07 09 20

Trois consé­quences peuvent être uti­le­ment tirées du nomi­na­lisme his­to­rique. D’abord, toute his­toire est de quelque manière une his­toire com­pa­rée. Car les traits, rete­nus comme per­ti­nents, par rap­port aux­quels on décrit un fait indi­vi­duel, sont des uni­ver­saux ; par là, quand on trouve per­ti­nente et inté­res­sante l’exis­tence de sectes dans la reli­gion romaine, on est à même de dire si n’im­porte quelle autre reli­gion pré­sente ou non le même trait ; et, inver­se­ment, consta­ter qu’une autre reli­gion com­porte une théo­lo­gie amène à prendre conscience que la reli­gion romaine n’en com­porte pas et à s’é­ton­ner qu’elle soit ce qu’elle est. Ensuite, tout « fait » est entou­ré d’une marge de non-évé­ne­men­tiel impli­cite et c’est cette marge qui laisse la place de le consti­tuer autre­ment qu’on ne le fait tra­di­tion­nel­le­ment. Enfin, puisque le « fait » est ce qu’on le fait être si l’on a la sou­plesse exi­gée, la dis­ci­pline à laquelle l’his­toire pour­ra être com­pa­rée est la cri­tique lit­té­raire ; car on sait bien que ce que les manuels disent sur Racine est la moindre par­tie de ce qu’on pour­rait dire sur cet auteur ; cent cri­tiques qui écri­raient cent livres sur Racine les écri­raient tous plus dif­fé­rents, plus vrais et plus sub­tils les uns que les autres ; seuls les cri­tiques peu doués en res­te­raient à la vul­gate sco­laire, aux « faits ».

Comment on écrit l’his­toire
Seuil 1971
p. 69
factualité fait historique histoire historiographie nominalisme relativisme Veyne