12 10 21

(Il arrive, reste une minute pro­fon­dé­ment absor­bé, tire un fla­con de sels de son cha­peau claque, l’hume convul­si­ve­ment à sept reprises, puis com­mence, si rési­gné.)

Ayant quit­té mon lit… peuh… à l’heure ordi­naire,
J’ai très-spon­ta­né­ment caché mon pauvre corps
– Après avoir lavé ce qu’on laisse dehors –
Sous des choses en drap d’une coupe arbi­traire.

Et je n’étais pas le seul !

Dans une mai­son… propre, un être m’a coif­fé
Puis rasé (mena­çant !) sans me faire d’entailles,
Et je lui ai remis de petites médailles,
Car j’avais remar­qué que c’est ain­si qu’on fait.

Et je n’étais pas le seul !

Dans une autre… mai­son, j’ai devant une… table,
Mangé des plantes cuites et puis de la chair
De bêtes des forêts, du ciel et de la mer,
Et bu. (Tout ce qu’ici j’avance est véri­table).

Et je n’étais pas le seul !

Je ren­con­trais des gens. Nous nous féli­ci­tions
De nous voir. Être au monde, au fond, simple aven­ture
Puis des dames, par­fois plus belles que nature,
Qui me cau­saient… dif­fé­rentes impres­sions.

Et je n’étais pas le seul !

Puis encor des gens pas plus que moi z’insolites ;
Des affiches – Des boîtes à che­vaux pen­sifs ;
Et des ven­deurs de tout, sachant mille tarifs !
Je leur don­nais par­fois des médailles sus­dites.

Et je n’étais pas le seul !

J’ai par­lé au pas­sé, au pré­sent, au futur !
J’ai appris divers faits dont j’ai flai­ré les causes !
À mon tour j’ai sou­te­nu mille et mille choses
De tout ordre, et d’un air exor­bi­tam­ment sûr.

Et je n’étais pas le seul !

Puis reman­gé, Puis dans les lieux où je tra­vaille,
Écrit des faits his­to­riques mais com­pi­lés,
Et des mes­sieurs pru­dents, là, m’ont renou­ve­lé
D’une pro­vi­sion de petites médailles.

Et je n’étais pas le seul !

Enfin, dévê­tu, je me suis, acte peu sub­til
Réintégré entre mes draps. – Que de choses ! j’y rêve…
Pourtant l’Humanité ne peut se mettre en grève
N’est-ce pas ? Alors, quoi ? quoi ? rien (furio­so) – Ainsi soit-il.

(Muet, immo­bile, il couve ces gens de ses yeux mélan­co­liques, fait un geste d’universelle rési­gna­tion – et se fond.)

,
« Complainte des jour­nées » Les Complaintes