C’est la suc­ces­sion pure et simple, la repro­duc­tion de la diver­si­té oppres­sante de la vie sous une forme uni­di­men­sion­nelle, comme dirait un mathé­ma­ti­cien, qui nous ras­sure ; l’alignement de tout ce qui s’est pas­sé dans l’espace et le temps le long d’un fil, ce fameux « fil du récit » jus­te­ment, avec lequel finit par se confondre le fil de la vie. Heureux celui qui peut dire « lorsque », « avant que » et « après que » ! Il peut bien lui être arri­vé mal­heur, il peut s’être tor­du dans les pires souf­frances : aus­si­tôt qu’il est en mesure de repro­duire les évé­ne­ments dans la suc­ces­sion de leur dérou­le­ment tem­po­rel, il se sent aus­si bien que si le soleil lui brillait sur le ventre. C’est ce dont le roman a tiré habi­le­ment pro­fit : le voya­geur peut che­vau­cher à tra­vers les cam­pagnes sous des trombes d’eau ou faire cra­quer la neige sous ses semelles par moins vingt degrés, le lec­teur se sent à son aise. Ce serait assez dif­fi­cile à com­prendre si cet éter­nel tour de passe-passe de l’art nar­ra­tif, à quoi même les nour­rices recourent pour cal­mer les enfants, si cette « pers­pec­tive de l’intelligence », ce « rac­cour­cis­se­ment des dis­tances » ne fai­saient déjà par­tie inté­grante de la vie. La plu­part des hommes sont, dans leur rap­port fon­da­men­tal avec eux-mêmes, des nar­ra­teurs. Ils n’aiment pas la poé­sie, ou seule­ment par moments. Même si quelques « parce que » et « pour que » se mêlent ici et là au fil de la vie, ils n’en ont pas moins en hor­reur toute réflexion qui tente d’aller au-delà. Ils aiment la suc­ces­sion bien réglée des faits parce qu’elle a toutes les appa­rences de la néces­si­té, et l’impression que leur vie suit un « cours » est pour eux comme un abri dans le chaos. Ulrich s’apercevait main­te­nant qu’il avait per­du le sens de cette nar­ra­tion pri­mi­tive à quoi notre vie pri­vée reste encore atta­chée bien que tout, dans la vie publique, ait déjà échap­pé à la nar­ra­tion et, loin de suivre un fil, s’étale sur une sur­face sub­ti­le­ment entre­tis­sée.

Es ist die ein­fache Reihenfolge, die Abbildung der überwäl­ti­gen­den Mannigfaltigkeit des Lebens in einer ein­di­men­sio­na­len, wie ein Mathematiker sagen würde, was uns beru­higt ; die Aufreihung alles des­sen, was in Raum und Zeit ges­che­hen ist, auf einen Faden, eben jenen berühm­ten »Faden der Erzählung«, aus dem nun also auch der Lebensfaden bes­teht. Wohl dem, der sagen kann »als«, »ehe« und »nach­dem«! Es mag ihm Schlechtes wider­fah­ren sein, oder er mag sich in Schmerzen gewun­den haben : sobald er imstande ist, die Ereignisse in der Reihenfolge ihres zeit­li­chen Ablaufes wie­der­zu­ge­ben, wird ihm so wohl, als schiene ihm die Sonne auf den Magen. Das ist es, was sich der Roman künst­lich zunutze gemacht hat : der Wanderer mag bei strö­men­dem Regen die Landstraße rei­ten oder bei zwan­zig Grad Kälte mit den Füßen im Schnee knir­schen, dem Leser wird beha­glich zumute, und das wäre schwer zu begrei­fen, wenn die­ser ewige Kunstgriff der Epik, mit dem schon die Kinderfrauen ihre Kleinen beru­hi­gen, diese bewähr­teste »pers­pek­ti­vische Verkürzung des Verstandes« nicht schon zum Leben selbst gehörte. Die meis­ten Menschen sind im Grundverhältnis zu sich selbst Erzähler. Sie lie­ben nicht die Lyrik, oder nur für Augenblicke, und wenn in den Faden des Lebens auch ein wenig »weil« und »damit« hinein­geknüpft wird, so verab­scheuen sie doch alle Besinnung, die darü­ber hinaus­greift : sie lie­ben das ordent­liche Nacheinander von Tatsachen, weil es einer Notwendigkeit gleich­sieht, und füh­len sich durch den Eindruck, daß ihr Leben einen »Lauf« habe, irgend­wie im Chaos gebor­gen. Und Ulrich bemerkte nun, daß ihm dieses pri­mi­tive Epische abhan­den gekom­men sei, woran das pri­vate Leben noch fes­thält, obgleich öffent­lich alles schon unerzäh­le­risch gewor­den ist und nicht einem »Faden« mehr folgt, son­dern sich in einer unend­lich ver­wo­be­nen Fläche aus­brei­tet.

