18 01 16

Faut-il donc être comme tout le monde parce que la majo­ri­té détient réel­le­ment le bon­heur, ou sim­ple­ment parce qu’elle règne avec une telle féro­ci­té que, hors d’elle, on souffre encore plus que dedans ? Les péda­gogues ne répondent pas. Mais ils emploient les mots éga­li­té, san­té, jus­tice, liber­té, sagesse ; ils disent de quel côté toutes ces ver­tus existent ; ils disent que ce côté-là a la par­ti­cu­la­ri­té inat­ten­due d’être impla­cable avec les autres côtés ; ils ne disent pas que la clef du bon­heur humain, dans quelque socié­té qu’on se trouve, est d’ap­par­te­nir aux plus imbé­ciles, d’a­boyer avec les plus méchants et de secon­der les plus forts : mais, s’ils n’osent pas encore l’é­crire en toutes lettres, leurs élèves com­prennent très bien à demi-mot.
D’ailleurs, la féro­ci­té de cette majo­ri­té heu­reuse n’est sans doute qu’une pro­tec­tion légi­time de son bon­heur contre le petit nombre d’en­ra­gés qui essaient de lui nuire. Nos souf­frances viennent d’un défaut d’u­na­ni­mi­té dans les goûts, les com­por­te­ments, les aspects, les âges, les états : et donc tout ce qui peut apla­nir les dif­fé­rences est bon. Conditionnement géné­ral, bien sûr, iden­ti­té dans les actes que tous accom­plissent au même moment, dans les pen­sées, les indi­gna­tions, les admi­ra­tions, les rires que tous auront devant les mêmes choses, adop­tion des mêmes valeurs, éli­mi­na­tion des dis­cor­dances, gué­ri­son des révol­tés, sup­pres­sion des inadap­tables, réédu­ca­tion des non-pro­duc­teurs, pri­sons, asiles, hos­pices, mai­sons de la culture, mou­roirs pour les vieux, bar­be­lés pour les infirmes, pour­ris­soirs pour les immi­grés, péni­ten­ciers pour les orphe­lins, oubliettes où jeter tout homme dont la race, la cou­leur, l’âge, le pas­sé, l’ac­ti­vi­té, l’é­tat de san­té, les mœurs, les opi­nions, les habi­tudes, les refus souille­raient l’har­mo­nie des nor­maux. Cela, nous le fai­sons et on ne trouve que des nations sous-déve­lop­pées pour ne pas déte­nir encore tous ces ins­tru­ments de bon­heur. Seul notre condi­tion­ne­ment est impar­fait : cer­tains passent à côté de la forge. Qu’on remé­die à cela, et enfin règne­ront la concorde, la tran­quilli­té, la sûre­té des choses ; les géné­ra­tions à venir héri­te­ront d’une socié­té par­faite, et les cinq mil­liards d’an­nées qui nous séparent de la fin du monde se dérou­le­ront sans un heurt.
Si, la nuit, un impor­tun m’empêche de dor­mir avec son tapage, et que je pro­teste, et qu’il me dit que ce tapage est la plus belle musique de la terre, je répon­drai à juste titre que c’est l’heure du som­meil et non de la beau­té. Or le bon­heur, quant à lui, est un som­meil éter­nel. Rien de plus légi­time que de le pro­té­ger contre les malades atteints d’in­som­nie.
Je vois donc bien ce qui sépare la majo­ri­té heu­reuse et les mino­ri­taires : la pre­mière ne souffre que de l’exis­tence des seconds ; tan­dis que ceux-ci souffrent d’eux-mêmes et, pour une poi­gnée qu’ils sont, empêchent que règne un bon­heur una­nime. Voilà pour­quoi il faut res­sem­bler aux autres pour être heu­reux, et pour­chas­ser les dif­fé­rences pour le demeu­rer.
