Dans une description littéraire ou ordinaire on va d’un mot à l’autre, et l’homme ordinaire tout comme le littérateur se persuade qu’entre les objets se déploie un espace plus ou moins intéressant, plus ou moins pauvre et inoffensif, connu ou prévisible, vide, neutre, disparate. L’incident se produit, et parfois la pensée avec, quand un objet ou un être se met à faire quelque chose, et qu’alors peut-être entre deux objets ou êtres, entre un objet et un être, etc., un lien s’établit, que l’insignifiant signifie soudain. Il est souvent possible de raconter ce qui arrive de manière plus ou moins pittoresque et savante, qui n’a pas été témoin d’une collision entre véhicules ? De l’état de la chaussée à l’alcootest, de l’Aménagement du Territoire aux Maladies, du jean du chauffeur à la délinquance, etc., l’entre des choses, des faits et gestes se remplit mettons d’un pullulement. Où commence la relation, où commence le terme, même s’ils s’achèvent ensemble dans le constat à l’amiable ou à la morge pour parer au plus pressé ?
Anthropomortphique, égotique, heureux, encombré d’une langue baveuse, j’en refais pour faire l’intéressant, avec hypocrisie, puisque me fascinent également ces variables qui font bip-bip, inéquation sans mucus où s’abîment acteurs et circonstances, noms, verbes, adjectifs, adverbes et quelques autres vétilles (). Du borborygme enfantin aux sublimes schémas imprononçables, du corps à la machine. Une machine pourra couvrir que ce ne sera pas un art, c’est-à-dire qu’il y aura du ratage, des produits défectueux, des loups. L’artiste connaît bien des difficultés et des obstacles, il peut rater non seulement une toile (et aussi repeindre dessus) mais d’une certaine façon sa vie, il ne fabrique pas de loup, sauf mécanisation du travail. L’artiste efface, déplace, ratrappe un pli, emploie défaut et erreur sans les enrôler, il inutilise l’outil, jusqu’à ce que tout vienne à terme. Une machine est toujours un terminal, même si au long du parcours tout est prévu pour rectifier, alerter. C’est le grand arrangement, on ne peut pas s’arranger avec. D’où inévitablement les sabotages. L’art, lui, peut simplement disparaître. Beaucoup plus facilement que la pensée chez un idiot.
Le projet d’une machine est enfermé intégralement dans une structure arrêtée, la rétro-action est tout ce qu’on veut sauf une action. Qu’on lubrifie une machine, la munisse d’un régulateur de lubrification, il subsiste une question du genre : va-t-on lubrifier le lubrificateur ? etc. Une relation peut bien éclater, des termes se modifier ou s’évanouir, d’autres schémas s’établir, d’autres machines, totalement différentes, par le biais de mathématiques inouïes, il a fallu en passer par la langue baveuse, il faudra reposer le pied au sol.
28 05 21
« L’art de couvrir »
Archipel plusieurs
[1981]
Flammarion
2021
p. 351–352
éd. L. L. de Mars