nous les allemands, nous avons un matérialisme dépourvu de sensualité. l’« esprit » chez nous médite invariablement sur l’esprit. les corps et les objets restent, eux, sans esprit. dans les chansons à boire allemandes il n’est question que des effets spirituels du vin, même dans les plus vulgaires. rien ne filtre de l’odeur des cuves. le monde pour nous n’a pas de saveur. dans l’amour, nous avons introduit une sorte de bonhomie, le plaisir sexuel a pour nous quelque chose de banal. si nous parlons goût, nous pensons encore à des données purement spirituelles, la langue est depuis longtemps hors jeu, c’est un vague sens des harmonisations. notez aussi cette locution « purement spirituel ». chez nous, l’esprit se souille immédiatement quand il touche à la matière. la matière, pour nous allemands, c’est plus ou moins de la merde. dans notre littérature se ressent partout cette méfiance envers la vitalité du corps. nos héros cultivent la sociabilité, mais ne mangent pas ; nos femmes ont des sentiments, mais pas de cul, en revanche nos vieillards parlent haut comme s’ils avaient encore toutes leurs dents.
Lu
ÉPILOGUE : LA QUESTION DE LA CÉLÉBRITÉ
Voici clôturées ces quelques recherches artistiques et philosophiques menées autour du concept du « tout public ». Le lecteur attentif aura sans aucun doute pu déceler sous l’apparente frivolité de ces textes la gravité des questions qui les animent. Ces questions s’agencent, bien sûr, toutes autour du concept-clé de ce livre : le « tout public ». Cette exigence-limite, cet impossible, cet impératif posé qui est de s’adresser à toutes les sortes de public, à tout genre de public, amène à mon avis inévitablement à s’interroger sur un concept qui lui est corrélatif, ou qui en tout cas en constitue le verso : le concept de « célébrité ».
La question du jour, qu’en ce moment je me pose et voudrais partager aujourd’hui, c’est, du Coup : comment devient-on célèbre, quels sont les trucs et astuces pour devenir célèbre ?
Eh bien je dois dire que cette question tombe plutôt bien, plutôt au poil dans ia mesure où là maintenant, pile au moment où j’écris ceci, eh bien je me sens assez célèbre je dois dire. C’est vraiment un hasard assez heureux, j’écris ce texte sur comment être célèbre et paf, n’advient-il pas que justement je me sens célèbre à fond ? Incroyable. Du coup, c’est sans difficulté que je vais pouvoir spéculer sur cette question, ça va venir tout seul tout seul vous allez voir. Je vais tout simplement surfer sur l’agencement de mes affects du moment et ça suffira amplement pour vous pondre une grande théorie générale sur la célébrité qui tient bien la route. De mon côté, qu’en est-il ? On plante le décor : je suis assis nonchalamment, à poil, à l’aise, dans un jacuzzi, il fait chaud, il y à de la vapeur partout autour de moi, je suis dans un centre thermal j’écris ceci dans mon cahier, tout va bien. Je spécule sur a célébrité. Autour de moi, d’autres corps nus, jeunes, beaux, alanguis, qui discutent entre eux. Atmosphère paisible au possible. On sent bien du coup comme le corps se décharge des tensions : super agréable, je vais mettre ça dans mon texte sur la célébrité. En effet là maintenant je me dis qu’avant de donner des trucs infaillibles pour être connu, il faut que j’explique le mécanisme de la célébrité, tous les rouages qui se mettent en place et s’agencent lorsqu’on se met à devenir célèbre.
Il faut savoir par exemple qu’être célèbre c’est une odeur : on reconnaît quelqu’un de célèbre à ce que son corps dégage dans l’odeur. Pas une question de parfum bien sûr, vraiment une question d’odeur corporelle spécifique à la célébrité. D’où vient l’odeur de la célébrité ? me demandé-je ici, ici et couché nu dans ce jacuzzi, me sentant célèbre et en compagnie de gens célèbres. Eh bien l’odeur de la célébrité vient d’une certaine façon d’être, d’une certaine manière d’être : lorsqu’on est connu, célèbre, on se met à s’agencer le corps de telle façon qu’il soit en interconnexion directe et constante avec un maximum d’autres corps. Une fois que tu es célèbre, tu es celui dont le corps est senti, éprouvé et vu par un maximum d’autre corps, c’est ça les prémices de base, les prémices de base de l’odeur de la célébrité : l’odeur de la célébrité vient de ce que le corps connu l’est du fait qu’il s’agence ses parties en fonction de celui des autres. L’odeur de cet agencement c’est les prémices de la célébrité.