Ce que j’é­cris là montre aus­si que je me sous-estime, et que, lorsque je le veux, je suis capable de rai­son­ner aus­si bien que qui­conque. Serait-ce qu’en pré­ten­dant que mes vices sont ingué­ris­sables je cherche seule­ment une excuse, et qu’en réa­li­té je pour­rais, et même sans aucune aide, me redres­ser et reprendre la bonne voie ? Je n’ose pas répondre. J’ai plu­tôt l’im­pres­sion déso­lante qu’au nombre de mes per­ver­si­tés je cultive celle de m’i­ma­gi­ner nor­mal, et que, si je ne me cor­rige pas, c’est que je suis sin­cè­re­ment convain­cu de res­sem­bler déjà à n’im­porte qui. Mais pour­quoi suis-je si sou­vent le seul de cette opi­nion ? Il fau­dra bien des années avant que je le com­prenne.
Mes mau­vaises mœurs, pour ne par­ler que d’elles, me semblent infi­ni­ment banales, et je conçois sans peine une socié­té où on les impo­se­rait au nom de valeurs moyennes et des idées majo­ri­taires qui les condamnent dans la nôtre. Pas une retouche à faire.
Dans cette socié­té homo­sexuelle moyenne, petite-bour­geoise, le sens com­mun affir­me­rait, par exemple, que si l’homme est supé­rieur à l’a­ni­mal il doit se libé­rer de l’ins­tinct qui le pousse à for­ni­quer entre sexes comme les bêtes (le moindre batra­cien d’é­glise ou de cel­lule syn­di­cale peut com­prendre cet argu­ment-là). On ajou­te­rait qu’as­ser­vir l’a­mour à la pro­créa­tion n’est qu’une absur­di­té, puisque nul n’a jamais pas­sé, à se repro­duire, les soixante ou quatre-vingts ans de sen­sua­li­té dont il dis­pose à sa naissance.(cela se dit com­mu­né­ment dans notre socié­té à nous, je conti­nue). Ceux qui assi­milent le plai­sir à l’u­nique situa­tion où l’on engendre sont donc des idiots ou des fous. Et c’est à une qua­li­té plus éle­vée, plus éten­due de rela­tions que doit ser­vir cet immense réser­voir de désir amou­reux dont seule l’hu­ma­ni­té a été pour­vue, nul ne sait pour­quoi. On dit encore que l’ac­cou­ple­ment ravale la femme au rang d’ob­jet et de vic­time ; qu’on abuse d’elle en uti­li­sant les par­ti­cu­la­ri­tés mor­pho­lo­giques qu’elle a héri­tées de notre pas­sé bes­tial ; que c’est une mons­truo­si­té d’in­fli­ger une péné­tra­tion à un être humain qui ne pour­ra pas vous le rendre, ni aujourd’­hui ni jamais. Voilà la théo­rie morale : elle ne contient ni extra­va­gances ni sophismes inédits. Le reste est, bien enten­du, affaire de choix de socié­té. On décide que, pour éman­ci­per l’homme et la femmes des hor­reurs inéga­li­taires du coït, et pour détour­ner au pro­fit de l’u­ni­té sociale nos dési­rs trop abon­dants, il faut impo­ser l’ho­mo­sexua­li­té de masse. Une légis­la­tion fon­dée sur ces prin­cipes répri­me­ra donc le crime de bes­tia­li­té, c’est-à-dire les actes hété­ro­sexuels. (Après quelques siècles de mises à mort, de psy­chia­trie et de pro­pa­gande sans relâche, on libé­ra­lise un peu, comme il se doit.)
