Des kangourous vivent en autonomie dans la forêt de Rambouillet depuis une quarantaine d’années, après que leurs ancêtres se sont échappés d’une réserve. Des amies sont allées à leur recherche. Les kangourous sont demeurés introuvables mais toute disposition accidentelle dans la forêt a pu être interprétée comme leur trace. Ce texte a été écrit pour accompagner les tirages cyanotypes de ces photos de kangourous absents.
La puissance végétale présente, comme chacune des autres puissances, treize harmonies. La première est céleste, ou soli-lunaire ; six sont physiques, et six sont morales. Dans les six physiques, trois sont élémentaires, l’aérienne, l’aquatique, la terrestre ; trois sont organisées, la végétale, l’animale et l’humaine. Dans les morales, il y en a pareillement trois élémentaires, la fraternelle, la conjugale, la maternelle ; et trois organisées ou sociales, la spécifiante, la générique et la sphérique.1
Il n’y a personne à organiser. Nous sommes ce matériau qui grandit de l’intérieur, s’organise et se développe.2
Tout animal est dans le monde comme de l’eau à l’intérieur de l’eau.3
Tout s’engendre aux intersections. Tout se génère à l’abri de son genre. Tout est à la fois saturé de généricité et profondément isolé. Tout finit par s’échapper de la baudruche mais pour cela y est entré. Tout arrive rond. Rien ne fait exception.
De tous temps et dans toutes les classes, l’Homme qui rôde autour de nous jusqu’à nous fixer en pronoms, de tous temps l’Homme fixeur qui nous tient en respect dans des personnels (de personne) ou des toniques (d’appui) et qu’il convient d’appeler notre Homme, notre Homme entretient le désir de s’échapper sans disparaître, désir ardent de nature à nourrir notre Homme mais à la fois le consumer.
Cette histoire s’appelle aventure. C’est une Histoire de la Nature. Rien n’y fait défection.
Mais évidemment il y a des moments dans l’Histoire de notre Homme où il trouve humiliant d’avoir choisi la couleur de sa cape ou le revêtement de ses bottes, des moments de la Nature de notre Homme où il n’y a jusqu’à la composition du dépôt formé dans ses pores par les nuits de veille et d’extase dont il se sente la dupe. C’est en ces moments que notre Homme consonne.
Tout consonne avec son semblable en harmonies élémentaires (hominale, canine, animale) et contraste avec son dissemblable en harmonies sociales au nombre de trois également (spécifiante, générique, sphérique).
Tout aboule ou va s’aboulant ; même les récalcitrants en viennent à être amenés finir abouler, et ceux qui sont à abouler volontaires mais diminués arrivent aussi cahin-caha à abouler de manière tout aussi spécifique, tout aussi générique, sphériques.
Que la Nature en dupe, c’est l’évidence que notre Homme fait de ce qui aboule animal et vit dans la forêt ou les jardins publics où la bestialité a cours d’après notre Homme, notre idée qu’il se fait des animalement aboulés est celle de dupes de leurs features, à l’étroit dans leur couture, dupes de ce qui les coud, de ce qui les secoue, les tient en respect, les anime, dans l’impasse des configurations animées de la matière, et dans cette camisole. Formes inconnaissables, puissances insondables, dures en affaire même au fort de la crise.
Il n’y a pas de nous non rotond. La rotondité domine et sous-traite. Tout est soit toujours aboulant soit ayant aboulé. La collimation est automatique, instantanée. Rien ne se fait nulle part sans que ça se laisse ou fasse sentir quelque part voire hors de tout respect (un kangourou ne fait pas exception).
Les animaux, les gens, tout ce qui s’apparente suffisamment à notre Homme pour nous animer et suffisamment pas pour que ce que nous pouvons en dire drifte inéluctablement versl’indexation,la désignation,l’inventaire,les animaux, les gens sentent bien les coups, ce qui est à dire qu’ils sentent bien et qu’en tout cas dans le sac d’animés ils sont ceux qui sentent le mieux.
Mais c’est une impression de Nature qu’invalide le témoignage de nos Chiens, qui rôdent autour de nous au point de nous tenir en respect parfois dans une impasse avec des pronoms toujours plus personnels et bientôt toniques au point de l’affermissement ; nos Chiens qui jamais ne défaillent avaient bien dit que les animaux savent alors que notre Homme maintenait que les animaux sentent comme s’il n’avait pas entendu, étant absent ou s’exceptant. Ce témoignage avait pourtant beaucoup à dire de tout, sans que le kangourou fasse exception.
Témoignaient nos Chiens et maintenait notre Homme, au même instant en aboulaient – une époque tout à fait particulière ; la Nature était un jeu de dupes où les dupes étaient nommées dupes pour qu’on les reconnaisse. Nature était pour ainsi dire un jeu de dupes à dupes fixes, fidèles, jamais totalement défaites en l’espèce mais ne faisant jamais défection dans leur genre. Nature était stable en ses lois. Nature manifestait en la stabilité de ses critères une légalité naturelle, interne, sphérique.