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t. 1
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chap. 122  : « Le retour »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 858–859

Il croit qu’il est pos­sible de pro­duire syn­thé­ti­que­ment une vie juste, comme on fabrique du caou­tchouc ou de l’azote.

[E]r glaubt daran, daß es eine Art syn­the­ti­scher Erzeugung des rich­ti­gen Lebens gibt, so wie man einen syn­the­ti­schen Kautschuk oder Stickstoff hers­tel­len kann […].

 

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t. 1
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chap. 116  : « Les deux arbres de la vie. Ulrich réclame la créa­tion d’un Secrétariat géné­ral de l’Âme et de la Précision. »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 792

À ce moment-là, une fois de plus, Ulrich inter­pré­tait à sa manière les mots vio­lence et amour. Le mot vio­lence conte­nait tous ses pen­chants au mal et à la dure­té ; il était l’effluence de toute conduite scep­tique, objec­tive, lucide. Sans doute un cer­tain goût de la vio­lence froide et bru­tale avait-il joué jusque dans le choix de sa pro­fes­sion, si bien qu’Ulrich n’était peut-être pas deve­nu mathé­ma­ti­cien sans quelque inten­tion de cruau­té. Tout cela était touf­fu comme le feuillage d’un arbre qui dis­si­mule le tronc lui-même. D’autre part, lorsqu’on ne parle pas sim­ple­ment de l’amour dans le sens cou­rant du mot, mais qu’en l’entendant on aspire à un état qui se dis­tingue, jusque dans les moindres atomes de notre corps, de la misère du non-amour, lorsqu’on se sent à la fois doué et dépour­vu de toutes les qua­li­tés, lorsqu’on a constam­ment l’impression que c’est « tou­jours la même his­toire », les mêmes évé­ne­ments qui se repro­duisent, parce que la vie (pleine à cra­quer de la fier­té de sa pré­sence « ici et main­te­nant », mais en fin de compte si incer­taine, si par­fai­te­ment irréelle !) se pré­ci­pite imman­qua­ble­ment dans les deux ou trois dou­zaines de moules à cake qui consti­tuent la réa­li­té, lorsqu’on estime que manque un mor­ceau à tous les cercles dans les­quels nous tour­nons, que de tous les sys­tèmes que nous avons ins­ti­tués, aucun ne pos­sède le secret du repos, alors, toutes ces choses qui semblent si dif­fé­rentes se confondent elles aus­si comme les branches d’un arbre qui dis­si­mulent de toutes parts le tronc.

In die­sem Augenblick waren Gewalt und Liebe für Ulrich wie­der nicht ganz die gewöhn­li­chen Begriffe. Alles, was er an Neigung zum Bösen und Harten besaß, lag in dem Wort Gewalt, es bedeu­tete den Ausfluß jedes ungläu­bi­gen, sachli­chen und wachen Verhaltens ; hatte doch eine gewisse harte, kalte Gewalttätigkeit auch bis in seine Berufsneigungen hinein­ge­spielt, so daß er viel­leicht nicht ganz ohne eine Absicht auf das Grausame Mathematiker gewor­den war. Das hing zusam­men wie das Dickicht eines Baums, das den Stamm selbst ver­deckt. Und wenn man von Liebe nicht bloß im übli­chen Sinn spricht, son­dern sich bei ihrem Namen nach einem Zustand sehnt, der bis in die Atome des Körpers anders ist als der Zustand der Liebesarmut ; oder wenn man fühlt, daß man eben­so­gut jede Eigenschaft an sich hat wie keine ; oder wenn man unter dem Eindruck steht, daß nur Seinesgleichen ges­chieht, weil das Leben – zum Platzen voll Einbildung auf sein Hier und Jetzt, letz­ten Endes aber ein sehr unge­wis­ser, ja aus­ges­pro­chen unwirk­li­cher Zustand ! – sich in die paar Dutzend Kuchenformen stürzt, aus denen die Wirklichkeit bes­teht ; oder daß an allen Kreisen, in denen wir uns dre­hen, ein Stück fehlt ; daß von allen Systemen, die wir errich­tet haben, keines das Geheimnis der Ruhe besitzt : so hängt auch das, so ver­schie­den es aus­sieht, zusam­men wie die Äste eines Baums, die nach allen Seiten den Stamm ver­ber­gen.

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t. 1
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chap. 116  : « Les deux arbres de la vie. Ulrich réclame la créa­tion d’un Secrétariat géné­ral de l’Âme et de la Précision. »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 784–785

Pour on ne sait quelle rai­son, Ulrich avait l’impression, bien que ce fût la fin de l’hiver, de contem­pler une de ces nuits d’octobre où la fraî­cheur est encore douce, et il lui sem­blait que la ville y fût rou­lée comme dans une immense, cou­ver­ture. Puis, il pen­sa qu’on pou­vait tout aus­si bien dire d’une cou­ver­ture qu’elle res­semble à une nuit d’octobre.