Par ailleurs, en repre­nant l’a­pho­risme d’un illustre bio­lo­giste, on dira que l’a­dulte est seule­ment la forme que l’en­fant est contraint d’a­dop­ter pour se repro­duire. Et, si l’hy­giène fait que, au lieu de mou­rir peu d’an­nées après être tom­bés dans l’é­tat adulte, nous y vivons beau­coup plus long­temps que dans l’autre, nous ne devons pas oublier où se trouve le comble des per­fec­tions humaines : intel­li­gence, liber­té, inven­tion, socia­bi­li­té, esprit com­mu­nau­taire, gaie­té, bon­té, cou­rage, spon­ta­néi­té, géné­ro­si­té, dou­ceur, malice, richesse affec­tive, soli­da­ri­té, loyau­té, beau­té, etc., à savoir dans l’en­fance. Tout indi­vi­du de moins de treize ou qua­torze ans est donc le modèle de ce qu’il faut aimer après cet âge. Les adultes des deux sexes ont per­mis­sion d’in­fan­ti­li­ser leur per­sonne : notam­ment déco­lo­rer, bou­cler leurs che­veux, les rendre fins, soyeux et doux, se far­der pour avoir de grands yeux expres­sifs, de longs cils tendres, se rou­gir les pom­mettes et les lèvres pour affi­cher les cou­leurs du pre­mier âge, s’é­pi­ler le visage et le corps, se pon­cer la peau, la racler, la mas­ser, la hâler, amin­cie et assou­plir leur chair, se laver à lon­gueur de jour pour atté­nuer l’o­deur adulte, per­cher haut leur voix, la modu­ler dans tous les timbres, tré­pi­gner et hur­ler d’un ton sau­gre­nu, copier la jus­tesse, l’in­no­cence et la viva­ci­té des gestes enfants, des poses enfan­tines, des façons enfan­tines de se cou­cher, s’as­seoir, man­ger, regar­der, répondre, rire, pleu­rer, étreindre ; adop­ter des mimiques exces­sives ou menues, can­dides ou per­verses, bêtasses ou rêveuses, sen­suelles ou mutines : bref, cari­ca­tu­rer l’en­fance, comme les femmes seule­ment y sont contraintes dans notre socié­té à nous.
(Et on sait quel objet de désir elles sont quand elles y par­viennent bien ; quelles redou­tées ou délais­sées, au contraire, si elles ont l’air adulte.)
On se repro­duit par insé­mi­na­tion pla­ni­fiée, l’ho­mo­sexua­li­té étant (aucun savant ne nie­rait cela) un moyen de contrô­ler les nais­sances infi­ni­ment plus com­mode et sûr que les pilules de l’ouest ou des mar­teaux de l’est. Les enfants ne sont à per­sonne les adultes qui ayant accep­té de don­ner leur sperme ou de prê­ter leur uté­rus, gardent pour eux les enfants qu’ils ont faits, sont accu­sés d’in­fan­ti­cide et mis à mort. La stu­pi­di­té ani­male illustre qu’au­cun esprit ne peut pro­gres­ser dans un cercle aus­si étroit que celui des géni­teurs. Donc, si on veut épa­nouir un enfant, il faut qu’il soit libre d’al­ler où il veut, par­ler à qu’il veut, et qu’à tra­vers des cen­taines de ren­contres, de bavar­dages, d’as­so­cia­tions, d’i­ni­tia­tives, de risques, d’ex­pé­riences, d’hé­ber­ge­ments, d’a­mi­tiés avec des gens de tout âge, toute culture, tout lieu, toute race, tout métier, il puisse mettre son esprit à la mesure de la socié­té. Lui refu­ser cela, c’est l’as­sas­si­ner, en faire un cré­tin qui craint les autres, qui ne sait pas se gou­ver­ner, qui n’a­per­çoit pas les liens entre les choses, qui n’a aucune lumière sur la vie sociale et ne pour­ra four­nir aucune solu­tion juste aux pro­blèmes qu’elle pose, qui est figé dans la misé­rable occu­pa­tion à laquelle il s’ac­croche, et que toute dif­fé­rence, toute nou­veau­té rend méchant, tout objet rend pos­ses­sif, tout désir rend replié et sour­nois. C’est pour­quoi on assi­mile à des meur­triers (et un tel enfant vaut même moins qu’un cadavre) les adultes qui se livrent au crime de recons­ti­tu­tion de famille.
