La première personne est d’abord une manière de dire : présent — comme on dit « présent » en classe, au moment de l’appel. Allow me to introduce myself. Or il a fallu que je gagne mon présent. J’ai été élevé à l’idée de la discrétion, nourri au Beckett ou au Bartleby… Mais j’ai bien dû constater ce que cela pouvait produire de rhétorique, de posture, de prêchi-prêcha. Ça finit par donner du basique ressassé. Le majeur du mineur. Il y a là un problème qu’il faudrait examiner dans tous les arts, dans toutes les dimensions politiques et humaines : comment, à un moment donné, une idée magnifique passe de l’autre côté, comment une idée bienfaitrice devient une idée idiote.
Pour moi, les choses s’inversent au moment de L’art poetic’. J’y exécute le programme de la disparition, mais d’une certaine manière, je sors du littéraire, et c’est loin d’être fini. Mais curieusement, à partir de là, je suis sauvé, j’ai fait mon chemin de Damas. Je me suis mis de l’autre côté de la langue. J’aurai donc mis quinze ans, avant de publier, à me débarrasser de tout ce verbiage sur « la littérature », à me désurmoïser — paradoxe : à désurmoïser l’idée de disparaître, l’idée d’être un sous-moi. À bas la tyrannie de l’effacement ! C’est ça mon sujet.
19 01 16
Cadiot, Cap au mieux (entretien avec Philippe Mangeot & Pierre Zaoui
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« Cap au mieux (entretien avec Philippe Mangeot & Pierre Zaoui) »
, vol. 45
, Vacarme n° 4
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p. 4–12
, lien