Les rimes chiraquiennes est un recueil de rimes, un chien subjectif aujourd’hui.
AVANT PROPOS
Les rimes chiraquiennes sont prometteuses, sont fantaisistes, sont canines et sont ordurières, souvent déçoivent les chiraquiennes, ce sont des ramas clinquants de brics mathétiques et truqués1 pris au cours sur la préparation du roman de Roland Barthes et de brocs pillés à la Vita Nuova de Dante lue en VOSTFR.
Les rimes chiraquiennes s’intéressent au patrimoine divers de chuintantes, sifflantes, vélaires, pépiantes, piaulantes qui font le bonheur commun du poète et des deux chansonniers cités.
Chaques rimes sont accompagnées d’une prose (essence de prose) et d’un commentaire en prose (étoffe de vers), qui, comme dans Dante, forment un étau autour des vers torchiés.
La prose ouvrante (essence) n’explique pas, elle contextualise, donne des indications scénaristiques, tangente la narrative. C’est la cause rationnelle (ragionata cagione) des vers qui minaudent à sa suite.
Le commentaire fermant (étoffe) n’explique pas non plus, il découpe pour élucider la fascination qui conduisit aux vers (dichiarare cotale dubitazione), donne des indications scolastiques et prosodiques béton.
Attenzione. Attenzione. Attentivi ensembili. Les rimes chiraquiennes sont contingemment italianisantes ; l’italien n’est pas italien connu, ce n’est qu’un italien perçu, et plutôt perçu comme une langue dans laquelle on ne se refuse rien.
Ne rien se refuser est pris comme comble de l’homologie perçue entre Roland Barthes et Jacques Chirac, deux beaux parleurs du 20e siècle auxquels on a tissé des boubous et demandé finalement peu de comptes.
Le mot boubou fait rire, comme une fois le bruit et l’odeur firent pouffer une foule de pantres punais ; le poème continue dans cette odeur de merde. Le poème porte ses puns empoissants au lecteur ; les puns du poème se disent dans des mots qui sont des éclats, des épiphanies de fait-rire que j’appellerai par commodité d’un nom latin : les risibilia. Le poème présente ses risibilia, et si éventuellement un risibile échoue à faire rire, le poème s’arrêtera. C’est la règle que je me fixe, c’est l’engagement que je prends devant vous.
Premières rimes chiraquiennes
Dans le U‑Bahn vers Spandau (« 43 minutes toutes les 5 minutes »), j’écoutais le cours de Barthes sur la Préparation du roman, dont la neuvième séance s’ouvre sur la digression dite des chiens , chiens pendant lesquels le mot « immédiat » – au masculin mais « t » sonore – revient deux ou trois fois pour désigner les manifestations de l’affect canin, avant que Barthes, concluant par un décasyllabe d’une régularité parfaite (4 // 6) , ne décrive l’avènement d’un « nouvel homme, au fond, » qui aurait la puissance affectuelle d’un chien ; il décrit un « délire sur les visages [et] dans la communication », comme Dante dit ne pas pouvoir cacher l’émoi qui le dévore les jours suivant le salut de B.