Une fois cette civi­li­sa­tion bien en place, elle admet qu’une mino­ri­té, inca­pable de s’é­le­ver jus­qu’à la pédé­ras­tie, pour­ra recher­cher libre­ment des plai­sirs hété­ros entre adultes, sans qu’il s’a­gisse d’un délit. Bien sûr, il fau­dra s’en cacher. Mais on recon­naît faci­le­ment les hété­ros : ça se sent. Lorsqu’ils vous regardent, il y a dans leurs yeux un mélange de honte, de dis­si­mu­la­tion et de convoi­tise, quelque chose de faux et de gêné. Sont-ils avec des hommes, ils n’ob­servent que les femmes qui passent – et, s’il s’a­git de femmes, elles dévi­sagent les mâles juste comme un mâle le ferait, mais avec un air moite et piteux. On rejette ces citoyens débau­chés ; s’ils vous accostent, on les dénonce, les inju­rie ou les cor­rige ; si deux d’entre eux se tiennent ensemble, on les moque, on les répri­mande, on les menace et les dissocie,on les met en qua­ran­taine, on les exclut du groupe. En dépit de cela, ils semblent mal à l’aise : aucune fran­chise en eux, aucune clar­té, aucun natu­rel, aucune rela­tion déten­due, ouverte et confiante avec autrui ; ils ne s’in­tègrent à rien.
Quand ils se ras­semblent dans leurs réduits spé­ciaux, ils paro­dient gro­tes­que­ment, les femmes, en se fémi­ni­sant, la coquet­te­rie des poules, les hommes, en se viri­li­sant, la lour­deur des gorilles. Ils ont besoin de ces tra­ves­tis pour se dési­rer, car ils ne sont même pas convain­cus d’être dési­rables les uns pour les autres. C’est aus­si leur haine mala­dive des normes homo­sexuelles, la peur panique qu’ils res­sentent devant les gens de leur sexe, qui leur ins­pirent ces dégui­se­ments, ces gri­maces, sans les­quels hommes et femmes se res­semblent trop : or hété­ro veut dire « autre », d’a­près le grec hete­ros (ils se servent du grec), et les voi­là à se fabri­quer des dif­fé­rences pour être sûrs qu’ils pra­tiquent bien leur vice et non l’a­mour nor­mal.
On ima­gine quelle indi­gence sexuelles, affec­tive et intel­lec­tuelle pro­duit cette obli­ga­tion de se fal­si­fier pour être cha­cun le pré­ten­du contraire de l’autre : comme des fous qui déci­de­raient, pour s’as­so­cier, de n’u­ti­li­ser l’un que sa jambe et son bras gauches, l’autre que sa jambe et son bras droits, bien qu’ils aient tous leurs membres.
Ces infir­mi­tés les rendent inaptes à com­prendre autrui (ils se ‚pré­tendent hété­ro­philes, mais l’autre leur paraît tou­jours effrayant et loin­tain) et à effec­tuer la plu­part des tâches col­lec­tives : car ils divisent tout ce qu’ils touchent. Parmi les objets, les idées, les sen­ti­ments, les actes, les plus malades dis­cri­minent même une part qui serait réser­vée à un sexe et une part qui serait des­ti­née à l’autre. Il suf­fit de quelques hété­ros non dépis­tés dans un groupe pour que l’or­ga­ni­sa­tion homo­sexuelle du tra­vail tombe en ruine, au déses­poir de cha­cun, jus­qu’à ce qu’on retrouve la cause et qu’on expulse les divi­seurs.
Ils mani­festent en géné­ral un grand mépris des enfants, et ont le réflexe bes­tial de vou­loir les domi­ner et se les appro­prier. Ils n’hé­sitent pas à leur don­ner des ordres, et même à les frap­per. Ces crimes, ces influences rendent les jeunes inca­pables d’a­gir de façon res­pon­sable dans la socié­té : on montre ici et là quelques tarés ser­viles, ignares et agres­sifs, qui furent autre­fois vic­times des hété­ros.