Aus irgen­dei­nem Grund hatte Ulrich auf das stärkste den Eindruck, in eine mild­kalte Oktobernacht hinaus­zus­tar­ren, obgleich es Spätwinter war, und es kam ihm vor, die Stadt sei in sie ein­gehüllt wie in eine unge­heure Wolldecke. Dann fiel ihm ein, daß man eben­so­gut von einer Wolldecke sagen könnte, sie sei wie eine Oktobernacht.

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chap. 115  : « La pointe de tes seins est comme un pétale de pavot »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 770

Quelle est donc cette vie qu’il fau­drait de loin en loin per­fo­rer de récréa­tions ? Ferions-nous des trous dans un tableau sous pré­texte que sa beau­té exige de nous trop d’efforts ? A‑t-on pré­vu des vacances dans la béa­ti­tude éter­nelle ? Je vous avoue que l’idée même du som­meil m’est par­fois désa­gréable.

Welch ein Leben, das man zeit­wei­lig mit Erholungen dur­chlö­chern muß ! Würden wir in ein Bild Löcher stoßen, weil es zu schöne Ansprüche an uns stellt?! Sind in der ewi­gen Seligkeit etwa Urlaubswochen vor­ge­se­hen ? Ich ges­tehe Ihnen, daß mir sogar die Vorstellung des Schlafs manch­mal unan­ge­nehm ist.

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t. 1
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chap. 114  : « Une crise menace. Arnheim cour­tise le géné­ral Stumm. Diotime prend des mesures pour se rendre dans l’Illimité. Ulrich brode sur la pos­si­bi­li­té de vivre comme on lit. »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 762

« [Q]ue faites-vous, en lisant ? Je vous répon­drai tout de suite : vos opi­nions omettent ce qui ne leur agrée pas. L’auteur a déjà fait de même. Rêvant ou rêvas­sant, vous omet­tez éga­le­ment. Je constate donc ceci : la beau­té ou l’émotion entrent dans le monde par l’omission. Notre atti­tude au sein de la réa­li­té est évi­dem­ment un com­pro­mis, un état moyen dans lequel les sen­ti­ments s’empêchent mutuel­le­ment d’atteindre au déploie­ment de la pas­sion et se perdent dans la gri­saille ; les enfants, qui ignorent encore cette atti­tude, sont donc plus heu­reux et plus mal­heu­reux que les adultes. Et j’ajouterai tout de suite que les gens bêtes omettent aus­si ; on sait bien que la bêtise rend heu­reux. Voici donc ma pre­mière pro­po­si­tion : que nous essayions de nous aimer comme si vous et moi étions les per­son­nages d’un poète qui se ren­contrent dans les pages de son livre. Négligeons donc, en tout cas, cette enve­loppe de graisse qui vous fait croire que la réa­li­té est chose toute ronde. »

»Was tun Sie da ? Ich will gleich die Antwort geben : Ihre Auffassung läßt aus, was Ihnen nicht paßt. Das gleiche hat schon der Autor getan. Ebenso las­sen Sie im Traum oder in der Phantasie aus. Ich stelle also fest : Schönheit oder Erregung kommt in die Welt, indem man fortläßt. Offenbar ist unsere Haltung inmit­ten der Wirklichkeit ein Kompromiß, ein mit­tle­rer Zustand, worin sich die Gefühle gegen­sei­tig an ihrer lei­den­schaft­li­chen Entfaltung hin­dern und ein wenig zu Grau mischen. Kinder, denen diese Haltung noch fehlt, sind darum glü­ck­li­cher und unglü­ck­li­cher als Erwachsene. Und ich will gleich hin­zufü­gen, auch die Dummen las­sen aus ; Dummheit macht ja glü­ck­lich. Ich schlage also als erstes vor : Versuchen wir einan­der zu lie­ben, als ob Sie und ich die Figuren eines Dichters wären, die sich auf den Seiten eines Buchs bege­gnen. Lassen wir also jeden­falls das ganze Fettgerüst fort, das die Wirklichkeit rund macht.«

 

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chap. 114  : « Une crise menace. Arnheim cour­tise le géné­ral Stumm. Diotime prend des mesures pour se rendre dans l’Illimité. Ulrich brode sur la pos­si­bi­li­té de vivre comme on lit. »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 761

« Avez-vous jamais vu un chien ? deman­da-t-il. Vous le croyez seule­ment ! Vous n’avez jamais vu que quelque chose qui vous est appa­ru, à plus ou moins bon droit, comme un chien. Quelque chose qui ne pos­sède pas toutes les qua­li­tés canines et qui a, au contraire, un élé­ment per­son­nel qu’aucun autre chien ne pos­sède. Comment donc pour­rions-nous jamais faire, dans la vie, ce qu’il faut faire ? Nous ne pou­vons jamais que quelque chose qui n’est jamais ce qu’il faut, mais qui est tou­jours un peu plus ou un peu moins que ce qu’il fal­lait. […] »

