Texte

Des kan­gou­rous vivent en auto­no­mie dans la forêt de Rambouillet depuis une qua­ran­taine d’an­nées, après que leurs ancêtres se sont échap­pés d’une réserve. Des amies sont allées à leur recherche. Les kan­gou­rous sont demeu­rés introu­vables mais toute dis­po­si­tion acci­den­telle dans la forêt a pu être inter­pré­tée comme leur trace. Ce texte a été écrit pour accom­pa­gner les tirages cya­no­types de ces pho­tos de kan­gou­rous absents.

La puis­sance végé­tale pré­sente, comme cha­cune des autres puis­sances, treize har­mo­nies. La pre­mière est céleste, ou soli-lunaire ; six sont phy­siques, et six sont morales. Dans les six phy­siques, trois sont élé­men­taires, l’aérienne, l’aquatique, la ter­restre ; trois sont orga­ni­sées, la végé­tale, l’animale et l’humaine. Dans les morales, il y en a pareille­ment trois élé­men­taires, la fra­ter­nelle, la conju­gale, la mater­nelle ; et trois orga­ni­sées ou sociales, la spé­ci­fiante, la géné­rique et la sphé­rique.1

Il n’y a per­sonne à orga­ni­ser. Nous sommes ce maté­riau qui gran­dit de l’intérieur, s’organise et se déve­loppe.2

Tout ani­mal est dans le monde comme de l’eau à l’in­té­rieur de l’eau.3

Tout s’engendre aux inter­sec­tions. Tout se génère à l’abri de son genre. Tout est à la fois satu­ré de géné­ri­ci­té et pro­fon­dé­ment iso­lé. Tout finit par s’échapper de la bau­druche mais pour cela y est entré. Tout arrive rond. Rien ne fait excep­tion.

De tous temps et dans toutes les classes, l’Homme qui rôde autour de nous jusqu’à nous fixer en pro­noms, de tous temps l’Homme fixeur qui nous tient en res­pect dans des per­son­nels (de per­sonne) ou des toniques (d’appui) et qu’il convient d’appeler notre Homme, notre Homme entre­tient le désir de s’échapper sans dis­pa­raître, désir ardent de nature à nour­rir notre Homme mais à la fois le consu­mer.

Cette his­toire s’appelle aven­ture. C’est une Histoire de la Nature. Rien n’y fait défec­tion.

Continuer

  1. Bernardin de Saint-Pierre, Tableau des har­mo­nies de la nature
  2. Comité Invisible, À nos amis
  3. Georges Bataille, Théorie de la reli­gion
Texte

Ce texte a été refu­sé par la revue Espace(s) qui l’a­vait com­man­dé. Cliquer là pour lire pour­quoi.

Se déro­ber avec mau­vaise conscience ; c’est à quoi on recon­naît une ins­ti­tu­tion.1

I L’été der­nier on m’a pas­sé com­mande d’un texte pour la revue de l’Observatoire de l’Espace du CNES.

II La com­mande est venue avec deux PDF :
– des “consignes aux auteurs”, qui détaillent les attentes du comi­té édi­to­rial concer­nant le trai­te­ment du thème du numé­ro (“Espace : lieu d’utopies”) ;
– une fiche per­son­na­li­sée et spé­ci­fi­que­ment adres­sée qui indique une contrainte lexi­cale.

II.i La contrainte lexi­cale est sus­ci­tée par le par­te­na­riat de la revue avec la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, dont la mis­sion est de “garan­tir un droit au fran­çais à nos conci­toyens” en pro­po­sant des termes de souche (c’est-à-dire avant tout pas anglais) pour dési­gner “les réa­li­tés du monde contem­po­rain et ain­si contri­buer au main­tien de fonc­tion­na­li­té de notre langue” (page de la DGLFLF).

II.i.i Chaque année, à l’occasion du Salon de la Fête du Gala de l’Insurrection Francophone, la Délégation pro­pose à des gens – dont, devant la dif­fi­cul­té posée par le nombre de gens dés­œu­vrés jusqu’à la dis­po­ni­bi­li­té, elle délègue le choix au res­pon­sable de la revue Espace(s), qui lui-même le délègue à des middle men de confiance2 – pro­pose donc à des gens mal triés d’écrire à par­tir d’un de ces termes pas anglais dont on recon­naît qu’ils sont fran­çais à ce qu’ils émanent d’une ins­ti­tu­tion qui, fran­çaise, nous veut du bien.

II.i.ii Le vocable qu’on me pro­pose est : ÉMOTICÔNE.

II.i.ii.i :’(

III On m’indique que mon texte sera payé UN BILLET MAUVE à récep­tion.

III.i La somme d’UN BILLET MAUVE est rare, sur­tout au sor­tir de l’été.

IV Je file com­po­ser à Marseille, le cœur enflé d’une peine de cœur, de dif­fi­cul­tés finan­cières et du mauve sou­ci de ma page.

V Dix jours passent, où je me drogue à mon insu.

VI Composé, j’envoie.

VII Je rentre à Berlin. J’attends.