Barthes
immediat
digraisse l’appât, nomme
Chien l’Amor (Amour)
parce que porterait pas nel viso rapiat
(le visage avare, chien)
mais a la coda tante
(à la queue tant)
de le sue insigne (insignes)
che questo délirio nella com
ce rire
ne se peutrait ricovrire
d’amour, de chien
(dramatiques homologues du bas latinien uomo loque
nom donné à à peu près tout)
ce qui a le charme à l’écran de cracher
un fait-entendre, un fait-sentir, un fait-remonter le délire
hahas sans coup portir et sans monstrer sulle facce
la persistance
du nuovel uomo fond
dans la fascination fascinée fascinante autorise
des incartades affectuelles
un délirio sulle facce avant que
(l’efface)
le repenti étête, inévitable, avec le code degli occhi
(la queue des yeux)
menant ignominieusement au coin
Ce poème a trois parties. La première est Barthes, la deuxième rime quasiment grâce à la prononciation d’immédiat, la troisième commence à patte et s’achève à . La prononciation de Barthes du mot « immédiat » produit un flash (un fait-rire) et convoque le souvenir des liaisons chiraquiennes (systématiques, libres, enjambant les incises et les parenthèses…) . Ce moment chiraquien de Barthes – perçu comme chiraquien mais en fait Roland comme souvent force la prononciation pour faire remonter l’étymon latin –, ce moment chiraquien, tout à coup, fait mindfuck (comme on dit « fait échec »), casse un ressort, me révèle qu’on peut être fuck yeah (1, 2) et en même temps ce genre d’hommes bien mis aux affects complus. Je décide alors de me couler, pour écrire un recueil de pure poésie, dans cet état de perversité accorte, de remonter à mon esprit ce que la complaisance pourrait faire surgir de compromission, ce qu’un enthousiasme lâché pourrait faire surgir de culpabilité. On pourra me reprocher de faire une machine commune de flanelle et de jute, alors je préciserais qu’aimant Barthes, son cours la prépa du ronroman m’ennuie ; et qu’honnissant Chirac, j’ai le même misérable faible que tout le monde pour sa sorte de canaillerie laquée qui sent bon le tabac d’avant les cancers.
Sechondes rimes quiraciennes
Dans le U‑bahn richtung Spandau, j’écoutais le cours de Barthes sur le haïku et sa digression sur les chiens en ouverture de la huitième séance m’a rappelé Doge, un mème qui figure un shiba troublé, et comme je lisais au même moment la version bilingue de la Vita Nuova de Dante, j’avais de l’italien plein la tête, et je me suis rappelé un passage du Decameron qui fait dire à une fille qu’elle préfère un homme nécessiteux plutôt qu’une opulence en déficit d’humanité ou de virilité2.
Preferisco
ce nuovel homme-shiba
cainino-queue ch’e chien oi-mème
che bisogna gli suoi affetti, agite ses treats
un petit Alaskan Klee Kai, kai
di uomino che uccida
maltrite, bisogne — bise & besogne — ses caniniz
frénétiquement fût-ce, même,
dans de complaisamment mauvais haïkaï.
Le poème se divise en trois parties. La première partie se termine à preferisco, la deuxième à kai, la troisième à haïkaï. Dans ce poème j’ai essayé de parler italien et j’ai découvert un nouveau type de chien3. Comme des gens plus anciens parlant un meilleur italien ont découvert un nouveau type d’homme, j’ai décidé de faire de l’Alaskan Klee Kai le nom pour moi d’un nouvel homme, virage éthique personnaliste, comme pour Barthes l’étude des haïkaï avait établi dans un rapport renouvelé au time et weather l’éthique d’une seconde partie de vie, typique des volontarismes mezzo-camminesques dont on se moque moins souvent que des velléités d’ados.
Tersièmes rimes circachiennes
Dans le U‑Bahn richtung Spandau, j’écoutais Barthes sur les tangibilia , ces mots qui tendent leurs référents comme un museau pour la caresse. Barthes compare le tangibile à la fleur hors de tout bouquet dont parle Mallarmé , prise comme exemple du « mot poétique » flasheur de référent . Il donne l’exemple d’un haïku où de la verveine blanche se met à briller sous la lune comme une voie lactée . Au même moment je bois des thés, c’est même une période où je choisis mes thés – je lis les étiquettes, je me renseigne sur les plantes, celles mal- & bienfaisantes, et sur les mélanges efficaces pour lutter contre une petite déprime, majorée après les repas, et la persistance de l’idée de mort, en général, à toute heure et partout. Je finis par tomber sur un arôme quelconque mais qui facticement – ou circonstanciellement sûrement – me donne l’impression d’une via nova vers le bonheur parce que vers la santé (depuis que je vis en Allemagne, je n’aperçois la possibilité d’être heureux qu’à travers la possibilité d’être sain). Ce thé, qui aurait pu s’appeler detox, toux grasse ou ventre plat, ce thé n’est qu’un ordinaire verveine menthe, mais améliore tangiblement le sentiment d’être en état.