»Haben Sie schon je einen Hund gese­hen?« fragte er. »Das glau­ben Sie bloß ! Sie haben immer nur etwas gese­hen, das Ihnen mit mehr oder weni­ger Recht als ein Hund vor­kam. Es hat nicht alle Hundeeigenschaften, und irgen­det­was Persönliches hat es, das wie­der kein ande­rer Hund hat. Wie sol­len wir da je im Leben ›das Richtige‹ tun ? Wir kön­nen nur etwas tun, das nie­mals das Richtige und immer mehr und weni­ger als etwas Richtiges ist. […]«

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t. 1 : « 1 »
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chap. 114  : « Une crise menace. Arnheim cour­tise le géné­ral Stumm. Diotime prend des mesures pour se rendre dans l’Illimité. Ulrich brode sur la pos­si­bi­li­té de vivre comme on lit. »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 759

Il s’ensuivit entre eux une conver­sa­tion qui aurait fait sur un tiers une impres­sion bizarre, assez sem­blable à celle d’une conver­sa­tion en langue verte, bien que le lan­gage uti­li­sé ici ne fût autre que le sabir de l’amour spi­ri­tuel laïque. C’est pour­quoi nous pré­fé­rons rendre l’esprit plu­tôt que la lettre de ce dia­logue.

La « com­mu­nau­té des par­faits altruistes », c’était une for­mule décou­verte par Hans ; elle était cepen­dant com­pré­hen­sible : plus un homme se sent altruiste, plus les choses du monde deviennent claires et fortes, plus il se fait léger, plus il se sent exal­té. Chacun connaît ce genre d’expériences ; mais il ne faut pas les confondre avec le conten­te­ment, la gaie­té, l’insouciance et cæte­ra, car ne ce sont là que des suc­cé­da­nés pour un usage vul­gaire, sinon même cor­rom­pu. Peut-être même devrait-on réser­ver à l’état authen­tique non pas le terme d’élévation, mais celui de « décui­ras­se­ment », « décui­ras­se­ment du Moi », expli­quait Hans. Il fal­lait dis­tin­guer entre les deux rem­parts de l’homme. L’un est déjà fran­chi chaque fois qu’il fait un acte bon ou gra­tuit, mais ce n’est là que le plus petit des deux murs. Le plus grand est bâti de l’égoïsme de l’homme même le plus altruiste ; c’est, tout bon­ne­ment, le Péché ori­gi­nel. Toute impres­sion sen­suelle, tout sen­ti­ment, même celui de l’abandon, est davan­tage, dans notre manière d’agir, une prise qu’un don, et il est presque impos­sible d’échapper à cette cui­rasse bar­dée d’égoïsme. Hans énu­mé­rait : le savoir n’est que l’appropriation d’un objet étran­ger ; on le tue ; on le déchi­quette, on le dévore comme une bête. Le concept, cadavre figé. La convic­tion, rela­tion pétri­fiée à jamais immuable. La recherche, affir­ma­tion. Le carac­tère, refus des méta­mor­phoses. La connais­sance d’un être, indif­fé­rence à son égard. L’introspection, ins­pec­tion. La véri­té, ten­ta­tive réus­sie pour pen­ser objec­ti­ve­ment et inhu­mai­ne­ment. Il y a dans tout cela un goût de meurtre et de gel, un désir de pos­ses­sion et de rigi­di­té, un mélange d’égoïsme et de dés­in­té­res­se­ment objec­tif, c’est-à-dire lâche, sour­nois, inau­then­tique ! « Et quand donc l’amour lui-même, deman­da Hans bien qu’il ne connût que l’innocente Gerda, sera-t-il autre chose que le désir de pos­ses­sion, ou d’abandon dans l’attente d’une contre­par­tie ? »

Ulrich approu­vait pru­dem­ment, amen­dant par­fois ces affir­ma­tions sou­vent inco­hé­rentes. Il était exact que même la souf­france et le des­sai­sis­se­ment de soi nous laissent tou­jours quelque argent de côté ; une pâle ombre d’égoïsme, une ombre gram­ma­ti­cale pour ain­si dire, res­te­rait atta­chée à tout acte tant qu’il n’y aurait pas d’attribut sans sujet.