LA REVUE ESPACE(S)

La revue de l’Observatoire de l’Espace du CNES s’appelle Espace(s). Elle “incarne une démarche enga­gée pour favo­ri­ser la créa­tion lit­té­raire et plas­tique à par­tir de l’univers spa­tial.” (site de la revue)

Quelle est la nature de ce qui incarne une démarche ? La démarche c’est le corps est-il un énon­cé miroir de le style c’est l’homme ? Qu’implique un monde où c’est le mou­ve­ment qui sin­gu­la­rise avant le prendre chair ? Le carac­tère téléo­no­mique de ce mou­ve­ment (enga­gée pour) réduit-il la prise de chair à une étape inter­mé­diaire ; si oui, cette étape est-elle néces­saire ou contin­gente ? Si la sub­stance est contin­gente, parle-t-on d’un monde régi par l’accident ? Si le monde d’où nous parle la revue Espace(s) est bien régi par l’accident, qu’est-ce qui en lui pros­crit l’aperception du répé­ti­tif au constant ? Une léga­li­té du miracle per­ma­nent sur un Urgrund com­pré­hen­sif, ou de la soli­tude des faits sur un Ungrund abs­trait ? Du coup d’état per­ma­nent ou du coup de la panne répé­té ?

Je ne le sais pas. Il arrive même qu’on me pro­pose de me payer pour éta­blir ou consta­ter ne pas savoir répondre aux ques­tions que je pose, de me payer avec les mêmes jetons qui servent à payer les retraites, les recon­duites à la fron­tière, toutes sortes de rede­vances et la dette de la dette.

Il arrive que l’Institution me sol­li­cite, m’aborde un peu au hasard mais avec la ferme inten­tion de dépen­ser, pour me regar­der faire sem­blant de me conten­ter ne rien savoir des ques­tions qu’elle me pose.

Qu’en me sol­li­ci­tant elle me démarche ou qu’elle m’engage, il est à noter que c’est tou­jours pour. (Ne rien ten­ter savoir.)

Pourtant la revue Espace(s) a soin de se mon­trer conscien­cieuse et curieuse : sa “volon­té clai­re­ment affi­chée” est “d’élaborer des expé­riences cultu­relles et d’en consi­gner les résul­tats.” (site de la revue)

En un sens c’est aus­si ma volon­té, son pro­gramme, leur affiche.
C’est là en un sens ma démarche, son corps, leur enga­ge­ment.

Mais, déjà, il tito­lo è cre­ti­no3. Déjà le titre, Espace(s), avec l’afféterie du (s), est insup­por­ta­ble­ment cré­ti­naud. Déjà le petit pour-la-route de la plu­ra­li­té des mondes est nigaud, fat et nigaud. Déjà le pauvre petit “s” empa­ren­thé­sé annonce la bonne volon­té (scoute), l’accolade (mis­sion­naire), l’ouverture (ins­ti­tu­tion­nelle).

TOUS LES (S) SONT DES PRISONNIERS POLITIQUES.

En ouvrant et fer­mant la paren­thèse autour du pauvre petit s de la plu­ra­li­té des mondes, la revue du CNES signi­fie sa volon­té d’ouverture à d’autres espaces que celui qui capi­ta­li­sé consti­tue son objet, notam­ment son ouver­ture à l’Espace Littéraire (fer­mé).

La suite montre ce qu’on aurait dû voir si on avait su lire : qu’une volon­té clai­re­ment affi­chée s’appelle d’abord vel­léi­té, et que ce qu’en pre­mier lieu veut la revue Espace(s) c’est au calme être vue vou­lant4, comme on peut par­fois s’égarer à pré­fé­rer à dési­rer être consta­té dési­rant.

La revue Espace(s) veut, par exemple, être vue vou­lant résis­ter aux cli­chés, tra­vailler aux lisières, bra­ver les assi­gna­tions :

Dans chaque ouvrage, l’enjeu est de déjouer l’entrée sym­bo­lique qui pré­do­mine sou­vent notre rap­port à l’Espace. Si le pou­voir d’attraction et de fas­ci­na­tion du milieu spa­tial ne peut être nié, l’objectif de l’Observatoire de l’Espace à tra­vers la revue Espace(s) est, comme le dit son res­pon­sable de la rédac­tion Gérard Azoulay, de “bâtir une métho­do­lo­gie des­ti­née à faire per­ce­voir que nous sommes autant habi­tants de l’espace qu’habités par lui, et donc in fine d’abolir cette par­ti­tion fic­tive”. (site de la revue)

En dépit du gad­get de la poro­si­té dia­thé­tique5 et mal­gré un soup­çon jamais levé sur toute idée d’habi­ta­tion6, le pro­gramme du res­pon­sable de la revue m’arrête et me met au tra­vail, sur­tout pour ce qu’il fait dis­pa­raître la capi­tale d’espace, trou­blant les méto­nymes.

« NOUS SOMMES UNE INSTITUTION ET D’AILLEURS J’ASSUME »

VII Je rentre à Berlin.

J’attends.

(Il y a un pro­blème ?)

VII.i Il y a un pro­blème.

