17 07 24

Musil, L’homme sans qualités

Ce juge réunis­sait tous les élé­ments, à par­tir des rap­ports de police et de l’accusation de vaga­bon­dage, en un seul tout dont il char­geait l’inculpé ; mais pour Moosbrugger, ce n’était qu’une série d’incidents tout à fait dis­tincts qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres et dépen­daient cha­cun d’une autre cause, laquelle était à cher­cher en dehors de lui, quelque part dans l’univers. Aux yeux du juge, ses actes pro­ve­naient de lui, mais aux yeux de Moosbrugger, ils étaient plu­tôt reve­nus sur lui comme des oiseaux reviennent de migra­tion. Pour le juge, Moosbrugger était un cas par­ti­cu­lier ; pour soi-même, il était un monde, et il est très dif­fi­cile de dire quelque chose de convain­cant sur un monde.

Dieser Richter faßte alles in eins zusam­men, aus­ge­hend von den Polizeiberichten und der Landstreicherei, und gab es als Schuld Moosbrugger ; für den aber bes­tand es aus lau­ter ein­zel­nen Vorfällen, die nichts mitei­nan­der zu tun hat­ten und jeder eine andere Ursache besaßen, die auße­rhalb Moosbruggers und irgend­wo im Ganzen der Welt lag. In den Augen des Richters gin­gen seine Taten von ihm aus, in den sei­nen waren sie auf ihn zuge­kom­men wie Vögel, die her­bei­flie­gen. Für den Richter war Moosbrugger ein beson­de­rer Fall ; für sich war er eine Welt, und es ist sehr schwer, etwas Überzeugendes über eine Welt zu sagen.

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t. 1
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chap. 18  : « Moosbrugger »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 95