Tangibliaque, touché,
en pleine nuit flashe
mon référent débouqueté, feuilles écartées,
décide de ne faire que des verveines mente
croyant che difendisse la sua veduta
dalla malta, regardissant
la verveine blanche, croyant
que sa vue m’éviterait le torchis
souventes fois revient a la mente
la verveine blanche, sa menthe
qui soudain flashe a la mente
si che souvent, souvent
ne la mente more (dans la menthe s’évanouit
dure quatre noires, meurt
l’esprit de tout bouquet, tangible débouqueté
de toutes miscellanées) car rien
ne me ritraggonera, pas même les passate passioni,
da cercare la veduta die costei, queste verveine,
là – en dépit des dépits passés,
rien ne m’empêche de me reprendre
une verveine tranche (queste fleur orbouquée)
un débouquethé a la mente (feuilles écartées d’aucun bouquin,
verveine d’aucun thé, veine d’aucune artère : direct à la mente)
dirett’à la morte, con ciò sia cosa
et voici que, c’est que, qu’est-ce que
vedemo cadere l’acqua
mischiata di bella neve, l’eau tombée l’on la voit
mêlée de verleine bianche
mais noire aussi
comme si piovée
des touffes de neiges miscellanes, couvrantes
d’essences de verveine blanche bienfaisantée, menthée
montant à la tempe, se tassent
dans des passate passioni putassiers
un tamis de mente comme un fait semblant qui fait voir
similaire au fait de verveine
tangibilée, flashant ses moires
(verveine blanche contre verveine noire
menthe morte versus menthe noire)
della tasse bientôt nasce (naît)
un disio del” apiacente (envie d’envie, désir de l’appâtant
parent dell”) simil face nell”
OMO VALENTE
(la vervéna bianch” ou nera qui monte à la mente valeure les passioni : )
simili fait, simil face, smiley.
Ce poème se divise en quatre parties. La première partie se termine à flashe à la mente et contient elle-même plein de parties. La deuxième partie finit à direct à la mente ou à ciò sia cosa. La troisième partie envoie les secours mais stoppe à putassiers. Le reste est un peu faible, et c’est déjà la fin. Dans ce poème j’essaie de forcer des homophonies, de les motiver mais j’admets finalement qu’elles ne sont qu’une moue du désir, certes autocajoleur. Le tangibile fait partie de ce dépôt d’outils que Barthes fouille pour s’équiper devant les haïkaï. Ce dépôt est une bastringue impressionniste : tout à coup, le vocabulaire fait valser les abstraits. Le tangibile pour Roland c’est la chose dans sa concrétude en tant que sa concrétude est la surface d’interaction avec le touché – cette tangibilité apparaissant dans le haïku comme un « flash du référent », un fait-voir qui convoque quelque chose comme de la présence pure (pure parce que purement contingente). Cette contingence à la fois valide une essence et rencontre une désignation particulière. Les passate passioni (les dépits passés) de Dante sont les moires de la rencontre initiale avec Béatrice, dont le premier reflet avait laissé croire que le salut en était le motif tangible. L’attention de Barthes à une catégorie hétéroclite de mots qui bien placés se mettraient à flasher du « réel » m’a semblée du même ordre que la surinterprétation du salut de Béa par Dante, de l’ordre de l’illusion motivée plutôt que du frôlement de la grâce ; motivée comme une diète, une hygiène, un enamourachement, tout le bouquet touffu qu’on se laisse, débonnaire oublieux du torchis qu’est la touffe, lentement monter a le mente .
Quartièmes rimes cirachiennes
J’écoutais, dans le U‑Bahn richtung Spandau, Barthes, sur le désir intransitif, multiplier les mentions de la drague (qu’il dit être ailleurs une sorte de « voyage du désir »), parler des rapports d’atelier et des sacres secrets du tangible, des écrans de l’intention à travers lesquels tout le cours progresse, et je lisais Dante expliquer sa technique de dissimulation de son amour pour B. (à B. aussi) : la diversion par dame-écrans. Le principe est simple : on se sert d’une autre dame que celle désirée, on en fait l’objet d’un amour simulé mais aussi d’une drague ostensible, afin de repousser le trouble que la publicité de notre émoi réel susciterait. C’est Amour en personne qui suggère au grand D. cette technique, avant de, l’appelant mon fils en latin (comme si soudain Amour c’était l’Église), lui dire finalement on arrête ces simulations.