VII.ii Poème votif de fin d’attente
Ma démarche
sus­pen­due à son
Corps
en
gage-
Moi
uni
vers
ce qui (s’) espace.

VIII L’attente prend fin alors que je négo­cie un décou­vert au gui­chet de la Volksbank, par un coup de fil du com­man­di­taire,

VIII.i coup de fil inter­rom­pu par un vigile migrai­neux dont je ne retiens que cette phrase : “Nous sommes une ins­ti­tu­tion et d’ailleurs j’assume.”

VIII.i.i (La phrase est du coup de fil du com­man­di­taire, pas du vigile dont le coup de fil dans le lob­by de la banque aug­men­tait la migraine.)

VIII.i.i.i (Le vigile jus­ti­fie en des termes tout autres mon évic­tion du lob­by : ce n’est pas le lieu et d’ailleurs il a une migraine.)

VIII.i.ii “Nous sommes une ins­ti­tu­tion et d’ailleurs j’assume” est une phrase du res­pon­sable édi­to­rial de la revue Espace(s) et d’ailleurs de la revue Espace(s) elle-même en tant qu’elle est, d’ailleurs, l’Observatoire du Centre National d’Études Spatiales.

VIII.i.ii.i Phrases de ser­vice, comme corps pris dans démarche ano­dine,
au coeur des contra­dic­tions de l’engagement
de ce qui, contin­gent, cherche son néces­saire d’allant.
Et la véri­té est ici d’ailleurs – elle dode­line

IX Nous remet­tons ce qui reste à se dire à un coup de fil du len­de­main, dont j’ai un sou­ve­nir plus pré­cis.

IX.i (Par sou­ci de briè­ve­té, j’ai repro­duit infra de ce coup de fil l’esprit, sa teneur, leurs mots.)

X En résu­mé, le com­man­di­taire pro­pose d’amputer le texte de tout ce qui :
A. cri­tique la Délégation Générale à la Langue Française, un par­te­naire ins­ti­tu­tion­nel qu’il ne s’agit pas d’of­fen­ser ;
B. cri­tique les termes mêmes de la com­mande en don­nant à la fiche ÉMOTICÔNE une impor­tance gro­tesque.

X.i Le pro­blème de ces amé­na­ge­ments, c’est qu’ils dépouillent mon dis­po­si­tif d’au moins deux de ses agents.

X.i.i En effet, un des objets du texte est l’in­ter­ro­ga­tion des mis­sions, des fonc­tions et de la logique de ces fonc­tions : com­man­di­taire vou­lant-être-vu-ouvrant, bar­bons du fran­çais-de-droit, poète licen­cieux requis par la science, scien­ti­fique strict-par­leur. Or les deux pre­miers sont, dans la ver­sion amen­dée, évin­cés.

X.ii Mais curieux d’assister jusqu’au bout à la jus­ti­fi­ca­tion au je de l’homme de lettres d’une coupe franche au nous de la rai­son ins­ti­tu­tion­nelle, je fais ma plus belle algue et obtiens que mon inter­lo­cu­teur sta­bi­lote les pas­sages “qui ne vont pas” (cf. X. A. & B.).

GAMBERGE SUR LES INTENTIONS

XI Ayant besoin du BILLET MAUVE et d’ailleurs pas envie de prê­ter le texte au caviar­dage, se pose à moi la bonne vieille ques­tion poli­tique, pra­tique, éthique :

QUE FAIRE ?

XI.i (Question brû­lante de ma démarche, son corps, notre mou­ve­ment.)

XI.ii Je me la pose sérieu­se­ment ; d’abord parce que ça me fait jouir, ensuite parce que l’inconfort qu’il y a à y consa­crer du temps n’é­gale pas l’an­goisse qu’il y aurait à consta­ter avoir trai­té un dilemme pra­tique, éthique, poli­tique, comme un chien fout sa merde.

XI.iii Mes amis ber­li­nois et mon amie N., bien plus cas­seurs que moi, m’en­gagent à

1 accep­ter une publi­ca­tion caviar­dée,

2 empo­cher les thunes,

3 publier ensuite la ver­sion inté­grale, ailleurs.

XI.iii.i Je les entends sur un point : refu­ser l’arrangement et la thune qui va avec teinte néces­sai­re­ment le refus d’un “héroïsme du cen­su­ré” typi­que­ment petit-bour­geois. Et qui ferait de ce refus l’estrade d’une per­for­mance de radi­ca­li­té ne pour­rait que faire voir sur cette estrade aus­si une per­for­mance de classe.

XI.iii.ii Mais leur prag­ma­tisme émeu­tier m’est étran­ger. Mon tam­bour éthique tourne à 1000rpm, déjà, c’est trop tard, la ques­tion est posée en conscience.

XI.iii.ii.i En conscience, pour­quoi accep­ter de sup­pri­mer les réfé­rences à la Délégation ? La cri­tique douce d’une léga­li­té interne des langues ins­ti­tu­tion­nelles n’est rien à côté du pro­gramme de ces com­mis­sions – typique des organes répu­bli­cains en leurs mani­fes­ta­tions colo­niales (« garan­tir » à des gens qui s’en tapent quelque chose dont ils n’ont pas besoin, au nom de prin­cipes qui leur sont étran­gers).

