28 05 21

Dans une des­crip­tion lit­té­raire ou ordi­naire on va d’un mot à l’autre, et l’homme ordi­naire tout comme le lit­té­ra­teur se per­suade qu’entre les objets se déploie un espace plus ou moins inté­res­sant, plus ou moins pauvre et inof­fen­sif, connu ou pré­vi­sible, vide, neutre, dis­pa­rate. L’incident se pro­duit, et par­fois la pen­sée avec, quand un objet ou un être se met à faire quelque chose, et qu’a­lors peut-être entre deux objets ou êtres, entre un objet et un être, etc., un lien s’é­ta­blit, que l’in­si­gni­fiant signi­fie sou­dain. Il est sou­vent pos­sible de racon­ter ce qui arrive de manière plus ou moins pit­to­resque et savante, qui n’a pas été témoin d’une col­li­sion entre véhi­cules ? De l’é­tat de la chaus­sée à l’al­coo­test, de l’Aménagement du Territoire aux Maladies, du jean du chauf­feur à la délin­quance, etc., l’entre des choses, des faits et gestes se rem­plit met­tons d’un pul­lu­le­ment. Où com­mence la rela­tion, où com­mence le terme, même s’ils s’a­chèvent ensemble dans le constat à l’a­miable ou à la morge pour parer au plus pres­sé ?
Anthropomortphique, égo­tique, heu­reux, encom­bré d’une langue baveuse, j’en refais pour faire l’in­té­res­sant, avec hypo­cri­sie, puisque me fas­cinent éga­le­ment ces variables qui font bip-bip, inéqua­tion sans mucus où s’a­bîment acteurs et cir­cons­tances, noms, verbes, adjec­tifs, adverbes et quelques autres vétilles (). Du bor­bo­rygme enfan­tin aux sublimes sché­mas impro­non­çables, du corps à la machine. Une machine pour­ra cou­vrir que ce ne sera pas un art, c’est-à-dire qu’il y aura du ratage, des pro­duits défec­tueux, des loups. L’artiste connaît bien des dif­fi­cul­tés et des obs­tacles, il peut rater non seule­ment une toile (et aus­si repeindre des­sus) mais d’une cer­taine façon sa vie, il ne fabrique pas de loup, sauf méca­ni­sa­tion du tra­vail. L’artiste efface, déplace, ratrappe un pli, emploie défaut et erreur sans les enrô­ler, il inuti­lise l’ou­til, jus­qu’à ce que tout vienne à terme. Une machine est tou­jours un ter­mi­nal, même si au long du par­cours tout est pré­vu pour rec­ti­fier, aler­ter. C’est le grand arran­ge­ment, on ne peut pas s’ar­ran­ger avec. D’où inévi­ta­ble­ment les sabo­tages. L’art, lui, peut sim­ple­ment dis­pa­raître. Beaucoup plus faci­le­ment que la pen­sée chez un idiot.
Le pro­jet d’une machine est enfer­mé inté­gra­le­ment dans une struc­ture arrê­tée, la rétro-action est tout ce qu’on veut sauf une action. Qu’on lubri­fie une machine, la munisse d’un régu­la­teur de lubri­fi­ca­tion, il sub­siste une ques­tion du genre : va-t-on lubri­fier le lubri­fi­ca­teur ? etc. Une rela­tion peut bien écla­ter, des termes se modi­fier ou s’é­va­nouir, d’autres sché­mas s’é­ta­blir, d’autres machines, tota­le­ment dif­fé­rentes, par le biais de mathé­ma­tiques inouïes, il a fal­lu en pas­ser par la langue baveuse, il fau­dra repo­ser le pied au sol.

« L’art de cou­vrir »
Archipel plu­sieurs [1981]
Flammarion 2021
p. 351–352
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