Ça n’a l’air de rien comme ça mais en fait c’est extrêmement complexe comme réalité, car c’est une réalité qui mobilise tout le cosmos. Si vous voulez devenir célèbres, écris-je dans mon cahier, ici, nu dans ce super centre thermal en compagnie de plein de gens célèbres et nus comme moi, affalés dans ce jacuzzi obscènement chaud, si vous voulez devenir célèbres, chers lecteurs et lectrices, eh bien il faudra d’abord bien bien comprendre la théorie générale de la célébrité, qui est une théorie extrêmement complexe qui passe donc notamment par toute une théorie de l’odeur, mais également toute une théorie cosmique évidemment.
Car il est bien évident n’est-ce pas que dans là mesure où l’odeur de la célébrité passe par tel agencement de corps, eh bien il faut se poser la question des parties corporelles agencées par cet agencement. Cette question-là de l’agencement des parties corporelles nous ramène en deux temps trois mouvements à spéculer à l’infiniment petit qui compose nos parties corporelles : notre corps est un agencement d’une multiplicité infinie de parties infiniment petites, agencées de telle et telle et telle manière qui font que, au final, elles produisent l’odeur de la célébrité et qu’on se retrouve célèbre ou non. Irréfutable, n’est-ce pas ?
Irréfutable et en même temps hyper angoissant bien sûr, puisque si on réfléchit bien, si on pousse la logique plus loin, on se rend compte qu’être célèbre c’est vraiment une question cosmique en fait. En effet que se passe-t-il ? Je suis là, couché dans mon jacuzzi, dans l’eau et la vapeur chaude, tout va bien, je spécule par rapport à l’infinité de mes particules corporelles tout en regardant autour de moi les ravissants corps nus qu’il y a ici autour et là : coup de théâtre. Coup de théâtre puisque en poussant la logique de l’infiniment petit à son comble, forcément on se retrouve à palper l’abysse infranchissable existant entre chaque particule formant notre corps. Abysse infiniment grand évidemment, puisque séparant des particules corporelles infiniment petites. Voilà l’affaire : être là et célèbre, être là avec un corps célèbre, Un corps agencé de telle façon qu’il soit connecté à un maximum d’autres corps, c’est agencer des abysses cosmiques selon un style très particulier qui excite les abysses cosmiques d’autrui : très impressionnant. Inéluctable, 100 % logique, 100 % prouvé scientifiquement : pour être célèbre, il faut se connecter corporellement de façon telle au cosmos que nos particules corporelles s’agencent entre elles d’une façon qui soit hyper bien en connexion excitée avec le cosmos intérieur d’un maximum d’autres corps.
Donc être célèbre est très angoissant car ça démultiplie les abysses : on se retrouve avec son abysse intérieur connecté à une multiplicité d’autres abysses intérieurs complètement inconnus. En même temps c’est ça la clé du succès : celui qui veut devenir célèbre, eh bien rien à faire, c’est la carte de l’interconnexion des cosmos intérieurs qu’il doit jouer et exciter, c’est inéluctable. Sans agencement de cosmos, pas de succès.
Voilà. Le cadre théorique est posé, et maintenant il faut que je vous explique, depuis ce centre thermal où je me trouve ici, nu et affable, la théorie du jacuzzi, qui est la théorie infaillible qui vous permettra d’être célèbre.
Voici la théorie du jacuzzi : qui veut être connu a le fantasme du regard des autres qui lui coule dessus, c’est du narcissisme qui passe par le regard de l’autre, de n’importe quel autre. Vouloir être connu c’est vouloir être touché ou touché du regard ou senti ou entendu ou goûté par n’importe quel autre, quel qu’il soit : c’est l’abstraction du regard, du toucher, de l’ouïe, des sens de l’autre, ce sont les sens de l’immense multiplicité des autres qui te coulent dessus à l’échelle industrielle, complètement abstraits de leurs corps singuliers. La théorie du jacuzzi dit que pour être connu, pour assouvir ce fantasme de l’industrialisation et de l’abstraction des sens des autres, rien de tel qu’un bon jacuzzi : en effet la sensation de la célébrité, la sensation d’avoir le cosmos intérieur touché, palpé, caressé par le cosmos intérieur d’une tripotée d’inconnus, est en fait tout à fait comparable à la sensation éprouvée dans un bon jacuzzi bien rempli de gens nus.
Tu rêves d’être connu ? Facile : fais comme moi, pointe-toi dans un jacuzzi, tout le monde fait semblant de rien, d’un air entendu soudain on partage de l’intimité comme ça, boum sans prévenir, mine de rien, naturellement, tout lé monde partage : être connu c’est se partager avec les autres. Se partager avec les autres, être généreux de l’intime. C’est, tu vois, être dans le monde comme dans un grand jacuzzi.