XI.iii.ii.ii En conscience, pour­quoi accep­ter de sup­pri­mer ce qui dis­cute les termes du com­man­di­taire ? Celui-ci peut bien consi­dé­rer la fiche ÉMOTICÔNE ano­dine (“c’est un simple docu­ment de tra­vail qui n’exprime pas une posi­tion de la revue”), elle reste le maté­riau à par­tir duquel il m’é­tait deman­dé de tra­vailler. Bien que mon texte en exa­gère l’im­por­tance (dans un dis­po­si­tif expli­ci­te­ment pisse-froid qui fait conver­ser les mis­sions et les formes d’in­ter­ces­sion), je n’en­freins en rien, ce fai­sant, les consignes du comi­té.

XII.iv Si j’accepte le caviar­dage, je laisse irré­so­lue la ques­tion éthique ; or pour qui se sou­cie d’éthique (et on n’est vrai­ment pas obli­gé), cette irré­so­lu­tion est un bou­let sur la voie de l’ataraxie (ques­tion pra­tique ; réponse stoï­cienne).

XII.v Si j’accepte, je me main­tiens encore dans une posi­tion inadé­quate, sacri­fiant à une éthique du rachat (le cachet qui com­pense), ren­dant plus visible (à mes propres yeux d’a­bord) cette inadé­qua­tion (ques­tion éthique ; réponse spi­no­zienne).

XII.vi La réponse la plus radi­ca­le­ment poli­tique à la ques­tion m’est don­née par mon ami L., le plus évi­dem­ment radi­cal de tous mes amis. Elle se jus­ti­fie via Diogène – le plus évi­dem­ment etc. – : si j’ai l’oc­ca­sion de dépos­sé­der un puis­sant de son fétiche, je ne dois pas m’en pri­ver. Mais c’est à la seule condi­tion de pié­ti­ner ensuite devant lui ce fétiche.

XIV.vi.i Accepter, donc, le caviar­dage, mais ensuite : brû­ler la thune.

XII.vi.i.i Un brin dra­ma­tique, et pas tou­jours lisible.

XII.vi.i.i.i D’autant que je ne suis pas sûr que le fétiche soit tant dans ce cas le bif­ton que la pré­ro­ga­tive édi­to­riale sur le lit­té­raire ou le poé­tique. Et le der­nier mot de la rai­son ins­ti­tu­tion­nelle.

XII.vii J’opte fina­le­ment pour la méthode Keyser Söze, sug­gé­rée par mon amie A. : il a com­man­dé, j’ai livré, il raque et ferme sa gueule – s’il vou­lait des fleurs sur le paquet, il fal­lait deman­der des fleurs sur le paquet.

XII.vii.i Or le com­man­di­taire n’a pas deman­dé de fleurs sur le paquet. Il a même plu­tôt inci­té à ce qu’on pour­rait appe­ler foutre la merde : « Humour✓, iro­nie✓, aci­di­té✓, et même méchan­ce­té✓ ou vio­lence✓, prise de risque for­melle✓, ouver­ture du sens✓, atten­tion aux détails✓, au quo­ti­dien✓, au maté­riau ver­bal spé­ci­fique✓, sont des voies pos­sibles pour s’éloigner des ten­ta­tions de for­mules trop gran­di­lo­quentes quand l’Espace est en jeu. » (Consignes aux auteurs, « Lignes édi­to­riales », coches miennes).

XII.vii.i.i Mais voi­là, avec le com­man­di­taire ins­ti­tu­tion­nel c’est comme avec les syn­di­cats : quand, le plus ardem­ment conscien­cieu­se­ment minu­tieu­se­ment pos­sible, on se met, croyant répondre à leur appel, à foutre la merde, c’est tou­jours une fin de non-rece­voir, parce qu’on n’avait pas bien com­pris, c’était pas comme ça qu’il fal­lait entendre foutre, la, et merde.

XII.vii.i.i.i Et merde. Motto oppo­sable : c’est en la fou­tant mal, la merde, qu’on tape là où ça le fait, mal.

XIII Je reçois les pro­po­si­tions de caviar­dage et ren­voie poli­ment :

1 non, vrai­ment, le texte ampu­té perd toute sa per­ti­nence ;

2 voi­ci m’IBAC et BIN de bank, et faise abou­ler thune, cen­time endis­tin­gué.

XIV On m’informe en réponse que je tou­che­rai 250 roros pour le tra­vail d’écriture, mais que l’autre moi­tié du mauve aurait cor­res­pon­du à l’achat exclu­sif des droits du texte,

XIV.i ce à quoi je me serais de toute façon oppo­sé.

XIV.ii À une amie qui me fait remar­quer ce qu’il y a de radi­cal dans l’option choi­sie, je réponds que c’est, en dépit de son nom, pro­ba­ble­ment la moins radi­cale de toutes, parce que A. Elle est légale (je ne fais pas sem­blant de céder les droits pour ensuite repro­duire le texte) ; B. Elle mène au meilleur com­pro­mis pos­sible (droits de repro­duc­tion pré­ser­vés donc pos­si­bi­li­té pré­ser­vée de la pré­sente expo­sure ; thunes en moins mais pas rien non plus).

