02 04 16

L’essai doit faire jaillir la lumière de la tota­li­té dans un trait par­tiel, choi­si déli­bé­ré­ment ou tou­ché au hasard, sans que la tota­li­té soit affir­mée comme pré­sente. Il cor­rige le carac­tère contin­gent ou sin­gu­lier de ses intui­tions en les fai­sant se mul­ti­plier, se ren­for­cer, se limi­ter, que ce soit dans leur propre avan­cée ou dans la mosaïque qu’elles forment en rela­tion avec d’autres essais ; et non en les rédui­sant abs­trai­te­ment à des uni­tés typiques extraites d’elles. « Voilà donc ce qui dis­tingue l’es­sai du trai­té. Pour écrire un essai, il faut pro­cé­der de manière expé­ri­men­tale, c’est-à-dire retour­ner son objet dans tous les sens, l’in­ter­ro­ger, le tâter, le mettre à l’é­preuve, le sou­mettre entiè­re­ment à la réflexion, il faut l’at­ta­quer de dif­fé­rents côtés, ras­sem­bler ce qu’on voit sous le regard de l’es­prit et tra­duire ver­ba­le­ment ce que l’ob­jet fait voir dans les condi­tions créées par l’é­cri­ture. » (Max Bense, Über den Essay und seine Prosa) Le malaise que cause cette pro­cé­dure, le sen­ti­ment qu’on pour­rait conti­nuer ain­si indé­fi­ni­ment selon son caprice, tout cela est à la fois vrai et non vrai. C’est vrai parce que en fait l’es­sai ne conclut pas et que son inca­pa­ci­té à conclure appa­raît comme une paro­die de son propre a prio­ri ; on l’ac­cuse alors de ce dont sont cou­pables en réa­li­té ces formes qui effacent toutes les traces de caprice. Mais ce malaise n’est pas vrai, parce que la constel­la­tion de l’es­sai n’est tout de même pas si arbi­traire que se le figure le sub­jec­ti­visme phi­lo­so­phique qui trans­porte la contrainte de la chose dans celle de l’ordre concep­tuel. […] L’essai se révolte contre l’oeuvre majeure, qui reflète celle de la créa­tion et de la tota­li­té.

« L’essai comme forme »
Notes sur la lit­té­ra­ture [1954–1958]
trad. Sibylle Muller
Flammarion 1984
p. 21
constellation essai majeur méréologie mineur multiple objet pan/olon tout et partie