Mais Hans pro­tes­ta vio­lem­ment. Lui et ses amis lut­taient pour savoir com­ment on doit vivre. Parfois ils admet­taient que cha­cun dût com­men­cer par vivre pour soi, et ensuite pour tous ; un autre jour, ils étaient convain­cus que chaque homme ne pou­vait réel­le­ment avoir qu’un ami, mais que celui-ci à son tour en avait besoin d’un autre, de sorte que la com­mu­nau­té se des­si­nait à leurs yeux comme une union des âmes en forme de cercle, à la manière du spectre solaire ou d’autres enchaî­ne­ments du même ordre ; mais de pré­fé­rence, ils croyaient qu’il exis­tait une loi psy­chique du sens com­mu­nau­taire que l’égoïsme ne fai­sait qu’obombrer, une énorme source de vie inté­rieure, inuti­li­sée encore, à laquelle ils attri­buaient des pos­si­bi­li­tés fan­tas­tiques. L’arbre qui lutte dans la forêt et que la forêt pro­tège ne peut pas avoir une plus vague conscience de lui-même, que les hommes sen­sibles d’aujourd’hui de l’obscure cha­leur de la masse, de sa puis­sance dyna­mique, des pro­ces­sus molé­cu­laires imper­cep­tibles qui assurent sa cohé­rence incons­ciente et lui rap­pellent à chaque res­pi­ra­tion que le plus grand, comme le plus petit, n’est jamais seul. Il en allait de même pour Ulrich. Sans doute voyait-il clai­re­ment que l’égoïsme dis­ci­pli­né, maî­tri­sé, sur lequel se fonde la vie, pro­duit une struc­ture orga­ni­sée, alors que le souffle de la com­mu­nau­té demeure le point d’intersection de rela­tions fort vagues ; per­son­nel­le­ment, il se sen­tait plu­tôt atti­ré par l’isolement, mais il n’en était pas moins tou­ché lorsque les jeunes amis de Gerda expo­saient leur extra­va­gante idée du grand mur qu’il fal­lait à tout prix fran­chir.

Hans, tan­tôt psal­mo­diant, tan­tôt per­cu­tant, dévi­dait les articles de sa foi, en regar­dant fixe­ment droit devant lui, sans rien voir. Une fêlure anor­male divi­sait la créa­tion et la par­ta­geait comme une pomme dont les deux moi­tiés aus­si­tôt se des­sèchent ; c’est pour­quoi l’on était contraint, aujourd’hui, de s’approprier d’une manière arti­fi­cielle et contre nature ce avec quoi l’on n’avait for­mé jadis qu’un seul être. Mais on pou­vait abo­lir cette divi­sion par une sorte d’ouverture de soi-même, un chan­ge­ment d’attitude. Plus un homme pou­vait s’oublier, s’effacer, se reti­rer de lui-même, plus il libé­re­rait de force en lui pour la com­mu­nau­té, comme s’il la déli­vrait d’une fausse rela­tion ; et en même temps, plus il se rap­pro­che­rait de la com­mu­nau­té, plus il devien­drait, inévi­ta­ble­ment, lui-même. Si l’on sui­vait Hans, on appre­nait aus­si que la véri­table ori­gi­na­li­té ne se mesu­rait pas à la simple et vaine sin­gu­la­ri­té, mais nais­sait de l’ouverture de soi-même et, pas­sant par des degrés ascen­dants de par­ti­ci­pa­tion et de dévoue­ment, attein­drait peut-être au degré suprême, à la com­mu­nau­té des altruistes par­faits, tota­le­ment absor­bés par le monde, degré que l’on pou­vait atteindre par cette voie !

En écou­tant ces phrases que rien ne sem­blait pou­voir rem­plir, Ulrich se deman­dait com­ment on pour­rait leur don­ner un conte­nu réel […]. Quand on pos­sède par­fai­te­ment cette langue, on peut conti­nuer à par­ler à l’infini sans aucun effort. On s’avance comme avec une lumière à la main, dont le rayon déli­cat tombe sur un aspect de la vie après l’autre, et l’on dirait que tous ces aspects, sous la forme ordi­naire qu’ils avaient dans la lumière quo­ti­dienne, n’ont été que de gros­siers mal­en­ten­dus. Comme la fonc­tion du mot « pos­sé­der », par exemple, paraît insou­te­nable lorsqu’on l’applique à des amants ! Mais cela tra­hit-il de plus nobles dési­rs de vou­loir pos­sé­der des prin­cipes ? le res­pect des enfants ? des connais­sances ? soi-même ? Ce geste agres­sif et bru­tal de quelque énorme bête écra­sant sa proie de tout le poids de son corps est pour­tant, à bon droit, l’expression pré­fé­rée et fon­da­men­tale du capi­ta­lisme ; ain­si appa­raît le rap­port entre les pos­sé­dants du monde bour­geois et ces pos­ses­seurs de connais­sances toutes faites en qui la bour­geoi­sie a trans­for­mé ses pen­seurs et ses artistes, alors que l’amour et l’ascèse se tiennent à l’écart, frère et sœur. Et ce frère et cette sœur, lorsqu’ils se réunissent, ne sont-ils pas sans but, oppo­sés aux buts de la vie ? Mais le terme de « but » est emprun­té au lan­gage des tireurs : être sans but ne signi­fie­rait-il donc pas, à l’origine, se refu­ser à tuer ? Ainsi, en sui­vant sim­ple­ment les traces de la langue (traces brouillées, mais révé­la­trices), on com­prend mieux déjà com­ment une gros­sière alté­ra­tion du sens a usur­pé par­tout la place de rela­tions plus cir­cons­pectes qui se sont per­dues défi­ni­ti­ve­ment. C’est là une situa­tion par­tout sen­sible, nulle part tan­gible.