Nature était instituée ; Nature n’était pas pipée ; il n’y avait pas encore dans Nature de coquille. Pour Nature on entrait “nature” et pas “naure” et ça faisait une différence.
Les harmonies vont en progression de puissance. La seconde des trois réunit en elle et accroît les facultés de la première, la troisième celles de la seconde et de la première (l’animal est un chien en son homme ; la sphère une espèce en son genre). Sans que de ce qui précède et qui suit jamais le kangourou ne s’excepte.
On entend souvent parler de la naure en terme de classe, section ou petite section, et rarement notre Homme s’assigne pour tâche de se fourbir des taxons ronds.
S’engendrer signifie s’abouler qui signifie faire un dessin de soi dans sa classe. L’espèce pense ; le genre sentait. Les valences en s’abouler sontactives et passives,positives et négatives, et il en est de même pour notre Homme.
D’où que s’abouler organise deux à deux les contrastes avec d’une part se spécifier et d’autre part arriver rond. Notre Homme contraste en sa puissance ; il consonne en son genre, naurellement.
Kangourou n’est pas là. Kangourou est à une intersection où jamais la collimation. Kangourou est un cul de son sac. À la fois isolé et commun : l’isolement laisse une empreinte dans le commun ; le commun est marqué d’isolement. Naurellement.
Nous rencontrons parfois des Gens réunis en associations, soit qu’ils consonnent, soit qu’ils contrastent et considèrent leurs contrastes déterminants, lieu d’aboulement. Par exemple l’association des défenseurs de l’espèce lapin tête de lion – pas que celle-ci soit en danger, mais elle n’est pas scientifiquement reconnue parce que le critère génétique crinière n’est pas considéré stable.
Certains contrastes ou critères sont, de l’avis de ceux qui enrôlent, enrobent, enrôdent, durs à fixer. Le critère crinière est de ceux-ci, relativement pour sûr à ceux de lapin ou de lion.
Que le contraste soit célébré comme le lieu de l’aboulement le rend immédiatement suspect d’être en fait un lieu d’aventure, un parc d’attraction, une poche où ce qui s’excepte s’organise en vue de stabilisation.
Or sans que rien dans la composition des atmosphères ne le signale, une expertise grandeur Nature a lieu constamment en vue de stabiliser les contrastes. Sans que rien dans la composition des traînées, des eaux minérales ou des vaccins BCG ne le signale, une opération d’envergure Nature établit deux à deux les contrastes en fonction des spéciations consenties et de la rotondité nécessaire des nouvelles arrivées.
Que des contrastants se ressemblent et s’assemblent a nourri beaucoup d’aventures et mis fin à maints aboulements. La génétique a montré souvent, à de systématiques occasions, que la ressemblance – terme idiot – n’était pas un critère admissible pour juger d’une proximité.
Ainsi que Pétrarque l’a dit à propos de tout autre chose, la ressemblance ne fait pas tant l’un comme les différences font l’autre, ou autrement traduit dans une langue moins fruste, les similitudes ne constituent pas autant l’identité que les contrastes établissent la différence.
Mais consonnant en ce qu’ils contrastent, nos Gens s’organisent par défaut, s’organisent pour répondre aux questions de naure à se maintenir en respect, questions qui les concernent au titre de notre Homme, nos Chiens et des animés mystériaux :
Quelle différence entre un kangourou et pas de kangourou à l’intersection ? Qu’intersecte une collimation ? Quelle stabilité pour le critère dent, crinière, poche placentaire ? Le lapin tête de lion est-il bistable ou divers : est-il lapin et lion à la fois, ou est-il alternativement ou successivement l’un et l’autre ? Quelle image multistable de nous-mêmes est-on légitimes à produire de nous-mêmes ? Avons-nous pour notre généricité l’égard et la rigueur que nous avons pour le générique lapin, lion, dent ou poche placentaire ?
Ces questions, nos Gens réunis en contraste d’associations les posent en lions (férocement, souverainement) pour mieux y répondre en lapins (par bonds, par approximations, en rongeant patiemment les grosses cordes des évidences). Car nos Gens sont ronds aboulés dans la collimation.
Nous comme nos Gens n’existons pas dans la naure “comme poisson dans l’eau” ; nous sommes la naure même dans laquelle aboulent notre Homme et nos Gens, nos Chiens et les animés mystérieux, pour beaucoup disparus mais ayant concouru. Nous ne nous cachons pas en embuscade dans la naure, car c’est aussi bien en nous que la naure se cache. Il n’y a personne à organiser, rien à animer, aucune poche d’exception. Qui a disparu aura concouru. Qui s’est échappé ne sera pas excepté. Nous sommes cette baudruche qui gonfle de l’intérieur, s’organise et se développe. Et une fois échappés nous disparaissons, comme un kangourou qui ne ferait pas exception.
Mais qu’est-ce que ça peut faire comme bruit un kangourou ?
Aude Laporte, Kimberly Clark, Antoine Hummel, Magdalena Lamri
2017, 24 pages