En contre­par­tie, leurs infir­mi­tés aident à les détec­ter pré­co­ce­ment. Voit-on, par­mi les enfants, un lou­bard qui n’aime rien, ne sent rien, tyran­nise les autres ou cher­cher mania­que­ment à leur obéir, une fillette qui fait les éva­po­rées et des fautes d’or­tho­graphe, un rechi­gneur ou une mijau­rée qui ne s’ac­couplent jamais à per­sonne, aus­si­tôt un exa­men psy­cho­lo­gique per­met d’en connaître la rai­son, qui heu­reu­se­ment n’est pas tou­jours aus­si affreuse que l’hé­té­ro­ma­nie. Car elle est ingué­ris­sable les chocs élec­triques ou la lobo­to­mie fron­tale la sup­priment, mais ils pro­voquent une déchéance men­tale défi­ni­tive : les malades en deviennent plu­tôt débiles qu’­ho­mo­sexuels véri­tables.
Pour évi­ter que les hété­ros invé­té­rés conta­minent la socié­té nor­male, on leur accorde quelques bars ou boîtes de nuit où ils peuvent se réunir. Toutefois, police et voi­sins les impor­tunent assez pour qu’ils aient peur de s’y rendre, les plus riches ou les plus débau­chés mis à part. On ratisse les lieux de ren­contre qu’ils impro­visent dans la ville : jar­dins, gares, hôtels borgnes, fêtes foraines. On a dû détruire quan­ti­té d’u­ri­noirs publics parce que, pro­fi­tant de l’a­no­ny­mat et de la rapi­di­té des pas­sages, hommes et femmes hété­ros y voyaient un moyen effi­cace et sans risques de se ren­con­trer, de se recon­naître, de s’ex­hi­ber les uns aux autres leurs organes sexuels, et même d’as­sou­vir leurs appé­tits trop long­temps réfré­nés. Quel citoyen nor­mal choi­si­rait de réfu­gier ses plai­sirs dans un endroit aus­si dégoû­tant ? Mais les hété­ros ont per­du toute digni­té, n’im­porte quelle solu­tion les contente, tout expé­dient les attire, et même, plus le moyen est pré­caire, abais­sant et mal­propre, plus il les délecte.
La police envoie, dans les uri­noirs qui res­tent en place, des pro­vo­ca­teurs qui font sem­blant d’être hété­ros. Cela per­met d’emprisonner quelques per­vers : puis­qu’au­cune loi ne condamne leur exis­tence, il faut bien inven­ter d’autres moyens de les sou­mettre à la jus­tice. L’Intérieur s’y emploie.
Bien sûr, on leur inter­dit de s’af­fi­cher ensemble, l’exemple serait trop dan­ge­reux pour la jeu­nesse. Et le spec­tacle de ces hommes pre­nant des femmes par la main ou le cou sou­lè­ve­rait le cœur des pas­sants. Il y aurait vite une rixe, un trouble, une bagarre. Certes, ils peuvent cir­cu­ler dehors, et mêmes à deux s’ils y tiennent : en effet, s’ils ne se regardent pas, ne se touchent pas, ne s’embrassent pas, évitent toute parole et tout geste équi­voques, ils n’ont pas de repré­sailles à redou­ter. Cette contrainte minime ne pèse sur eux que de leur enfance à leur mort : et cepen­dant elle les rend fourbes, et obsé­dés d’é­treintes, de tri­po­tages. Ils n’y mettent aucun égard et, loin de pra­ti­quer cette cour aimable et ces ten­dresses dont l’a­mour homo­sexuel orne si joli­ment nos bancs publics, nos cafés, nos métros, les hété­ros se jettent les uns sur les autres comme des ani­maux. Dieu mer­ci, c’est en cachette.