Es ergab sich daraus ein Gespräch zwi­schen den bei­den, das auf einen Fernstehenden einen son­der­ba­ren Eindruck gemacht haben müßte, nicht unähn­lich der Unterhaltung in einem Verbrecherjargon, obwohl die­ser kein ande­rer war als eben die Mischsprache welt­lich-geist­li­cher Verliebtheit. Es ist darum vor­zu­zie­hen, diese Unterredung mehr dem Sinn nach wie­der­zu­ge­ben als in ihrem Wortlaut : die Gemeinschaft der vol­len­det Ichlosen, das war ein von Hans ent­decktes Wort, es ist aber trotz­dem zu vers­te­hen, denn je selbst­lo­ser sich ein Mensch fühlt, des­to hel­ler und stär­ker wer­den die Dinge der Welt, je leich­ter er sich macht, des­to mehr fühlt er sich geho­ben, und Erfahrungen von sol­cher Art kennt wohl jeder ; man darf sie bloß nicht mit Fröhlichkeit, Heiterkeit, Sorglosigkeit oder der­glei­chen ver­wech­seln, denn das sind nur ihre Ersätze für den nie­de­ren Gebrauch, wenn nicht gar für den ver­dor­be­nen. Vielleicht sollte man den ech­ten Zustand übe­rhaupt nicht Gehobenheit nen­nen, son­dern Entpanzerung ; Entpanzerung des Ich, so erklärte es Hans. Man müsse zwi­schen zwei Umwallungen des Menschen tren­nen. Die eine wird schon dann jedes­mal übers­tie­gen, wenn er etwas Gutes und Uneigennütziges tut, aber das ist nur die kleine Mauer. Die große bes­teht in der Selbsthaftigkeit noch des selbst­lo­ses­ten Menschen ; das ist schlecht­weg die Erbsünde ; jeder Sinneseindruck, jedes Gefühl, selbst das der Hingabe, ist in unse­rer Ausführung mehr ein Nehmen als ein Geben, und die­sem Panzer von Durchtränkung mit Eigensucht kann man kaum in irgen­dei­ner Weise entrin­nen. Hans zählte auf : So ist Wissen nichts als An-Eignung einer frem­den Sache ; man tötet, zer­reißt und ver­daut sie wie ein Tier. Begriff das reglos gewor­dene Getötete. Überzeugung, die nicht mehr verän­der­liche erkal­tete Beziehung. Forschung gleich Fest-Stellen. Charakter gleich Trägheit, sich zu wan­deln. Kenntnis eines Menschen soviel wie nicht mehr von ihm bewegt wer­den. Einsicht eine Sicht. Wahrheit der erfol­greiche Versuch, sachlich und unmen­schlich zu den­ken. In allen die­sen Beziehungen ist Tötung, Frost, ein Verlangen nach Eigentum und Erstarren und ein Gemisch von Eigensucht mit einer sachli­chen, fei­gen, heimtü­cki­schen, unech­ten Selbstlosigkeit ! »Und wann wäre« fragte Hans, obgleich er nur die unschul­dige Gerda kannte, »die Liebe selbst etwas anderes als der Wunsch nach Besitz oder Hingabe auf Gegenrechnung?!«

Ulrich stimmte die­sen nicht ganz ein­heit­li­chen Behauptungen vor­sich­tig und abän­dernd bei. Es sei rich­tig, daß auch das Erleiden und Sichentäußern einen Sparpfennig für uns selbst übri­glasse ; ein blas­ser, sozu­sa­gen gram­ma­ti­ka­li­scher Schatten von Egoismus bleibe auf allem Tun haf­ten, solange es keine Prädikate ohne Subjekt gebe.

Aber Hans lehnte hef­tig ab. Er und seine Freunde strit­ten, wie man leben solle. Manchmal nah­men sie an, daß jeder zunächst für sich und dann erst für alle leben müsse ; ein ander­mal waren sie über­zeugt, daß jeder ganz wah­rhaft nur einen Freund haben könne, aber die­ser doch wie­der einen ande­ren Freund brauche, wonach sich ihnen die Gemeinschaft als eine Seelenverbindung im Kreis, nach Art des Farbenspektrums oder ande­rer glied­wei­sen Verkettungen dars­tellte ; am liebs­ten aber glaub­ten sie daran, daß es ein see­lisches, von der Ichsucht bloß über­schat­tetes Gesetz des Gemeinschaftssinns gebe, eine innere, unge­heure, noch nicht aus­genützte Lebensquelle, der sie aben­teuer­liche Möglichkeiten zuschrie­ben. Nicht unge­wis­ser kann sich der Baum, im Walde kämp­fend und vom Wald gehegt, vor­kom­men, als empfän­gliche Menschen heute die dunkle Wärme der Masse, ihre Bewegungskraft, die mole­ku­lar unsicht­ba­ren Vorgänge ihres unbe­wuß­ten Zusammenhaltens emp­fin­den, die sie bei jedem Atemzug daran erin­nern, daß der Größte wie der Kleinste nicht allein sei ; so erging es auch Ulrich ; er sah wohl klar, daß der gezähmte Egoismus, aus dem sich das Leben auf­baut, ein geord­netes Gefüge ergibt, woge­gen der Atem der Gemeinsamkeit nur ein Inbegriff unk­la­rer Zusammenhänge bleibt, und er war für seine Person sogar ein zur Absonderung nei­gen­der Mensch, aber es ging ihm eigentüm­lich nahe, wenn die jun­gen Freunde Gerdas ihre aus­sch­wei­fende Behauptung von der großen Mauer auf­stell­ten, die übers­tie­gen wer­den müsse.

