04 11 19

Calleja, Un titre simple

JE VAIS FAIRE UN POÈME QUI TOMBE. Au début il tient. C’est à la fin qu’il tombe. C’est nor­mal.

Au début le poème il a un renard dans la gorge. Ensuite le poème il a un loup dans le ventre. Des four­mis dans les couilles et des hiron­delles dans les ovaires. Le poème. Il avance un moment avec toute sa faune. Puis il arrive face à la mon­tagne. Les uns s’enfuient, les autres s’envolent. C’est là qu’il tombe, face à la mon­tagne.

Maintenant je vais dire le récit de la domes­ti­ca­tion.

Au début il n’y a que des loups. Ils se déplacent en meute. Il y a un chef de meute, il décide. Un jour arrivent les hommes. Les hommes encerclent la meute. Avec des pierres des bâtons les hommes tuent le chef de meute. Ils ne gardent que les petits. Les petits sont nour­ris au lait de femmes. En gran­dis­sant, les petits ne sont plus des loups, ils deviennent des chiens.

Voilà, c’était le récit de la domes­ti­ca­tion.

C’est un vrai récit qui n’est pas un poème. Je vous l’ai dit.

JE VAIS FAIRE UNE PAGE. Mais pas une vraie lit­té­ra­ture. Juste un bruit sur ton crâne, sur ta foule. Un gros bruit de pluie, de salive, d’humeurs, tout ce qui coule.

Je vais faire une page sans ombre, qui coule. Ensuite il ne faut pas s’en appro­cher. Personne per­sonne. À part toi. Je vais faire une page, que per­sonne la boive. C’est ta rivière main­te­nant. Que per­sonne y mette son bec, ses pattes.

Je vais faire une foule qui te fera un bruit au crâne, un gros bou­can de ton­nerre. Un grand mou­lin qui claque. Un réel qui tourne.

Je vais faire et ce sera réel.

Je vais faire une grosse dou­leur qui t’emplira le pou­mon. Une grosse dou­leur de gros bruit de page. Et pas le petit bruit d’une vraie lit­té­ra­ture, non, juste le gros bruit de pluie d’une page sans rien.

Je vais faire une page comme on fait une mon­tagne. Comme on perd son enfant dans le lac.

On ne fait pas une mon­tagne, en vrai. Mais on perd son enfant dans le lac, en vrai.

Je vais faire la page comme la mon­tagne est sor­tie de terre. Comme elle s’est faite elle-même. Très len­te­ment. Je vais faire une très len­te­ment page.Je vais écou­ter la mala­die par­lante jusqu’à ce qu’elle démoule sa forme à la page. Lentement qu’elle éclose. Je vais appe­ler les morts et ils vont venir et ils vont refaire le sang humain à par­tir. Je ne vais rien dire. Je vais me désha­biller avec les morts et ils vont me refaire le sang à par­tir de ce qu’ils ont vu dans la mort. Et je nage­rai.

LES MORTS PRENDRONT MA MAISON et me refe­ront toute la rai­son. C’est ça qui sera bien.

Je vais me refaire Le dos dans le lac. Tout l’é­té nager. La vase sur ma peau je la garde toute la nuit. J’aime l’odeur. Les muscles forcent. Tout l’été comme un mort. Je nage sans res­pi­rer. Le dos force. La vase pue. Mais la nuit je dors je ne sens rien.

Je vais faire un plon­geon dans la vase sans pas­ser par l’eau. Je vais ren­con­trer le planc­ton. Bouche ouverte il va me ren­trer. Je vais le sen­tir la nuit. Il va m’ébranler les organes. Un corps à corps mais dedans, que per­sonne ver­ra.

Je vais me faire bouf­fer un organe par le planc­ton. Ensuite les morts me vien­dront bouche ouverte. Ils ren­tre­ront me refaire le sang. Ce sera bien.

Je vais encu­ler un peu de corps de gens au lac, mais par la pen­sée. C’est les exci­ta­tions.

Je vais sor­tir du lac avec le souffle gros après la nage. Je vais fer­mer la rétine au soleil. Je serai allon­gé devant le ciel. Ce sera bien.

Ce sera un poème avec un rot à la fin quand on boit la tasse. Ou alors ce sera un poème qui fait la planche long­temps et qui dérive. On ver­ra.