Nous examinons quelques-unes de ces propositions-à-la-tu-peux-tu-dois, relatives au comportement social, qui proviennent d’éthiques anciennes (il n’a pas été facile de lui imposer ce pluriel), ou du moins qui se présentent en elles. Finalement je lui soumets une formule pratique. Dans l’intérêt de la lutte de classe, il convient de transformer les propositions-à-la-tu-peux-tu-dois, incluant un « espèce de porc ! », en propositions incluant un « espèce de bœuf ! ». Celles qui ne se prêtent pas à l’opération sont à éliminer. Exemple : la proposition « tu ne dois pas coucher avec ta mère » était jadis une proposition du type « espèce de bœuf ! », car dans la société antérieure elle renvoyait à une violente perturbation des rapports de propriété et de production. De ce point de vue, elle n’est plus aujourd’hui du type « espèce de bœuf », mais seulement encore du type « espèce de porc ! » au fond, elle est donc bonne à mettre au rebut. Cependant, à la rigueur, le prolétariat en lutte pourra s’en resservir comme proposition du type « espèce de bœuf », et à peu près sous cette forme : « espèce de bœuf, tu ne dois pas coucher avec ta mère, parce que tes camarades de combat ont des préjugés sur ce point et que du même coup ton combat risquerait d’en souffrir, et parce que, par ailleurs, les tribunaux te feraient incarcérer. » On s’aperçoit vite de la relative immoralité de ces formulations, due à leur inobjectivité particulière, qui répugne au moraliste. La raison en est évidemment que l’objet, à partir duquel on pourrait argumenter, a disparu (les rapports de propriété et de production) et que désormais la « chose » est simplement devenue de l’éthique.
wir untersuchen einige dieser soll- und darf-sätze, gesellschaftliches verhalten betreffend, die aus alten ethiken (ihm den plural aufzuzwingen war schwer) stammen oder in ihnen jedenfalls vorkommen. am schluss schlage ich ihm eine praktische formel vor. im interesse des klassenkampfs sind vorkommende soll- und darf-sätze, die ein ’du schwein’ enthalten, zu verwandeln in sätze, die ein ’du ochs’ enthalten. Sätze, welche ein ’du schwein’ enthalten und nicht in ’du ochs’-sätze überführt werden können, müssen ausgeschaltet werden. beispiel : der satz ’du sollst nicht mit deiner mutter schlafen’ war einst ein ’du-ochs’-satz, denn in einer frühen gesellschaftsordnung bedeutete er große verwirrung in den besitz- und produktionsbedingungen. was das betrifft, ist er heute kein ’du ochs’-satz mehr, nur noch ein ’du schwein’-satz. im grunde müsste also der satz fallengelassen werden.
six ans où presque tout ce que j’avais pu faire et dire, seule ou avec d’autres, avait été doublé par la pensée de cet homme, si bien qu’à l’époque le moindre détail était salopé par cette pensée […] une pensée exclusivement concentrée sur un seul sujet, aucun autre sujet et aucun autre objet n’ayant la possibilité de vivre là-dedans plus de cinq secondes ; mon corps intégralement, depuis mes doigts de pied jusqu’à mes cheveux, était rétracté à l’intérieur d’un discours en boucle, c’est-à-dire d’une boucle qui tournait sans interruption même la nuit – je rêvais, c’était lui ; je me levais pour pisser, c’était lui, etc. –, et je me demande si le meilleur moyen, ou l’un des meilleurs moyens, de rendre compte de ce tapis de bombes – ma tête –, n’est pas le jeu du par-devant/par-derrière : on prend un texte – tiens, Une saison en enfer, c’est celui que j’ai sous la main – et on lui ajoute systématiquement par-devant/par-derrière ; ça donne : Jadis, par-devant, si je me souviens bien, par-derrière, ma vie était un festin par-devant, où s’ouvraient tous les cœurs par-derrière, où tous les vins coulaient par-devant. Eh bien je suis partie en Crète, c’est-à-dire que je me suis enfuie en Crète à un moment, pour savoir si là-bas le par-derrière/par-devant continuerait ou serait troublé par le déplacement géographique, la nécessité de faire attention à ce qu’on vous dit avec l’accent, mais j’aurais très bien pu faire le tour du monde en porte-containers, atteindre le pôle Nord, explorer Sakhaline, ça n’en aurait pas moins duré – et c’était comme si cette pensée devait me survivre puisque je mourrais avant qu’elle cesse.
The point about it was, if there wasn’t a god, then people wouldn’t die. I came to that conclusion, that the only reason people died was because there is a god, and the only reason people are suffering is because there is a god. The way I look at it, the way people die proves that something is killing them–something superior to them always wins. A superior force. So death is a god, if nothing else, and all people are subject to it, so death’s their god. They aren’t actually subject to the United States or Russia or anything, they’re subject to their god-Death. That’s very obvious. The point is, having reached that point, what to do about it ? If they ever reach that point. Should they be obedient to the god Death or should they be rebels ? Because if they’re obedient to God and are righteous, then the most appropriate thing to do is to die. Then, when they’re dead, they’re holy and righteous.