Fiston, l’est tempus di
cesser les nostrés simuli
(simulacra nostra : les dames-écrans)
qui font ne se jamais taper
que celles qu’on s’est choisies pour damécrans
(et même tutte le damécrans le donne quale)
font chialer comme un pargolet
battu, nu si privé des charmes
de schermer tant” amor
certe donne (quelques pixelles qui font écrans
cambrent la donne, certes, changent les celles
qui dissimulent mais ne changent pas la dame réelle
(causa nostra : donne réelles)
plutôt cachent la (celle-ci frissonne,
me donne raison) mais dilloci
(dis-le, avoue, vas‑y
diloche mon vieux,
crache dis le nom d’icelle
que dissimulent les pixelles).
Ce poème est divisé en trois parties. La deuxième partie va de certe donne à dilloci. Dans ce poème, j’ai considéré une vie sentimentale qui pousserait au bout masochiste la pratique des dames-écrans, soit : se les faire, et plutôt toutes qu’une. Les damécrans, qui sont le signe du report du désir transitif direct sur des objets indifférents, dissolvent alors le transit, faisant du voyage lui-même un écran au désir. Les femmes deviennent du donné, c’est dix donne pour un rendu – un rendu de pixelles grossies comme des ailes papillonnes, homologues de celle aimée et par Amour homologuées, tant que paraîtront analogues. Là-dessus confortation du sentiment que Barthes et Jacques sont homologues, aussi : partageant une caractéristique (un stupre global) qui prend des formes différentes (la préciosité chez Barthes, la loubardise chez Chirac) et sert des fonctions différentes (la déformation du sens au profit du désir, chez Barthes ; la conformation du sens au profit du désir, chez Jacques), et induit des rapports différents à l’écran.
Vingt-cinquièmes rimes chiraquiennes (intermezzo)
Le chapitre 25 de la Vita Nuova pose que les « rimeurs« 4 ont le droit aux mêmes licences que les poètes latins, comme par exemple faire des figures et de la rhétorique (personnification d’amour, substantialisation des essences, etc.), à condition qu’ils puissent se dépouiller de ces figures dans une prose qui ne dirait pas autre chose que leurs rimes – qui ne s’épaissirait pas d’une explication redondante. De mon côté, avec le recul des siècles qui fait de tout problème un problème de vocabulaire5, j’appelle les rimeurs types qui font des puns6, et je m’assois modestement sur leurs genoux ; j’appelle les poètes grekélatins contemporains des poètes, et je trouve que ce sont des gens qui facilement se targuent7. Donc voici cette balade qui commence et finit et consiste en fait en une traduction des meilleurs moments du chapitre 25 de VN :
Je dis que faire
vulgairement des puns
en tongues
c’est autant que la poésie
c’est « tanto è quanto »
c’est as much as
c’est ebenso viel
tout étant égal par ailleurs.
Aussi qui parle et fait ses puns
ses rimes
peut bien daigner aussi
comme ça
sans objet sans raison
daigner comme se permettre
(tout étant égal par ailleurs)
un peu de « sans pourquoi »
mais du « sans pourquoi » sans la targe
et dont les raisons seraient à ouvrir
sans se targuer
effracter les raisons
effringer les motivations
particulières par la prose.
En revanche la grosse vergogne
pour qui fait ses rimes drapé dans l’effet
ou dans la bariole rhétorique
et qui posant la trogne
tragique couchée sur une targe
comme avec une épée dans les fesses
ne sait pas faire tomber la toge
aux chevilles sans perdre la face.
Mon premier ami et moi-même8
on en connaît plein des comme aç.
Cette balade a trois parties qui sont aussi des strophes. Dans la première je dis que la poésie n’a d’égale qu’absolument tout le reste des choses en usage, et qu’il est par conséquent inutile de s’accrocher à ce mot. Dans la deuxième je raconte comment effectivement puisqu’il n’y a plus rien à chérir (de « schatzen », eng « treasure » ; « trésorer »), il n’y a plus rien non plus à expliquer. Expliquer et chérir sont les deux aspects d’un même ordre. Dans la troisième j’affirme que qui pose ses poèmes comme des chéris (des schatz, des trésors) ou des clefs (des formes congruentes, des signes d’altération patronnants), celui-ci n’est qu’un poseur componctueux et que ses poses rendent mon ami et moi hilares.
