29 12 16

Le mode de trans­mis­sion ne compte pas ; la parole est un simple miroir ; par la parole, les Grecs enten­daient le mythe, le lexique ou plu­tôt l’é­ty­mo­lo­gie, la poé­sie, les pro­verbes, bref tout ce qui « se dit » et parle tout seul (puisque nous ne fai­sons que le répé­ter). Dès lors, com­ment la parole pour­rait-elle par­ler de rien ? On sait quel gros pro­blème a été l’exis­tence du néant pour la phi­lo­so­phie grecque jus­qu’à Platon : c’est un autre symp­tôme de ce « dis­cours » du miroir que nous venons de retrou­ver dans le pro­blème du mythe. Pour se trom­per, men­tir ou par­ler à vide, il faut par­ler de ce qui n’est pas ; il faut donc que ce qui n’est pas soit, pour qu’on puisse en par­ler ; mais qu’est-ce qu’un néant qui n’est pas rien ? Platon se résout à fran­chir le cap, à tuer « notre père Parménide » et, par un coup de force aus­si grand que celui par lequel les mathé­ma­ti­ciens grecs venaient d’ad­mettre l’exis­tence de nombres non nom­brables (les fameux « irra­tion­nels »), à admettre que le non-être est. Nous nous éton­nons que l’ef­fort ait dû être si grand ; mais, si la parole est un miroir, la dif­fi­cul­té se com­prend : com­ment un miroir pour­rait-il reflé­ter un objet qui n’est pas là ? Refléter ce qui n’est pas, cela revient à ne pas reflé­ter ; inver­se­ment, si le miroir reflète un objet, cet objet existe : donc le mythe ne sau­rait par­ler de rien. Conclusion : nous sommes sûrs d’a­vance que le mythe le plus naïf aura un fond de véri­té (…)
Refléter le néant, c’est ne pas reflé­ter ; reflé­ter le brouillard, ce sera pareille­ment reflé­ter confu­sé­ment : quand l’ob­jet est trouble, le miroir l’est aus­si. Les degrés du savoir seront donc paral­lèles à ceux de l’être ; tout le pla­to­nisme est là.

Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?
Seuil 1983
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