Une liste – une liste de courses, par exemple – a généralement l’aspect d’une bande verticale de mots écrits les uns sous les autres, sur une feuille volante ou un bout de papier quelconque. L’idée de bande est inscrite dans le mot. Bande à part, pourrait-on dire, la liste est en marge du langage articulé en phrases ou en vers. Il est rare qu’y figurent des verbes conjugués. Parfois des infinitifs (passer chez le cordonnier), rarement des articles, peu d’adjectifs, pas de ponctuation, pas d’adverbes ni de prépositions.
Une liste n’est pas un poème ; ni bien sûr, une prose. Elle peut être le texte d’une chanson, comme chez Nino Ferrer. Elle n’est pas un inventaire parce qu’un inventaire se veut exhaustif. Elle n’est ni une série ni une suite, ni une énumération. Quand on a fait le tour de ce qu’une liste n’est pas, on peut dire qu” une liste est une liste et pas autre chose. Toute liste est autonome et chaque élément de la liste est autonome, de sorte qu’on peut permuter les éléments d’une liste sans que la liste en soit affectée, ce qui n’est pas le cas pour une suite ou une série.
Une liste est sans commencement ni fin : à tout moment, en fonction des besoins, on peut l’allonger, la raccourcir ou y injecter des éléments nouveaux. une liste est discontinue mais les éléments qui la constituent ne sont pas pour tant des fragments. Une liste peut se lire de haut en bas, de bas en haut ou dans la désordre. En faisant ses courses au supermarché, on ne suit pas forcément l’ordre de la liste, sauf si on a pensé la liste en fonction du parcours à suivre.
Bien qu’écrite par quelqu’un, une liste est sans auteur. Elle est personnelle. Je suis le seul à comprendre la logique de ma liste et à pouvoir en faire quelque chose. Supposons que je trouve, abandonnée dans un caddy(r), la liste des courses de quelqu’un d’autre, je ne peux rien en faire. Une liste est un secret.
Quel est le temps d’une liste ? L’infinitif présent. Celui qui fait des listes est un annaliste, pas un historien. Il n’explique pas l’enchaînement des événements. Il juxtapose des données, à plat, sans établir de relations de cause à effet entre elles. Telle année, on retiendra : une éclipse, une inondation, une victoire miliaire, une disette, etc.
Mais le point le plus remarquable, c’est qu’au fur et à mesure qu’on fait ses courses et qu’on remplit son caddy(r), on peut rayer les mots de la liste. Toute liste contient le projet de son effacement. Toute liste est utile, à un moment donné. Mais elle est toujours éphémère.
19 01 16
Hocquard, ma haie
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« Cette histoire est la mienne (petit dictionnaire autobiographique de l’élégie) »
ma haie
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p. 482