Hans spulte, bald leiernd, bald stoßend, die Augen, ohne zu sehen, voraus­ge­rich­tet, seine Glaubenssätze ab. Eine unnatür­liche Trennung laufe durch die Schöpfung und teile sie wie einen Apfel, des­sen beide Hälften daran aus­tro­ck­nen. Man müsse sich darum auf künst­liche und wider­natür­liche Weise heute anei­gnen, womit man vor­dem eins war. Man könne aber diese Trennung auf­he­ben, durch irgen­dein Sichöffnen, ein geän­dertes Verhalten, denn je mehr jemand sich ver­ges­sen, auslö­schen, von sich abrü­cken könne, des­to mehr Kraft für die Gemeinschaft werde in ihm frei, so als würde sie aus einer fal­schen Verbindung befreit ; und zugleich müsse er, je mehr er sich der Gemeinschaft nähere, des­to eige­ner wer­den ; denn folgte man Hans, so erfuhr man auch, daß der Grad der wah­ren Originalität nicht im eit­len Besonderssein bes­chlos­sen liege, son­dern durch das Sichöffnen ents­tehe, in stei­gende Grade des Teilnehmens und der Hingabe hinein, viel­leicht bis zu dem höchs­ten Grad einer Gemeinschaft der ganz von der Welt auf­ge­nom­me­nen, vol­len­det Ichlosen, den man auf diese Weise zu errei­chen vermöchte !

Diese schein­bar durch nichts aus­zufül­len­den Sätze ließen Ulrich träu­men, wie man ihnen einen wirk­li­chen Inhalt geben könnte […]. Man ver­mag, wenn man diese Sprache beherr­scht, in ihrer Anwendung mühe­los fort­zu­fah­ren. Man geht wie mit einem Licht in der Hand, des­sen zar­ter Strahl auf eine Beziehung des Lebens nach der ande­ren fällt, und alle sehen sie aus, als wären sie in ihrer gewöhn­li­chen Erscheinung, die sie im fes­ten Alletaglicht haben, nur rohe Mißverständnisse gewe­sen. Wie unmö­glich erscheint zum Beispiel sogleich die Gebärde des Wortes »besit­zen«, wenn man sie auf Liebende anwen­det ! Aber verrät es schö­ner anmu­tende Wünsche, daß man Grundsätze be-sit­zen möchte ? die Achtung sei­ner Kinder ? Gedanken ? sich selbst ? Diese plumpe Angriffsgebärde eines schwe­ren Tiers, das seine Beute mit dem gan­zen Körper nie­der­drückt, ist jedoch berech­tig­ter­weise der Grund- und Leibausdruck des Kapitalismus, und so zeigt sich darin der Zusammenhang zwi­schen den Besitzenden des bür­ger­li­chen Lebens und den Besitzern von Erkenntnissen und Fertigkeiten, zu denen es seine Denker und Künstler gemacht hat, wäh­rend abseits Liebe und Askese als ein ein­sames Geschwisterpaar ste­hen. Und sind diese Geschwister, wenn sie bei­sam­men stehn, nicht ziel­los und zwe­ck­los, im Gegensatz zu den Zielen und Zwecken des Lebens ? Es stam­men aber die Namen Ziel und Zweck aus der Sprache der Schützen : Bedeutet also ziel­los und zwe­ck­los in sei­nem urs­prün­gli­chen Zusammenhang nicht soviel wie kein Tötender sein ? So kommt man bloß dadurch, daß man die Spur der Sprache ver­folgt – eine ver­wi­schte, aber verrä­te­rische Spur ! – schon darauf, wie sich alle­ror­ten der roh verän­derte Sinn an die Stelle von bedacht­sa­me­ren Beziehungen gedrängt hat, die ganz ver­lo­ren­ge­gan­gen sind. Es ist das wie ein übe­rall zu füh­len­der, nir­gends zu fas­sen­der Zusammenhang […].

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t. 1
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chap. 113  : « Ulrich, s’entretenant avec Hans Sepp et Gerda, adopte le sabir de la zone fron­tière entre la sur­ra­tio­na­li­té et la sous-ratio­na­li­té »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 738–743

Avoir de l’intuition était alors à la mode chez tous ceux qui n’arrivaient pas à jus­ti­fier entiè­re­ment leur acti­vi­té par la rai­son. Cela jouait à peu près le même rôle qu’en ce moment le fait d’être « dyna­mique ». Tout ce que l’on fai­sait faux, tout ce qui ne vous don­nait pas entière et pro­fonde satis­fac­tion, était jus­ti­fié sous pré­texte d’être fait pour ou par l’intuition. On recou­rait à l’intuition pour cuire un plat comme pour écrire un livre.

