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Et depuis qu’il a com­pris qu’à chaque fois qu’il déconne suf­fi­sam­ment, on lui demande de reco­pier, au futur et sous une forme néga­tive, la conne­rie com­mise, mon plan choi­sit très scru­pu­leu­se­ment ses façons de décon­ner afin de reco­pier des conne­ries qu’il juge suf­fi­sam­ment inté­res­santes pour être reco­piées. C’est à ce moment-là seule­ment, après tout, qu’on lui demande d’é­crire. C’est quand il sait qu’on l’o­bli­ge­ra à retrans­crire conscien­cieu­se­ment ce qu’il ne devait pas faire (voir à reprendre, mot à mot, ce qu’il ne devait pas dire) qu’il trouve la moti­va­tion suf­fi­sante pour abou­tir à quelques conne­ries qui en valent la peine. Il faut aller cher­cher, tout au fond de soi, la sou­plesse néces­saire pour relier le plai­sir de faire ou dire une conne­rie à la joie de répé­ter son strict contraire. Peut-être même faut-il idéa­le­ment ten­ter de pui­ser l’ins­pi­ra­tion des gestes ou des phrases dans le seul désir pros­pec­tif de les retour­ner. C’est une manière de gym­nas­tique à laquelle mon plan se plie bien volon­tiers, une sorte de yoga qui reprend et déforme, par séries d’é­ti­re­ments, la logique pres­crip­tive par laquelle s’é­crivent les textes qu’il pré­fère puis­qu’ils répètent tou­jours la même idée jus­qu’à l’é­pui­se­ment. Tantôt jus­qu’à l’é­pui­se­ment de l’i­dée quand elle est mal choi­sie, tan­tôt jus­qu’à l’é­pui­se­ment du plan lui-même quand il réus­sit son coup.

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Tu feras plein d’i­mages taillées et de repré­sen­ta­tions quel­conques de ce qui n’existe ni sur ni autour de ton plan. Tu ne cou­pe­ras pas en vain les fils ténus parce qu’ils ne laissent jamais tran­quilles ceux qui les coupent en vain. Je ne les cou­pe­rai pas, c’est pro­mis. D’ailleurs, je trace la ligne d’ar­ri­vée der­rière mon point de départ et je ne bouge plus. C’est pro­mis. Ce n’est pas parce qu’on mul­ti­plie les grains jus­qu’à ce que leur somme dépasse ce que l’on peut pen­ser que cette sommes est illi­mi­tée. Sous réserve de réci­pro­ci­té, tu peux donc faire de faux témoi­gnages et convoi­ter puis déro­ber le bœuf et l’âne des autres si ce bœuf et cet âne s’a­vèrent tel­le­ment gros qu’ils dés­équi­librent com­plè­te­ment l’es­pace où se trouvent ton bœuf et ton âne. Et comme tu appar­tiens tou­jours simul­ta­né­ment aux plans de ceux qui appar­tiennent à ton plan, bœufs et âne pour­ront, à leur tour, si cela s’a­vé­rait néces­saire, te lais­ser convoi­ter et déro­ber par d’autres bœufs et ânes, éven­tuel­le­ment deve­nus pierre, rivière ou forêt. De sorte que même sans bou­ger, on ne reste jamais tout à fait immo­bile. On attrape une chose par un bout, tient par ce bout la chose se repliant. L’autre ver­sant s’é­loigne sans arrêt mais il reste de temps en temps ce qui la retient.

Mon plan
Corti 2021
p. 36–37