Quinquièmes rimes chiraciennes
J’écoutais Barthes, dans le U‑Bahn richtung Spandau, citer Flaubert qui dit qu’il écrit « comme on mange, comme on fume, ou comme on monte à cheval« 9. Comparaison du scripturire (l’écrire en tant que volonté, pour Barthes) avec les fonctions organiques assez banales somme toute, n’était la présence sur la liste de ces fonctions du chevauchement, qui fait écho, dans la cage de mon obsession pour l’équin, au sonnet que Dante introduit par cavalcando.
Lo quale comincia : Cavalcando
(ça commence comme ça, par le sujet cavalcando
soumettant son cavalando, traçant son cammin) mezzo de la via toujours,
leggier (léger), a capo chino (menton baissé)
chin down, pendant que kopf hoch
d’autres chevalandos, en boss encostumés, bogosses notables
cavalcaillent quelle giorni (ces jours-ci chevauchent)
balayant d’une moire diverse (de monture et d’étoffe)
la campagne des sconfitte défaite par les conflits, afflits,
baissant des kopfs, des chins, fermant des bouches
qui n’ont plus à fumer que la paille des étables
jusqu’à samedi prochain.
Ce poème n’a aucune partie. Ayant d’abord mis la présence du cheval dans la liste des fonctions organiques de Flaubert sur le compte de l’époque de Flaubert, puis de l’époque de Dante lisant le sonnet du cavalcando, j’entrevis peu à peu une image du passé comme essentiellement composée de chevaux, et dire chevaux c’est dire montures, et monture dit monteurs, monteurs supposant non-monteurs. Je considérai donc – considération aussi floue que ma culture historique dans le domaine équin, du plaisancien à l’anthropocène environ – comme une évidence historique qu’il y ait eu un régime de la moire de l’armure et de la robe équine, un régime du courbement de l’échine de tas de gens devant d’autres, chef haut (kopf hoch), pour qui être haussé sur un canasson fut la position canonique d’une fonction – mais « organique », qu’est-ce à dire ? C’est peut-être à dire comme Barthes « au weekend prochain », pour continuer de chercher ce qui dans le haussé revêt aujourd’hui les apprêts d’une seigneurie naturaliste, pendant qu’Amour erre en mendiant, le samedi soir, yeux rougis au pied du caisson, dissolvant l’assemblée après chaque cacheton, mens, mentis et menton bas. Ça faisait longtemps que je voulais écrire un poème pathétique sur la domination – j’espère l’avoir aussi fait bucolique.
Sestièmes rimes chiraquiennes
J’écoutais Barthes évoquer ce qu’il appelle, dans le U‑Bahn richtung Spandau, le passage de l’objet (de la transitivité) à la tendance , sans bien comprendre, évoquant le passage du verbe écrire « de l’actif au moyen » , tout ça dans le cours 2 de la deuxième année de La Prépa.
Considérant l’idée fixe de Dante, Béa, cet objet du désir absolu, et le voyant au fur des pages davantage me parler d’Amour (le mendiant, le seigneur, etc.), je me disais 1) que Dante était peut-être au milieu de ce gué-là, entre actif et moyen, procureur affecté, vicaire pour soi ; et 2) que l’objet du désir subissait à mesure l’offuscation par la tendance, comme si, Béa prise en charge par le nom d’Amour (Amor), Dante recouvrait sa B. d’une tendance amoureuse aussi bien nouée qu’un fichu (velo, estoffe de teste), puisque l’objet nu du désir était désormais trop mêlé à l’histoire séculaire et vulgaire d’une conquête.