XV Finalement on n’apprend rien d’autre de cette para­bole que ce qu’on savait déjà :

  • l’Institution existe ;
  • de l’institution existe plus den­sé­ment dans l’Institution qu’ailleurs ;
  • de l’institution n’est pas éga­le­ment répar­tie (et si “il y a de l’institution par­tout et qui est dis­tri­buée en nous-mêmes”, elle est prin­ci­pa­le­ment dis­tri­buée en cer­tains lieux et cer­tains nous);
  • que l’Institution engage ou démarche, elle ne s’adresse jamais à autre qu’à elle-même ;
  • la capi­tale d’Institution n’est pas une capi­tale d’essence mais ;
  • la capi­tale d’Institution cha­peaute des logiques ins­ti­tu­tion­nelles, une rai­son ins­ti­tu­tion­nelle, une con-spi­ra­tion ins­ti­tu­tion­nelle, une visi­bi­li­té, une tan­gi­bi­li­té, une intel­li­gi­bi­li­té des objets éma­nés de ou sus­ci­tés par l’Institution qui débordent l’Institution – débordent sur les Personnes (et dans l’engagement comme dans le ser­vice, la per­sonne perd en géné­ral);
  • la visi­bi­li­té, la tan­gi­bi­li­té et l’intelligibilité ins­ti­tu­tion­nelles ne dif­fèrent pas signi­fi­ca­ti­ve­ment de celles de la mar­chan­dise (visi­bi­li­té de la recon­nais­sance, tan­gi­bi­li­té de la vali­da­tion, intel­li­gi­bi­li­té indexée);
  • que l’Institution fasse un usage du droit d’auteur confis­ca­toire des objets qu’elle consacre (achat exclu­sif) ne fait que rendre expli­cite le type de valo­ri­sa­tion de ces objets et pour tout dire le genre de féti­chisme sur les­quels repose toute éco­no­mie ins­ti­tu­tion­nelle.

Bonus :

I. GAMBERGE SUR LES INTENTIONS

Qu’est-ce que la vie des humains une image de la déi­té
Évoluant sous le ciel, tous les ter­riens
voient celui-ci. Mais lisant pour ain­si dire, comme
Dans une écri­ture, les humains ils imitent
l’infini et le pro­fus.

Friedrich Hölderlin7

1 Le texte qu’on me pro­pose d’écrire pour la revue Espace(s) doit inté­grer deux contraintes : celle, thé­ma­tique, qui gou­verne à ce numé­ro (« Espace : lieu d’utopies ») ; celle, lexi­cale, qui place chaque auteur sous la tutelle d’un vocable.

2 La contrainte thé­ma­tique est sus­ci­tée par la pers­pec­tive, à (très) moyen terme, de l’établissement de colo­nies extra­ter­riennes, en tant que cette pers­pec­tive retrempe le carac­tère uto­pique des rap­ports à l’Espace.

2.1 L’Espace, au sens méri­tant capi­tale, s’entend comme ensemble des espaces situés au-delà du ciel des humains.

3 La contrainte lexi­cale est sus­ci­tée par le par­te­na­riat de la revue avec la Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France, dont le but est de “garan­tir à nos conci­toyens un droit au fran­çais”.

La délé­ga­tion géné­rale coor­donne un dis­po­si­tif de dix-huit com­mis­sions spé­cia­li­sées de ter­mi­no­lo­gie, char­gées de pro­po­ser des termes fran­çais pour dési­gner les réa­li­tés du monde contem­po­rain et contri­buer ain­si au main­tien de la fonc­tion­na­li­té de notre langue. (site de la DGLFLF, rubrique “Nos prio­ri­tés”)

4 Tous j’imagine son­geons fixant le ciel aux espaces qui le dépas­sant nous dépassent ; tous par­ta­geons cha­cun sa jargue l’aspiration de la langue fran­çaise sous sa tutelle répu­bli­caine : un main­tien de fonc­tion­na­li­té dans
le monde contem­po­rain

4.1 Je nous crois tous concer­nés à tous termes par ce qui nous dépas­sant nous attire et par ce qui nous peu­plant nous main­tient.

4.2 J’ai moi-même pour le ciel au-des­sus de moi et la langue en moi un sou­ci qui va de la consi­dé­ra­tion à la sidé­ra­tion.

