19 01 16

Roubaud, Le grand incendie de Londres

De mes lignes mati­nales j’ac­croche la lumière mon­tante, et les autres affrontent la lumière qui dimi­nue. Moi, je me sens sem­blable à l’er­mite de l’é­nigme : ima­gi­nez, dit l’é­nigme, un ermite. Il se lève à l’aube, avec le soleil. Il monte sur le che­min pous­sié­reux jus­qu’au som­met de la col­line. Il arrive en haut au soleil cou­chant. Il passe la nuit en prières et le len­de­main, avec le soleil nou­veau, il redes­cend pour arri­ver le soir dans la plaine. Montrez (telle est l’in­jonc­tion de l’é­nigme) qu’il y a un endroit sur son che­min où il est pas­sé à la même heure en mon­tant et en des­cen­dant.
La solu­tion, quand on y pense, est assez simple : inven­tez, nous dit-on, un ermite fan­tôme qui se lève à l’aube du second jour, en bas, au moment où l’er­mite (réel) com­mence sa des­cente : sup­po­sez que l’er­mite fan­tôme suit pas à pas, à la même allure exac­te­ment, l’er­mite mon­tant, le pre­mier jour, sur le che­min (c’est son double).
C’est le même che­min. L’ermite qui des­cend et l’er­mite ombre qui monte ne vont-ils pas se croi­ser ? N’est-ce pas là, en ce point de leur ren­contre, le lieu de la solu­tion ?
Pensez, vous, que l’er­mite fan­tôme de l’é­nigme est un ermite de mémoire : que dans la lumière du soir, la lumière des­cen­dante, elle, Alix, ma femme, accom­pagne ma prose lente sur son che­min de papier. Pensez, si vous lisez, peut-être long­temps après la pre­mière, la der­nière branche de mon récit, que quelque part nos images coïn­cident.

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chap. 1  : « La lampe »
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p. 32