Une troisième voie
S’effectuer en s’affectant
moi re d’énergeïa pour soi
s’aimer moyen
aimer pour soi, pour la sua
aimer pour Amor
par amour d’aimer
l’aimé d’Amor
amor faisant la quête
amor quêtant
écran de l’idée fixe
cet oscuro projet de désirer jusqu’à la mort
est la ruine de la poétrie
verbe moyeu, mots moyennant
le sempiternel” objet de conque
où l’on se fait vicaire, procureur, tête
THIS IS NOT A METHODE
THIS IS PROVOCATION
et dans le voyage est la quête
alors ok
that is provocation
et dans la circulazione la quête
Ce poème a été écrit dans une grande nonchalance pour la forme et un grand intérêt pour l’objet d’élucidation. L’absence d’objet est la ruine de la poésie. « Délier ses souliers pour soi », « écrire pour soi », monter à cheval pour soi – le mode « moyen » du verbe grec –, ce n’est pas comme dit Roland s’effectuer en s’affectant, c’est maintenir dans la ténèbre douillette de la chambre-à-écrire les raisons de la fascination, qui sont les seuls objets partageables – les seuls partibilia, pardon –, donc s’affecter en s’astiquant, plutôt, pardon. En revanche, aimer est un bon verbe moyen : aimer pour soi, aimer pour se voir être aimant, aimer pour rencontrer Amor, pauvret, court, vêtu, et par amour des moires de son fichu qui brille comme une salade, un reflet de ciel dans les barbutes, un produit d’inspiration médiévale manquant de garanties dans l’historicité.
Settièmes rimes chiraquiennes
J’écoutais Barthes conclure un cours, dans le U‑Bahn richtung Spandau, sur une anecdote vécue dans laquelle lui et ses amis se trouvent en Hollande et en sont à quitter le pays précipitamment, à 11h du soir, sans trouver d’endroit où jeter les ordures, et roulent donc jusqu’en France, coffre plein de vidures, pour s’en débarrasser . Le mindfuck opérai, j’en cherchai la formule, qui donne à ces rimes leur vers liminaire : filer vers le pays natal pour pouvoir épandre.
Filant vers la patria pour épandre
ébouer
l’embarras rigoureusement insoluble
et un petit peu fatigué
dans une voiture de même type peut-être
que celle qui bientôt contre Barthes se benne
à onze heures du soir en Hollande
le temps de trajet empuant tend notre air
un rien déversé
et les canaux eux-mêmes
qui sont si propres
à vider
des porta- posacenere
cela que nous recommencerons
ou continuerons demain soir
dans la voiture, l’ordure
qui se jettera dans la benne
comme le vers dans les vers
recommençant ou continuant
le cammin” estenuante
des embarras (cosi smorto, d’onne valor voto)
et ainsi blême vidé de toute force
filant vers la France à bout d’air
comme excédé du vers
ne trouvant dans cette langue aucun dépôt fangeux
le corps précieux du trésor pourrissant
dans le coffre, fuggi si “l perir te nuit (fuis si périr t’ennuie
si LE périr t’ennuie)
car dans le moment d’un péril, la nuit, en sens inverse
(im Augenblick einer Gefahr) flashera (moirera)
L’INCONNUE FAMILIÈRE DU DÉSIR, TU LA RECONNAÎTRAS
et plutôt bien : ainsi pendant qu’en toi la connosci bene
en Colonie – au pays du grand Chi – ça benne
Ce poème fuit, émane salement ; je crois que la fin signifie que Chirac est une merde, pour être clair, et pour parler dans la langue de sa grande famille politique (Copé prêtant à Fillon des mots le concernant10). « Dans les vers, le Vers« 11, c’est comme ça que Flaubert cité par Barthes définit la pureté de son rapport à l’art , caractéristique de l’aspect « citant » d’une grande partie de la poésie française. Mais les poèmes de la Vita Nuova également sont cités ; les vers sont en mention. J’y ai vu une limite au prosimètre et d’abord donc voulu m’échiner dans le mien à gommer l’aspect citant de la prose ; mais me disant après : en fait je vais maintenir cette frontière, je vais voir où ce trait nigaudant me conduit, peut-être alors s’apercevra-je qu’une séparation est un chemin (ce qui me consacrerait conteur, poète, critique ; j’aurais le choix du statut, je n’aurais plus que le choix du statut) – à moins que l’air pur pue.