Continuer

  1. Paul Veyne, Comment on écrit l’his­toire, Paris : Le Seuil, 1971, p. 271
  2. Mon inter­mé­diaire s’ap­pelle David Christoffel.
  3. « Déjà le titre est insup­por­ta­ble­ment cré­tin. Sa cré­ti­ne­rie est un chan­tage, parce qu’elle implique une sorte de com­pli­ci­té dans le mau­vais goût, et parce qu’elle est impo­sée au nom d’un confor­misme que la plus grande majo­ri­té accepte. » (P. P. Pasolini, « Déjà le titre est cré­tin », Contre la télé­vi­sion)
  4. J’emprunte cette expres­sion à LL de Mars, dans son Dialogue de morts à pro­pos de musique
  5. Pas que cette poro­si­té ne puisse pas être féconde, mais elle est sou­vent gad­gé­tique parce qu’incantatoire, ça jusque par chez les Amis : “Le monde ne nous envi­ronne pas, il nous tra­verse. Ce que nous habi­tons nous habite.”
  6. Le trope de l’habitation, en poé­sie, pro­cède essen­tiel­le­ment d’une lec­ture hei­deg­ge­rienne de deux vers de Hölderlin :
    Voll Verdienst, doch dich­te­risch,
    woh­net der Mensch auf die­ser Erde
    (Plein de mérite, pour­tant poé­ti­que­ment,
    l’humain habite sur cette Terre)
    Les ver­sions fran­çaises, en géné­ral, tra­duisent woh­net par l’usage tran­si­tif direct du verbe habi­ter, et Erde (Terre) par monde. Le trope se dit ain­si en géné­ral : habi­ter poé­ti­que­ment le monde ou habi­ter le monde en poète. La lec­ture de Heidegger, repré­sen­ta­tive à cet égard de tout un pan de sa pen­sée, flatte la poro­si­té dia­thé­tique du verbe habi­ter dans son usage tran­si­tif direct en fran­çais : j’habite une mai­son (actif) / le doute m’ha­bite ou je suis habi­té par un sen­ti­ment (pas­sif). Pourtant en alle­mand ce double-sens est absent : être habi­té par le doute se tra­duit avec le verbe beherr­schen : je suis diri­gé, régi, contrô­lé, par le doute (c’est d’ailleurs un des sens pos­sibles de l’étymon latin habeo qui donne habi­ter). Mais Heidegger abuse autre­ment des res­sources propres de la langue alle­mande, dans un texte qui la consacre comme seule langue – après le Grec Ancien – de la phi­lo­so­phie. Pour résu­mer : le degré de l’écoute, dans sa cor­res­pon­dance avec le verbe poé­tique, seul verbe authen­tique, est fonc­tion de la qua­li­té de l’habitation. Cette équa­tion n’est vrai­ment lisible que dans la ver­sion ori­gi­nale, où la den­si­té de jeux de mots de vieil oncle est excep­tion­nelle : spre­chen / zus­pre­chen / ents­pre­chen (par­ler / attri­buer / répondre-cor­res­pondre), hören (auf) / zuhö­ren / gehö­ren (entendre / écou­ter (obéir) / appar­te­nir). Jusqu’au fameux : Eigentlich spricht die Sprache. Der Mensch spricht erst und nur, inso­fern er der Sprache ents­pricht, indem er auf ihren Zuspruch hört. (“En réa­li­té c’est la langue qui parle. L’homme ne parle que dans la mesure où il répond à (ents­pre­chen : répondre à une norme, être à la mesure, se mettre à l’échelle de la langue), en ce qu’il obéit à son assi­gna­tion (Zuspruch, aus­si : attri­bu­tion))”. (Sur les jeux d’étymons chez Heidegger, cf. G.-A. Goldschmidt, Heidegger et la langue alle­mande). Le trope de l’habitation poé­tique est plus lar­ge­ment sus­pect, après l’hermétisme ger­main de Heidegger, d’une recon­duc­tion de ses par­ti­tions : poé­ti­que/­non-poé­tique est lar­ge­ment super­po­sable à la divi­sion de Sein und Zeit entre authen­tique et inau­then­tique. Habiter poé­ti­que­ment revient en fin de compte pour Heidegger à être vrai­ment, de plain pied (retour à un bauen (“bâtir”) anhis­to­rique, éty­mo­lo­gi­que­ment for­mé à par­tir du bin de ich bin (je suis) qui s’entend dans l’articulation “bâtir, habi­ter, pen­ser”). Au jeu de l’étymologisme, on pour­rait tout aus­si bien, côté latin, fon­der une onto­lo­gie modale, une éthique radi­cale à par­tir du verbe latin habi­tare, fré­quen­ta­tif d’habeo (signi­fiant donc “avoir sou­vent”).
  7. Was ist der Menschen Leben…, début
Texte

This text is an ENG ver­sion of PAM552 book­let. It has been trans­la­ted by LottoThiessen, Joel Scott and Marty Hiatt for Artichoke 4.

dep1

dépa­touiller qqch : to cope with sth, to manage sth
se dépa­touiller : to disen­tangle one­self

- Get up and walk. Dépatouille is a game for two players, in which A gives B orders that should lead her to com­plete a simple action (stand, walk, drink a glass of water…). The constraint lies in the fact that B is enti­re­ly igno­rant of the ges­tu­ral reper­toire of social domes­ti­ca­tion : thus, nothing can be achie­ved by orde­ring B to “stand up, walk over there and drink that glass of water”, because the actions of stan­ding up, wal­king, drin­king, the deixes “over there” and “that”, and the prag­ma­tic “glass of water” are com­ple­te­ly unfa­mi­liar to her. B’s com­pe­tence refers exclu­si­ve­ly to parts of her body and to abso­lute posi­tions in rela­tion to these. So if B, slou­ched on a couch, must manage to stand up and drink a glass of water, “apply a 35° bend to your left arm along the floor” is a kind of accep­table start to set­ting her right. B is cal­led l’empatouillée ; A la dépa­touilleuse.

