JE VAIS FAIRE UN POÈME QUI TOMBE. Au début il tient. C’est à la fin qu’il tombe. C’est normal.
Au début le poème il a un renard dans la gorge. Ensuite le poème il a un loup dans le ventre. Des fourmis dans les couilles et des hirondelles dans les ovaires. Le poème. Il avance un moment avec toute sa faune. Puis il arrive face à la montagne. Les uns s’enfuient, les autres s’envolent. C’est là qu’il tombe, face à la montagne.
Maintenant je vais dire le récit de la domestication.
Au début il n’y a que des loups. Ils se déplacent en meute. Il y a un chef de meute, il décide. Un jour arrivent les hommes. Les hommes encerclent la meute. Avec des pierres des bâtons les hommes tuent le chef de meute. Ils ne gardent que les petits. Les petits sont nourris au lait de femmes. En grandissant, les petits ne sont plus des loups, ils deviennent des chiens.
Voilà, c’était le récit de la domestication.
C’est un vrai récit qui n’est pas un poème. Je vous l’ai dit.
JE VAIS FAIRE UNE PAGE. Mais pas une vraie littérature. Juste un bruit sur ton crâne, sur ta foule. Un gros bruit de pluie, de salive, d’humeurs, tout ce qui coule.
Je vais faire une page sans ombre, qui coule. Ensuite il ne faut pas s’en approcher. Personne personne. À part toi. Je vais faire une page, que personne la boive. C’est ta rivière maintenant. Que personne y mette son bec, ses pattes.
Je vais faire une foule qui te fera un bruit au crâne, un gros boucan de tonnerre. Un grand moulin qui claque. Un réel qui tourne.
Je vais faire et ce sera réel.
Je vais faire une grosse douleur qui t’emplira le poumon. Une grosse douleur de gros bruit de page. Et pas le petit bruit d’une vraie littérature, non, juste le gros bruit de pluie d’une page sans rien.
Je vais faire une page comme on fait une montagne. Comme on perd son enfant dans le lac.
On ne fait pas une montagne, en vrai. Mais on perd son enfant dans le lac, en vrai.
Je vais faire la page comme la montagne est sortie de terre. Comme elle s’est faite elle-même. Très lentement. Je vais faire une très lentement page.Je vais écouter la maladie parlante jusqu’à ce qu’elle démoule sa forme à la page. Lentement qu’elle éclose. Je vais appeler les morts et ils vont venir et ils vont refaire le sang humain à partir. Je ne vais rien dire. Je vais me déshabiller avec les morts et ils vont me refaire le sang à partir de ce qu’ils ont vu dans la mort. Et je nagerai.
LES MORTS PRENDRONT MA MAISON et me referont toute la raison. C’est ça qui sera bien.
Je vais me refaire Le dos dans le lac. Tout l’été nager. La vase sur ma peau je la garde toute la nuit. J’aime l’odeur. Les muscles forcent. Tout l’été comme un mort. Je nage sans respirer. Le dos force. La vase pue. Mais la nuit je dors je ne sens rien.
Je vais faire un plongeon dans la vase sans passer par l’eau. Je vais rencontrer le plancton. Bouche ouverte il va me rentrer. Je vais le sentir la nuit. Il va m’ébranler les organes. Un corps à corps mais dedans, que personne verra.
Je vais me faire bouffer un organe par le plancton. Ensuite les morts me viendront bouche ouverte. Ils rentreront me refaire le sang. Ce sera bien.
Je vais enculer un peu de corps de gens au lac, mais par la pensée. C’est les excitations.
Je vais sortir du lac avec le souffle gros après la nage. Je vais fermer la rétine au soleil. Je serai allongé devant le ciel. Ce sera bien.
Ce sera un poème avec un rot à la fin quand on boit la tasse. Ou alors ce sera un poème qui fait la planche longtemps et qui dérive. On verra.