Il s’ensuivit entre eux une conversation qui aurait fait sur un tiers une impression bizarre, assez semblable à celle d’une conversation en langue verte, bien que le langage utilisé ici ne fût autre que le sabir de l’amour spirituel laïque. C’est pourquoi nous préférons rendre l’esprit plutôt que la lettre de ce dialogue.
La « communauté des parfaits altruistes », c’était une formule découverte par Hans ; elle était cependant compréhensible : plus un homme se sent altruiste, plus les choses du monde deviennent claires et fortes, plus il se fait léger, plus il se sent exalté. Chacun connaît ce genre d’expériences ; mais il ne faut pas les confondre avec le contentement, la gaieté, l’insouciance et cætera, car ne ce sont là que des succédanés pour un usage vulgaire, sinon même corrompu. Peut-être même devrait-on réserver à l’état authentique non pas le terme d’élévation, mais celui de « décuirassement », « décuirassement du Moi », expliquait Hans. Il fallait distinguer entre les deux remparts de l’homme. L’un est déjà franchi chaque fois qu’il fait un acte bon ou gratuit, mais ce n’est là que le plus petit des deux murs. Le plus grand est bâti de l’égoïsme de l’homme même le plus altruiste ; c’est, tout bonnement, le Péché originel. Toute impression sensuelle, tout sentiment, même celui de l’abandon, est davantage, dans notre manière d’agir, une prise qu’un don, et il est presque impossible d’échapper à cette cuirasse bardée d’égoïsme. Hans énumérait : le savoir n’est que l’appropriation d’un objet étranger ; on le tue ; on le déchiquette, on le dévore comme une bête. Le concept, cadavre figé. La conviction, relation pétrifiée à jamais immuable. La recherche, affirmation. Le caractère, refus des métamorphoses. La connaissance d’un être, indifférence à son égard. L’introspection, inspection. La vérité, tentative réussie pour penser objectivement et inhumainement. Il y a dans tout cela un goût de meurtre et de gel, un désir de possession et de rigidité, un mélange d’égoïsme et de désintéressement objectif, c’est-à-dire lâche, sournois, inauthentique ! « Et quand donc l’amour lui-même, demanda Hans bien qu’il ne connût que l’innocente Gerda, sera-t-il autre chose que le désir de possession, ou d’abandon dans l’attente d’une contrepartie ? »
Ulrich approuvait prudemment, amendant parfois ces affirmations souvent incohérentes. Il était exact que même la souffrance et le dessaisissement de soi nous laissent toujours quelque argent de côté ; une pâle ombre d’égoïsme, une ombre grammaticale pour ainsi dire, resterait attachée à tout acte tant qu’il n’y aurait pas d’attribut sans sujet.
Mais Hans protesta violemment. Lui et ses amis luttaient pour savoir comment on doit vivre. Parfois ils admettaient que chacun dût commencer par vivre pour soi, et ensuite pour tous ; un autre jour, ils étaient convaincus que chaque homme ne pouvait réellement avoir qu’un ami, mais que celui-ci à son tour en avait besoin d’un autre, de sorte que la communauté se dessinait à leurs yeux comme une union des âmes en forme de cercle, à la manière du spectre solaire ou d’autres enchaînements du même ordre ; mais de préférence, ils croyaient qu’il existait une loi psychique du sens communautaire que l’égoïsme ne faisait qu’obombrer, une énorme source de vie intérieure, inutilisée encore, à laquelle ils attribuaient des possibilités fantastiques. L’arbre qui lutte dans la forêt et que la forêt protège ne peut pas avoir une plus vague conscience de lui-même, que les hommes sensibles d’aujourd’hui de l’obscure chaleur de la masse, de sa puissance dynamique, des processus moléculaires imperceptibles qui assurent sa cohérence inconsciente et lui rappellent à chaque respiration que le plus grand, comme le plus petit, n’est jamais seul. Il en allait de même pour Ulrich. Sans doute voyait-il clairement que l’égoïsme discipliné, maîtrisé, sur lequel se fonde la vie, produit une structure organisée, alors que le souffle de la communauté demeure le point d’intersection de relations fort vagues ; personnellement, il se sentait plutôt attiré par l’isolement, mais il n’en était pas moins touché lorsque les jeunes amis de Gerda exposaient leur extravagante idée du grand mur qu’il fallait à tout prix franchir.