dep2

- Starting Position. The empa­touillée chooses her star­ting posi­tion ; this involves the grea­test pos­sible relaxa­tion. This star­ting posi­tion is the empatouillée’s expres­sive moment, in which pos­si­bi­li­ties of sla­ck­ness, the fee­ling com­for­table and the make your­self com­for­table, are exten­ded beyond the boun­da­ries of hos­pi­ta­li­ty. The empa­touillée doesn’t only play the docile host of the dépa­touilleuse, she is also the guest who chooses where and how she loses conscious­ness, laying out the crime scene from which she will be rescued.

- Where does dépa­touille come from ? Dépatouille was born in a moment of fai­lure, of frus­tra­tion, of latent conflict making rela­tions tense. Authoritarian sta­te­ments had repla­ced nego­tia­tion about what is to be done. On reflec­tion, it became clear that these sta­te­ments were model­led on the cop, the pimp, the gang­ster, the doc­tor, the parent – all of whose dis­courses are simul­ta­neous­ly calls to order in the form of preemp­tive threats (“you bet­ter take some time and be care­ful about that”), and the expres­sion of par­ti­cu­lar affects which, within that order, are bran­di­shed as cano­ni­cal attri­butes (“i’m not a violent man but you should be aware that…”).Continuer

Texte

On pense, on craint, quand on pré­pare un bœuf bour­gui­gnon, de ne pas vrai­ment cui­si­ner un bœuf bour­gui­gnon, quand on écrit de la poé­sie (vers, champs, blocs, ou lignes, ou phrases, ou pro­po­si­tions) de ne pas être en train d’en écrire, quand on fait un film, de ne pas être suf­fi­sam­ment dans le ciné­ma – ou trop, ce qui revient au même, la pos­ture consis­tant à vou­loir à tout prix se situer dans la Nouvelle Cuisine, l’Anti-Poésie, ou le Non-Cinéma, pro­duit des effets iden­tiques, puis­qu’elle pré­sente l’as­si­gna­tion à un lieu, et l’o­bli­ga­tion consé­quente qu’au­rait ce qu’on fait d’y entrer, ou de ne pas dési­rer y être, comme un impé­ra­tif. Ce n’est pas un pro­blème de savoir ou de maî­trise tech­nique, mais le désir, sou­te­nu par l’exclusion qui cerne ce dont on s’exclut, de rejoindre le point d’ancrage, l’horizon rêvé où l’on fait du vrai bœuf bour­gui­gnon, de la poé­sie, du ciné­ma – ceux qui sortent, à recu­lons ou exci­tés du ciné­ma / de la poé­sie, les refondent, mais ceux qui s’y sentent et le reven­diquent ne font pas mieux, en les main­te­nant bien inalié­nables, pri­vés.

Nathalie Quintane, Mortinsteinck

tachetache

« Objects I see in this water (EDIT : cum) stain : Do you still see things like you did in clouds when you were youn­ger ?« 1

Bonjours. Cet épi­sode porte sur l’é­pi­sode pré­cé­dent. Depuis lui, j’ai eu 30 ans et deux fois suis mon­té sur scène : une fois pour faire rire par absence de dra­ma­tur­gie, une autre fois pour faire chier par absence de dra­ma­tur­gie. Ça n’est ni une chose ni une chose dont je suis fier, mais le temps écou­lé en sub­stance depuis l’é­té der­nier a – comme le post de forum repro­duit ci-des­sus et cou­su depuis juin dans la dou­blure de ma veste – ins­tam­ment posé la ques­tion si je voyais tou­jours, ayant eu 30 ans, des choses comme j’en voyais plus jeune dans les nuages du ciel ou dans le sperme des draps.

La langue alle­mande enseigne

  • qu’on peut poser la ques­tion si… (die Frage ob…) sans pas­ser par de savoir si…2
  • qu’on doit faire atten­tion à ne pas être dupe d’elles quand on parle des choses, celles qu’on voit comme celles qu’on croit voir, celles per­çues comme celles conçues, parce qu’elles cir­culent sous deux formes, deux sens, moins binaires que bifrontes : le Ding (un informe dar­dé : pierre, gland, chat, chien – toute confi­gu­ra­tion de la matière ani­mée comme inani­mée) et la Sache (une belle et authen­tique ques­tion : une dra­ma­tique de gland, un débat sur chat, l’af­faire pierre, le sou­ci chien – à chaque fois tout un plat).

Il semble évident que la plu­part d’entre nous voit la plu­part du temps dans tout – ses cieux comme ses draps – toute une pro­duc­tion plu­tôt que du pro­duit pro­duit. C’est que tous nous dra­ma­ti­sons. Tous fai­sons de gros, gros efforts de dra­ma­tur­gie pour ne pas nous can­ton­ner à la vue mais accé­der à la vision.

