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Ce qui manque aux pay­sages amé­ri­cains, [… c’est] le fait que sur eux la main de l’homme n’a pas lais­sé de traces. Ce n’est pas seule­ment qu’il n’y a guère de champs labou­rés et que les bois n’y sont sou­vent que des taillis non défri­chés ; ce sont sur­tout les routes qui donnent cette impres­sion. Elles coupent le pay­sage sans jamais aucune tran­si­tion. Plus on les a tra­cées larges et plates – moins leur chaus­sée lui­sante semble à sa place dans cet envi­ron­ne­ment d’une végé­ta­tion trop sau­vage et plus elle semble lui faire vio­lence. Ces routes n’ont pas d’expression. On n’y voie nulle trace de pas ni de roues, entre elles et la végé­ta­tion il manque la tran­si­tion d’un che­min de terre meuble qui les longe et il n’y a pas non plus de sen­tiers par­tant laté­ra­le­ment vers le fond de la val­lée : il leur manque ain­si cette dou­ceur apai­sante et ce poli qu’ont les choses où la main et les outils qui la pro­longent direc­te­ment ont fait leur œuvre. De ces pay­sages, on serait ten­té de dire que per­sonne ne leur a pas­sé la main dans les che­veux. Ils sont incon­so­lés et déso­lants.

Minima Moralia : réflexions sur la vie muti­lée [Minima Moralia : Reflexionen aus dem bes­chä­dig­ten Leben, 1951]
Eliane Kaufholz & Jean-René Ladmiral
Payot 2003
p. 45–46
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