Hans, tantôt psalmodiant, tantôt percutant, dévidait les articles de sa foi, en regardant fixement droit devant lui, sans rien voir. Une fêlure anormale divisait la création et la partageait comme une pomme dont les deux moitiés aussitôt se dessèchent ; c’est pourquoi l’on était contraint, aujourd’hui, de s’approprier d’une manière artificielle et contre nature ce avec quoi l’on n’avait formé jadis qu’un seul être. Mais on pouvait abolir cette division par une sorte d’ouverture de soi-même, un changement d’attitude. Plus un homme pouvait s’oublier, s’effacer, se retirer de lui-même, plus il libérerait de force en lui pour la communauté, comme s’il la délivrait d’une fausse relation ; et en même temps, plus il se rapprocherait de la communauté, plus il deviendrait, inévitablement, lui-même. Si l’on suivait Hans, on apprenait aussi que la véritable originalité ne se mesurait pas à la simple et vaine singularité, mais naissait de l’ouverture de soi-même et, passant par des degrés ascendants de participation et de dévouement, atteindrait peut-être au degré suprême, à la communauté des altruistes parfaits, totalement absorbés par le monde, degré que l’on pouvait atteindre par cette voie !
En écoutant ces phrases que rien ne semblait pouvoir remplir, Ulrich se demandait comment on pourrait leur donner un contenu réel […]. Quand on possède parfaitement cette langue, on peut continuer à parler à l’infini sans aucun effort. On s’avance comme avec une lumière à la main, dont le rayon délicat tombe sur un aspect de la vie après l’autre, et l’on dirait que tous ces aspects, sous la forme ordinaire qu’ils avaient dans la lumière quotidienne, n’ont été que de grossiers malentendus. Comme la fonction du mot « posséder », par exemple, paraît insoutenable lorsqu’on l’applique à des amants ! Mais cela trahit-il de plus nobles désirs de vouloir posséder des principes ? le respect des enfants ? des connaissances ? soi-même ? Ce geste agressif et brutal de quelque énorme bête écrasant sa proie de tout le poids de son corps est pourtant, à bon droit, l’expression préférée et fondamentale du capitalisme ; ainsi apparaît le rapport entre les possédants du monde bourgeois et ces possesseurs de connaissances toutes faites en qui la bourgeoisie a transformé ses penseurs et ses artistes, alors que l’amour et l’ascèse se tiennent à l’écart, frère et sœur. Et ce frère et cette sœur, lorsqu’ils se réunissent, ne sont-ils pas sans but, opposés aux buts de la vie ? Mais le terme de « but » est emprunté au langage des tireurs : être sans but ne signifierait-il donc pas, à l’origine, se refuser à tuer ? Ainsi, en suivant simplement les traces de la langue (traces brouillées, mais révélatrices), on comprend mieux déjà comment une grossière altération du sens a usurpé partout la place de relations plus circonspectes qui se sont perdues définitivement. C’est là une situation partout sensible, nulle part tangible.