On aurait tort de croire que nos efforts de dra­ma­tur­gie se réduisent aux moments où, monde des mondes, self des selfs, cœur des cœurs et cer­velle des cer­velles, on s’offre tout son soul sur scène à la gra­bouille d’un par­terre d’yeux ver­ju­tés de chiance ou de rire.

Marseille : rires. (Accéder aux autres plats)

Pour se lais­ser faire indo­lent de la dra­ma­tur­gie, il suf­fit d’un plan ; de même pour se mettre à faire impé­rieux de la dra­ma­tur­gie, il suf­fit d’un espace tra­vaillé par le regard comme fond : cieux, draps, page blanche, scène de théâtre effec­ti­ve­ment. Il suf­fit d’a­voir sai­si, dans la gra­bouille d’un mur, d’un ciel, d’un tis­su, d’une sauce de salade, ou dans le bor­del de déter­mi­na­tions his­to­riques qui saturent la page blanche et la scène, un ensemble et de s’y tenir, plu­tôt que de s’en tenir à la vue d’un hété­ro­clite pro­fus.Continuer

Texte

dep1

La dépa­touille est un jeu qui se joue à deux au moins, et lors duquel A donne à B des ordres qui doivent la mener à accom­plir une action simple (se lever, mar­cher, boire un verre d’eau…). La contrainte tient dans le fait que B est tota­le­ment igno­rante du ges­tuaire de la domes­ti­ca­tion sociale : ain­si, on n’obtiendra rien de B si on lui intime l’ordre « lève-toi, marche et bois ce verre d’eau », car les actions « se lever », « mar­cher », « boire », les indi­ca­tions déic­tiques du genre « ce », ain­si que l’équation objec­tale « verre d’eau » lui sont par­fai­te­ment étran­gères. B n’a de connais­sances lan­ga­gières que celles qui réfèrent à des par­ties de son corps et à des posi­tions abso­lues par rap­port à celles-ci. Alors si B, ava­chie sur un sofa, doit accom­plir mar­cher et boire un verre, « place ton poi­gnet gauche au niveau de ton genou droit » est un genre de début accep­table pour la redres­ser. On nomme B l’empatouillée ; A la dépa­touilleuse.

dep2

Une fois l’action à faire accom­plir déter­mi­née, en secret, par la ou les dépa­touilleuses, l’empatouillée entre dans le champ où va se jouer la par­tie et choi­sit sa posi­tion de départ : cette posi­tion implique le plus grand relâ­che­ment pos­sible. La posi­tion de départ de l’empatouillée est son moment expres­sif ; un moment où les pos­si­bi­li­tés d’avachissement sont éten­dues au-delà des fron­tières de l’hospitalité. L’empatouillée vient solen­nel­le­ment se vau­trer. Elle n’est pas sim­ple­ment l’hôte docile de la dépa­touilleuse, c’est aus­si un convive qui choi­sit où et com­ment il perd connais­sance, et orga­nise ain­si la crime scene de laquelle il sera sau­vé. A par­tir de là, et pas­sé peut-être un moment de silence qui tra­duit à la fois l’intertie totale de l’empatouillée et l’embarras de la dépa­touilleuse sur la marche à suivre, peut com­men­cer la par­tie à pro­pre­ment par­ler. Lors de cette par­tie, une autre liber­té de l’empatouillée est de déter­mi­ner le spectre de sa com­pré­hen­sion ; ain­si cer­taines empa­touillées décident qu’elles réagi­ront aux mots « droite », « gauche », « sol », voire à des indi­ca­tions d’angles (plie ton bras gauche à 90° le long du sol) ; d’autres, à rien de tout ça. Cette com­pré­hen­sion peut bien être évo­lu­tive ; une empa­touillée éprou­vée pour­ra déci­der avoir déduit, après l’a­voir enten­du dans divers contextes, la signi­fi­ca­tion du mot « sol ».

La dépa­touille est née dans le cadre feu­tré d’un appar­te­ment, un dimanche où les ami­tiés ne suf­fisent plus, seules, à moti­ver. De ce moment de panne, de frus­tra­tion, de conflit latent, sur­girent des énon­cés qui se vou­laient d’abord inci­ta­teurs (allez, lève-toi de ce canap, on se bouge, on est en train de perdre notre vie là) et devinrent assez vite auto­ri­taires, rem­pla­çant la négo­cia­tion ami­cale autour de ce qu’il y a à faire par des ordres qui emprun­taient aux figures du flic, du mac, du gang­ster, du doc­teur, du parent – figures dont les dis­cours sont à la fois des rap­pels à l’ordre sur le mode de la menace pré­ve­nante (si j’é­tais toi je ferais atten­tion) et l’expression d’affects par­ti­cu­liers qui sont bran­dis, dans cet ordre, comme des attri­buts cano­niques (je ne suis pas quel­qu’un de violent mais tu devrais savoir que…). Une par­tie de dépa­touille porte par­fois la marque de cette nais­sance dou­lou­reuse : bien­veillance pois­seuse, volon­té de mou­voir donc de contraindre un autre corps que le sien, mani­pu­la­tion, ivresse de la parole effi­cace. Voilà pour le trig­ger war­ning.Continuer