Dès les pre­miers temps de la vie, dès les pre­mières per­sonnes qui se penchent sur le ber­ceau des nou­veau-nés, qui les caressent, les mas­turbent, cha­touillent leur anus incon­trô­lé, on donne aux enfants l’ha­bi­tude des contacts homo­sexuels. Il faut être vigi­lant, et ne rien ména­ger pour que leur éro­tisme puisse sur­mon­ter la génia­li­té bes­tiale. On leur parle de leur corps, de leur beau­té, on leur fait appré­cier la dou­ceur des mots obs­cènes, o les mélange à beau­coup de citoyens de tout âge afin qu’ils s’ac­cou­tument à la plu­ra­li­té et à déter­mi­ner eux-mêmes les com­pa­gnies qu’ils pré­fèrent. Toutefois, s’ils paraissent s’at­ta­cher trop à des repré­sen­tants de l’autre sexe, on brise au plus vite ces ami­tiés dan­ge­reuses.
Plus tard, il s découvrent que les plai­sirs homo­sexuels sont le ciment de toute har­mo­nie et de toute acti­vi­té. On les met sévè­re­ment en garde contre les rela­tions exclu­sives de couple, sur­vi­vance anti­so­ciale de l’hé­té­ro­ma­nie, vice nar­cis­sique et bor­né. On les habi­tue à mêler le plai­sir amou­reux aux cir­cons­tances col­lec­tives où la vie les place, tra­vail, culture, loi­sirs. Chaque année, on récom­pense (éloges, bon­bons, cou­ronne de roses) les enfants qui ont fait l’a­mour avec le plus grand nombre de citoyens (dont une pro­por­tion équi­table de par­te­naires laids, infirmes ou gâteux), et don­né par là à cha­cun l’exemple d’une par­faite adap­ta­tion de leur sexua­li­té au devoir civique. Ainsi, il ne vient à per­sonne l’i­dée immonde de pri­va­ti­ser le sexe, de se refu­ser à autrui ou de res­ter chaste.
On pré­vient les enfants contre les ridi­cules de la viri­li­sa­tion et de la fémi­ni­sa­tion ; on leur dit quelle déchéance les menace s’ils deviennent hété­ros, quelle infé­rio­ri­té, quel iso­le­ment. On leur apprend à recon­naître les per­vers et déjouer leurs invites. Du pre­mier mot qu’ils entendent et jus­qu’à l’âge adulte, toutes les conver­sa­tions, tous les livres les jouets, les films et les des­sins ani­més, les jour­naux, toutes les bandes des­si­nées, les émis­sions télé­vi­sées, les publi­ci­tés, tous les ensei­gne­ments de toutes les dis­ci­plines incitent les jeunes à l’ho­mo­sexua­li­té et leur font mépri­ser et haïr l’in­verse.
Les adultes, quant à eux, abordent par­fois la ques­tion sca­breuse des « mino­ri­tés sexuelles ». Il faut savoir en par­ler. Certains se flattent d’a­voir des amis hété­ros, mais cette affec­tion de tolé­rance leur sert sou­vent à dégui­ser leur propre per­ver­sion. En contre­par­tie, c’est sur l’ho­mo­sexua­li­té et la pédo­phi­lie que res­tent cen­trée, là encore, toute la com­mu­ni­ca­tion humaine : livres, films, télé­vi­sion, radio, jour­naux, uni­ver­si­té, sciences, phi­lo­so­phie, sexo­lo­gie, pho­to­gra­phie, pein­ture, sports, docu­ments sur les chefs d’État, les grands hommes et grandes femmes, inter­views, théâtre, mime, por­no­gra­phie, la mode, les jeux, les vacances, la phi­la­té­lie, la gas­tro­no­mie, la reli­gion, l’é­le­vage des puces, l’art offi­ciel et les recherches mar­gi­nales. Grâce à quoi les membres de cette socié­té auraient peine à trou­ver dans leur esprit ou dans leur corps la plus infime trace de désir pour le sexe oppo­sé, et sont donc una­ni­me­ment convain­cus que l’ho­mo­sexua­li­té est dic­tée par la Nature – celle du genre humain.

Journal d’un inno­cent
Minuit 1976
éducation genre hétérosexualité homosexualité majoritaire majorité pédophilie