- « Mathésis truquée » est une expression que Barthes invente, dans son intervention au colloque Bataille (1972), pour désigner un détournement subjectif du savoir au service d’une « fiction interprétative ». ↩
- « Ma preferisco un uomo che abbia bisogno di una ricchezza a una ricchezza che abbia bisogno di un uomo. » (Boccaccio, Decameron, 5a Giornata, Novella Nona) ↩
- The Alaskan Klee Kai was developed fairly recently by a woman in Alaska who took a strong interest in a small dog resembling a Husky. Over time other breeders became interested in furthering the development of the Alaskan Klee Kai ; however, it is still considered a rare breed. As a newer dog breed, the Alaskan Klee Kai has a very detailed recording of its origin. In the mid 1970s an Alaskan woman named Linda Spurlin came across what looked like a small version of a Siberian Husky in Oklahoma. Immediately drawn to this unique dog, Spurlin returned to Alaska and began trying to recreate the dog into a new breed. About ten years later Spurlin decided to end her days as a Klee Kai breeder. Although others now carry it on, the breed is still rare. The name « Klee Kai » is derived from Eskimo words meaning « small dog ». http://www.petmd.com/dog/breeds/c_dg_alaskan_klee_kai ↩
- En fait les « dicitore » de rimes, càd les « diseurs d’amour » ou les « diseurs de rimes », ceux qui ont un objet particulier et une forme minimale. ↩
- Le gros morceau du problème c’est la traduction que Gérard Luciani (Folio) fait de « dichiarare » : chap 12, « solvere e dichiarare », par « résoudre et éclaircir » (les deux termes associés me mènent à « élucider ») ; chap 14, il traduit « dichiarare cotale dubitazione » par « élucider l’obscurité ». Je dis « élucider la fascination », parce que « solvere » s’applique à des doutes, à des formules hermétiques, alors que « dichiarare » s’applique à ce qui trouble les sens et produit une perception impressionniste ; chap 25, il traduit « ceux qui veulent tout dichiarare » par « ceux qui veulent tout expliquer », puis à « pour dichiarare une telle chose », qui ouvre sur la justification de Dante, Luciani traduit par « pour éclaircir une telle chose ». C’est dans ce chapitre 25 que la traduction me perd. D’autant plus que le verbe « aprire », à « une prose susceptible d’aprire les raisons des rimes », est encore traduit par « une prose susceptible d’expliquer les raisons des rimes ». Je prends donc « dichiarare » littéralement, et le traduis constamment par « élucider ». Les uns veulent « tout élucider » ; Dante accepte d’élucider une partie. « Dichiarare » c’est éclaircir, mais c’est aussi interpréter : l’élucidation dit les deux. « Tout interpréter » d’un côté – pression externe –, « élucider les raisons » de l’autre – pression interne. L’objet n’est pas le même : les uns veulent faire comparaître « tout » (« onne dubitazione », toute obscurité, tout doute) ; Dante veut élucider « la ou les raison(s) » – let me say les motivations. « Aprire » c’est autre chose, et demeurant littéral mais forçant le trait je le traduis par « effracter » (ou la forme mythique « effringer » – reconstitution historique) parce que c’est rigolot. ↩
- Pun (anglais littéraire, critique, populaire et global) : « the use of words or phrases to exploit ambiguities and innuendoes in their meaning » (usage de mots ou de phrases pour exploiter les ambiguïtés et sous-entendus de leur signification). ↩
- Se targuer : se vanter, mais étymologiquement « se couvrir d’une targe », c’est-à-dire d’un bouclier. Les poètes grecs tendance célébrants, genre Pindare, écrivaient des vers pour boucliers, vers qui fixaient par la célébration l’action en statue, le fait d’arme en statut. ↩
- Les rimes chiraquiennes sont dédiées à Jacques Pradillon. ↩
- « Je me suis condamné à écrire pour moi seul, pour ma propre distraction personnelle, comme on fume et comme on monte à cheval. » (Flaubert, Correspondance, 1847) ↩
- Copé, donc, disant « Copé est une merde », encore une culbute à l’esprit. ↩
- « Les œuvres d’art qui me plaisent par-dessus toutes les autres sont celles où l’art excède. J’aime, dans la peinture, la Peinture ; dans les vers, le Vers. » (Flaubert, Correspondance, 1847) ↩