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« Maintenant, je suis un cos­taud. Maintenant, quelque épreuve que le sort me réserve, je l’af­fron­te­rai, je me mesu­re­rai à elle, et j’i­rai à sa ren­contre avec confiance et impé­tuo­si­té. J’ai l’im­pres­sion de pou­voir en découdre avec le monde entier, ou avec la moi­tié du monde au moins. Imagination, illu­sion, constel­la­tion mer­veilleuse ! Mon humeur est gran­diose. J’ai l’en­vie et la force de vivre, main­te­nant, vrai­ment, c’est à écla­ter de rire. Je m’emballe ! J’aimerais par-des­sus tout être un che­val sau­vage et filer au galop dans les pays radieux. C’est qu’il est divi­ne­ment beau, le monde, céles­te­ment beau. Quelle jubi­la­tion ! Je ne com­prends plus les angoisses, plus les craintes. La vie est une rose, et je veux me van­ter et croire que je réus­si­rai à la cueillir, cette rose. Dans mon rou­le­ment de ton­nerre, la terre se jette à mes pieds. Le ciel, çà et là, montre un timide petit coin de bleu. Je veux prendre cela comme un signe pro­pice. Monde : à nous deux. Je sors d’une expé­rience, et main­te­nant je voyage, je galope, je roule et me pro­mène vers d’autres expé­riences, plus loin­taines. Vie intense et expé­rience intense, je vous sou­haite la meilleure des bien­ve­nues. Voilà ce qui est beau : sup­por­ter, souf­frir quelque chose. Pour qui l’en­dure avec sin­cé­ri­té, avec fer­me­té, la vie devient un jeu d’en­fant. Jetons-nous dans les vagues comme un bon nageur intré­pide. Il me semble que je viens de sur­mon­ter un cer­tain nombre d’é­preuves et qu’à pré­sent, à grandes enjam­bées, le regard assu­ré, je peux aller de l’a­vant. »

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« Tobold » Petite prose [1917]
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trad.  Marion Graf
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p. 192–193