03 03 21

gra­di­bus ascen­dens ad eum, qui fecit me, et venio in cam­pos et lata prae­to­ria memo­riae, ubi sunt the­sau­ri innu­me­ra­bi­lium ima­gi­num de cuius­ce­mo­di rebus sen­sis invec­ta­rum. ibi recon­di­tum est, quid­quid etiam cogi­ta­mus, vel augen­do vel minuen­do vel utcumque varian­do ea quae sen­sum atti­ge­rit, et si quid aliud com­men­da­tum et repo­si­tum est, quod non­dum absor­buit et sepe­li­vit obli­vio. ibi quan­do sum, pos­co, ut pro­fe­ra­tur quid­quid volo, et quae­dam sta­tim pro­deunt, quae­dam requi­run­tur diu­tius et tam­quam de abs­tru­sio­ri­bus qui­bus­dam recep­ta­cu­lis eruun­tur, quae­dam cater­va­tim se pro­ruunt et, dum aliud peti­tur et quae­ri­tur, pro­si­liunt in medium qua­si dicen­tia : ne forte nos sumus ? et abi­go ea manu cor­dis a facie recor­da­tio­nis meae, donec enu­bi­le­tur quod volo atque in conspec­tum pro­deat ex abdi­tis. alia faci­li­ter atque inper­tur­ba­ta serie sicut pos­cun­tur sug­ge­run­tur, et cedunt prae­ce­den­tia conse­quen­ti­bus, et ceden­do condun­tur, ite­rum cum volue­ro pro­ces­su­ra. quod totum fit, cum ali­quid nar­ro memo­ri­ter.

Je pour­suis ma lente ascen­sion vers celui qui m’a fait. J’atteins les immenses prai­ries, les vastes palais de la mémoire où se trouvent les tré­sors des images innom­brables impor­tées par la per­cep­tion de toutes sortes d’objets.
Est entre­po­sé là tout ce que notre intel­li­gence déve­loppe, réduit ou modi­fie de quelque façon, à par­tir de la per­cep­tion sen­sible. Et d’autres choses encore dépo­sées là, conser­vées, que l’oubli n’a tou­jours pas absor­bées et englou­ties.
J’y suis. Je réclame de voir ce que je veux. Pour cer­taines choses c’est immé­diat, pour d’autres la recherche est plus longue. Comme s’il fal­lait les extraire d’entrepôts plus secrets. Certaines affluent en bande alors même qu’on en avait deman­dé et cher­ché une autre. Elles font irrup­tion avec l’air de dire : c’est peut-être nous que tu cherches… La main de mon cœur les chasse du visage de ma mémoire jusqu’à ce qu’émerge de l’obscurité ce que je cherche. Sortie de sa cachette, la chose se pré­sente à moi. D’autres, en répon­dant à l’appel, se mettent en rangs impec­cables. Celles qui ouvrent la marche dis­pa­raissent pour céder la place aux sui­vantes, et en dis­pa­rais­sant sont cachées pour repa­raître quand je le vou­drai. C’est exac­te­ment ce qui se passe quand je raconte quelque chose de mémoire.

Les Aveux [Confessiones (397–402)]
t. 10
chap. 12
trad. Frédéric Boyer
P.O.L 2009
p. 268–269