes économies d’énergie. En ce, toutefois, qu’il permet, ou bien à la phrase ou bien à la pensée près, de repérer l’instant de l’endormissement, il offre sur le tard de la vie ce que l’on se rappelle avoir répétitivement tenté d’atteindre dans l’enfance.
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