19 01 16

La pre­mière per­sonne est d’abord une manière de dire : pré­sent — comme on dit « pré­sent » en classe, au moment de l’appel. Allow me to intro­duce myself. Or il a fal­lu que je gagne mon pré­sent. J’ai été éle­vé à l’idée de la dis­cré­tion, nour­ri au Beckett ou au Bartleby… Mais j’ai bien dû consta­ter ce que cela pou­vait pro­duire de rhé­to­rique, de pos­ture, de prê­chi-prê­cha. Ça finit par don­ner du basique res­sas­sé. Le majeur du mineur. Il y a là un pro­blème qu’il fau­drait exa­mi­ner dans tous les arts, dans toutes les dimen­sions poli­tiques et humaines : com­ment, à un moment don­né, une idée magni­fique passe de l’autre côté, com­ment une idée bien­fai­trice devient une idée idiote.
Pour moi, les choses s’inversent au moment de L’art poe­tic’. J’y exé­cute le pro­gramme de la dis­pa­ri­tion, mais d’une cer­taine manière, je sors du lit­té­raire, et c’est loin d’être fini. Mais curieu­se­ment, à par­tir de là, je suis sau­vé, j’ai fait mon che­min de Damas. Je me suis mis de l’autre côté de la langue. J’aurai donc mis quinze ans, avant de publier, à me débar­ras­ser de tout ce ver­biage sur « la lit­té­ra­ture », à me désur­moï­ser — para­doxe : à désur­moï­ser l’idée de dis­pa­raître, l’idée d’être un sous-moi. À bas la tyran­nie de l’effacement ! C’est ça mon sujet.

« Cap au mieux (entre­tien avec Philippe Mangeot & Pierre Zaoui) »
vol. 45
Vacarme n° 4
2008
p. 4–12
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