Es ergab sich daraus ein Gespräch zwischen den beiden, das auf einen Fernstehenden einen sonderbaren Eindruck gemacht haben müßte, nicht unähnlich der Unterhaltung in einem Verbrecherjargon, obwohl dieser kein anderer war als eben die Mischsprache weltlich-geistlicher Verliebtheit. Es ist darum vorzuziehen, diese Unterredung mehr dem Sinn nach wiederzugeben als in ihrem Wortlaut : die Gemeinschaft der vollendet Ichlosen, das war ein von Hans entdecktes Wort, es ist aber trotzdem zu verstehen, denn je selbstloser sich ein Mensch fühlt, desto heller und stärker werden die Dinge der Welt, je leichter er sich macht, desto mehr fühlt er sich gehoben, und Erfahrungen von solcher Art kennt wohl jeder ; man darf sie bloß nicht mit Fröhlichkeit, Heiterkeit, Sorglosigkeit oder dergleichen verwechseln, denn das sind nur ihre Ersätze für den niederen Gebrauch, wenn nicht gar für den verdorbenen. Vielleicht sollte man den echten Zustand überhaupt nicht Gehobenheit nennen, sondern Entpanzerung ; Entpanzerung des Ich, so erklärte es Hans. Man müsse zwischen zwei Umwallungen des Menschen trennen. Die eine wird schon dann jedesmal überstiegen, wenn er etwas Gutes und Uneigennütziges tut, aber das ist nur die kleine Mauer. Die große besteht in der Selbsthaftigkeit noch des selbstlosesten Menschen ; das ist schlechtweg die Erbsünde ; jeder Sinneseindruck, jedes Gefühl, selbst das der Hingabe, ist in unserer Ausführung mehr ein Nehmen als ein Geben, und diesem Panzer von Durchtränkung mit Eigensucht kann man kaum in irgendeiner Weise entrinnen. Hans zählte auf : So ist Wissen nichts als An-Eignung einer fremden Sache ; man tötet, zerreißt und verdaut sie wie ein Tier. Begriff das reglos gewordene Getötete. Überzeugung, die nicht mehr veränderliche erkaltete Beziehung. Forschung gleich Fest-Stellen. Charakter gleich Trägheit, sich zu wandeln. Kenntnis eines Menschen soviel wie nicht mehr von ihm bewegt werden. Einsicht eine Sicht. Wahrheit der erfolgreiche Versuch, sachlich und unmenschlich zu denken. In allen diesen Beziehungen ist Tötung, Frost, ein Verlangen nach Eigentum und Erstarren und ein Gemisch von Eigensucht mit einer sachlichen, feigen, heimtückischen, unechten Selbstlosigkeit ! »Und wann wäre« fragte Hans, obgleich er nur die unschuldige Gerda kannte, »die Liebe selbst etwas anderes als der Wunsch nach Besitz oder Hingabe auf Gegenrechnung?!«
Ulrich stimmte diesen nicht ganz einheitlichen Behauptungen vorsichtig und abändernd bei. Es sei richtig, daß auch das Erleiden und Sichentäußern einen Sparpfennig für uns selbst übriglasse ; ein blasser, sozusagen grammatikalischer Schatten von Egoismus bleibe auf allem Tun haften, solange es keine Prädikate ohne Subjekt gebe.
Aber Hans lehnte heftig ab. Er und seine Freunde stritten, wie man leben solle. Manchmal nahmen sie an, daß jeder zunächst für sich und dann erst für alle leben müsse ; ein andermal waren sie überzeugt, daß jeder ganz wahrhaft nur einen Freund haben könne, aber dieser doch wieder einen anderen Freund brauche, wonach sich ihnen die Gemeinschaft als eine Seelenverbindung im Kreis, nach Art des Farbenspektrums oder anderer gliedweisen Verkettungen darstellte ; am liebsten aber glaubten sie daran, daß es ein seelisches, von der Ichsucht bloß überschattetes Gesetz des Gemeinschaftssinns gebe, eine innere, ungeheure, noch nicht ausgenützte Lebensquelle, der sie abenteuerliche Möglichkeiten zuschrieben. Nicht ungewisser kann sich der Baum, im Walde kämpfend und vom Wald gehegt, vorkommen, als empfängliche Menschen heute die dunkle Wärme der Masse, ihre Bewegungskraft, die molekular unsichtbaren Vorgänge ihres unbewußten Zusammenhaltens empfinden, die sie bei jedem Atemzug daran erinnern, daß der Größte wie der Kleinste nicht allein sei ; so erging es auch Ulrich ; er sah wohl klar, daß der gezähmte Egoismus, aus dem sich das Leben aufbaut, ein geordnetes Gefüge ergibt, wogegen der Atem der Gemeinsamkeit nur ein Inbegriff unklarer Zusammenhänge bleibt, und er war für seine Person sogar ein zur Absonderung neigender Mensch, aber es ging ihm eigentümlich nahe, wenn die jungen Freunde Gerdas ihre ausschweifende Behauptung von der großen Mauer aufstellten, die überstiegen werden müsse.