Intuition zu haben, war damals bei allen Leuten an der Zeit, die ihr Tun mit der Vernunft nicht recht verant­wor­ten konn­ten ; es spielte ungefähr die gleiche Rolle, die es augen­bli­ck­lich inne­hat, Tempo zu besit­zen. Alles, was man falsch machte oder was einem zu innerst nicht res­t­los gelang, wurde dadurch gerecht­fer­tigt, daß es für die Intuition oder durch sie ges­chaf­fen sei, und man benutzte Intuition sowohl zum Kochen wie zum Bücherschreiben…

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t. 1
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chap. 112  : « Arnheim range son père Samuel au nombre des dieux et décide de conqué­rir Ulrich. Soliman vou­drait en savoir davan­tage sur son royal père. »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 725

C’est à par­tir de ces évé­ne­ments imper­son­nels que se construit, d’une manière encore impos­sible à décrire, l’événement per­son­nel. Si l’on dépouillait le cas de Moosbrugger de tout le roman­tisme indi­vi­duel qui ne concer­nait que lui et les quelques per­sonnes qu’il avait tuées, il ne res­tait plus guère que ce qui s’exprimait dans la liste des réfé­rences que le père d’Ulrich avait jointe à l’une de ses der­nières mis­sives. Ces réfé­rences ont l’aspect sui­vant : AH. – AMP. – AAC. – AKA. – AP. – ASZ. – BKL. – BGK. – BUD. – CN. – DTJ. – DJZ. – FBgM. – GA. – GS. – JKV. – KESA. – MMW. – NG. – PNW. – R. – VSgM. – WMW. – ZGS. – ZMB. – ZP. – ZSS. – Addickes ibid. – Aschaffenburg, ibid. – Beling, ibid. etc., etc. – autre­ment dit : Annales d’Hygiène publique et de Médecine légale, éd. Brouardel, Paris ; Annales Médico-Psychologiques, éd. Ritti… etc., etc., le tout abré­gé au maxi­mum une page durant. La véri­té n’est pas un cris­tal de roche que l’on puisse glis­ser dans sa poche, mais un liquide sans limites dans lequel on tombe. Que l’on ima­gine, pour cha­cune de ces abré­via­tions, quelques cen­taines ou dou­zaines de pages impri­mées, pour chaque page un homme avec dix doigts qui les écrit, pour chaque doigt dix dis­ciples et dix adver­saires, pour chaque dis­ciple et chaque adver­saire dix doigts, pour chaque doigt la dixième par­tie d’une idée per­son­nelle, et l’on se fera une petite repré­sen­ta­tion de la véri­té.

Aus sol­chen unpersön­li­chen Geschehnissen setzt sich in einer Weise das persön­liche Geschehen zusam­men, die vorläu­fig unbes­chrei­blich ist. Und wenn man Moosbruggers Fall alles indi­vi­duell Romantischen entk­lei­dete, das nur ihn und die paar Menschen anging, die er ermor­det hatte, so blieb von ihm nicht mehr als ungefähr das übrig, was sich in dem Verzeichnis von zitier­ten Schriften aus­drückte, das Ulrichs Vater einer jüng­sten Zuschrift an sei­nen Sohn bei­ge­legt hatte. Ein solches Verzeichnis sieht fol­gen­der­maßen aus : AH. – AMP. – AAC. – AKA. – AP. – ASZ. – BKL. – BGK. – BUD. – CN. – DTJ. – DJZ. – FBgM. – GA. – GS. – JKV. – KBSA. – MMW. – NG. – PNW. – R. – VSgM. – WMW. – ZGS. – ZMB. – ZP. – ZSS. – Addickes a. a. O. – Aschaffenburg a. a. O. – Beling a. a. O. usw. usw. – oder in Worte über­setzt : Annales d’Hygiène Publique et de Médicine légale, hgb. v. Brouardel, Paris ; Annales Médico-Psychologiques, hgb. v. Ritti… usw. usw. in kür­zes­ten Abkürzungen eine Seite lang. Die Wahrheit ist eben kein Kristall, den man in die Tasche ste­cken kann, son­dern eine unend­liche Flüssigkeit, in die man hineinfällt. Man denke sich an jede die­ser Abkürzungen einige Hundert oder Dutzend Druckseiten geknüpft, an jede Seite einen Mann mit zehn Fingern, der sie schreibt, an jeden Finger zehn Schüler und zehn Gegner, an jeden Schüler und Gegner zehn Finger, und an jeden Finger den zehn­ten Teil einer persön­li­chen Idee, so gewinnt man eine kleine Vorstellung von ihr.

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t. 1
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chap. 110  : « Dissolution et conser­va­tion de Moosbrugger »
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trad.  Philippe Jaccottet
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p. 710–711