Hans spulte, bald leiernd, bald stoßend, die Augen, ohne zu sehen, vorausgerichtet, seine Glaubenssätze ab. Eine unnatürliche Trennung laufe durch die Schöpfung und teile sie wie einen Apfel, dessen beide Hälften daran austrocknen. Man müsse sich darum auf künstliche und widernatürliche Weise heute aneignen, womit man vordem eins war. Man könne aber diese Trennung aufheben, durch irgendein Sichöffnen, ein geändertes Verhalten, denn je mehr jemand sich vergessen, auslöschen, von sich abrücken könne, desto mehr Kraft für die Gemeinschaft werde in ihm frei, so als würde sie aus einer falschen Verbindung befreit ; und zugleich müsse er, je mehr er sich der Gemeinschaft nähere, desto eigener werden ; denn folgte man Hans, so erfuhr man auch, daß der Grad der wahren Originalität nicht im eitlen Besonderssein beschlossen liege, sondern durch das Sichöffnen entstehe, in steigende Grade des Teilnehmens und der Hingabe hinein, vielleicht bis zu dem höchsten Grad einer Gemeinschaft der ganz von der Welt aufgenommenen, vollendet Ichlosen, den man auf diese Weise zu erreichen vermöchte !
Diese scheinbar durch nichts auszufüllenden Sätze ließen Ulrich träumen, wie man ihnen einen wirklichen Inhalt geben könnte […]. Man vermag, wenn man diese Sprache beherrscht, in ihrer Anwendung mühelos fortzufahren. Man geht wie mit einem Licht in der Hand, dessen zarter Strahl auf eine Beziehung des Lebens nach der anderen fällt, und alle sehen sie aus, als wären sie in ihrer gewöhnlichen Erscheinung, die sie im festen Alletaglicht haben, nur rohe Mißverständnisse gewesen. Wie unmöglich erscheint zum Beispiel sogleich die Gebärde des Wortes »besitzen«, wenn man sie auf Liebende anwendet ! Aber verrät es schöner anmutende Wünsche, daß man Grundsätze be-sitzen möchte ? die Achtung seiner Kinder ? Gedanken ? sich selbst ? Diese plumpe Angriffsgebärde eines schweren Tiers, das seine Beute mit dem ganzen Körper niederdrückt, ist jedoch berechtigterweise der Grund- und Leibausdruck des Kapitalismus, und so zeigt sich darin der Zusammenhang zwischen den Besitzenden des bürgerlichen Lebens und den Besitzern von Erkenntnissen und Fertigkeiten, zu denen es seine Denker und Künstler gemacht hat, während abseits Liebe und Askese als ein einsames Geschwisterpaar stehen. Und sind diese Geschwister, wenn sie beisammen stehn, nicht ziellos und zwecklos, im Gegensatz zu den Zielen und Zwecken des Lebens ? Es stammen aber die Namen Ziel und Zweck aus der Sprache der Schützen : Bedeutet also ziellos und zwecklos in seinem ursprünglichen Zusammenhang nicht soviel wie kein Tötender sein ? So kommt man bloß dadurch, daß man die Spur der Sprache verfolgt – eine verwischte, aber verräterische Spur ! – schon darauf, wie sich allerorten der roh veränderte Sinn an die Stelle von bedachtsameren Beziehungen gedrängt hat, die ganz verlorengegangen sind. Es ist das wie ein überall zu fühlender, nirgends zu fassender Zusammenhang […].
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t. 1
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chap. 113
: « Ulrich, s’entretenant avec Hans Sepp et Gerda, adopte le sabir de la zone frontière entre la surrationalité et la sous-rationalité »
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trad.
Philippe Jaccottet
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p. 738–743