Quelques implications abstraites, pour nous les sujets sentants.
(Compte-rendu d’une conversation collective parue dans Legovil 4)
Impayés. Recouvrement. Trier puis agir. Mettez en place un classement de vos débiteurs en trois groupes et instituez un traitement différencié pour chacun d’eux. L’efficacité globale de votre recouvrement en sera ainsi accrue.
1. Il peut et il veut. Négligence, retard, erreur du débiteur, qui effectue le paiement. Tout rentre dans l’ordre. Votre appel téléphonique vous a fait économiser des frais d’avocat et / ou d’huissier.
2. Il veut, mais ne peut pas. Votre débiteur rencontre d’incontestables difficultés financières, mais ne conteste pas sa dette. Cette catégorie de dossier pose un redoutable problème. Concilier rapidité (car la situation peut se dégrader et le débiteur devenir totalement insolvable…) et gestion du rapport entre le coût du recouvrement et les sommes recouvrées (pour ne pas en plus perdre de l’argent). C’est pourquoi, dans ces dossiers, il est souvent opportun de négocier un paiement échelonné. A défaut de paiement, faites le point avec votre expert comptable. Provision en défaut de paiement ; éventuellement : récupération de la TVA déjà reversée au Trésor. Constituez-vous un bon dossier prouvant les difficultés de recouvrement de votre créance. Copie des relances et des rappels infructueux.
3. Il peut mais ne veut pas. Pas de souci financier en ce qui le concerne, mais il estime être en mesure de refuser de payer. Au-delà de la négociation, face à ce type de client, vous serez peut-être amené à entamer une procédure. Plusieurs possibilités sont ouvertes selon la nature du motif du refus de payer, à étudier avec votre avocat et votre huissier. Pour cette catégorie de dossier, le coût d’éventuelles procédures judiciaires n’est pas à comparer avec les chances de recouvrement mais avec les chances de succès, c’est-à-dire avec la qualité des motifs de refus de payer.
Rangez votre débiteur dans une des trois catégories précédentes. Agissez en conséquence.
(« Avis & Conseil Entreprises »,
14 mars 2006)
Sur l’image ci-dessous, nous avons une représentation graphique inexacte de la typologie d’Avis & Conseil Entreprises. Inexacte, puisque l’item original « il peut et il veut » a été remplacé – inattention ou geste critique ? – par « il veut et il peut ». De plus, notre typologie, mais cette fois au même titre que l’originale, est incomplète. Une typologie complète des débiteurs distinguerait, au point de vue logique, les énoncés en fonction de la place qu’y occupent les verbes déontiques :
À ces énoncés on pourrait en ajouter d’autres, sur la base d’une interprétation différenciée des conjonctions et et mais.
En algèbre, l’opérateur ‘mais’ conjoint une enveloppe (sommation) et sa négation, soit :
Cette conjonction n’est pas un gain sec, mais une complication du crédit.
Notons tout de même, quelle que soit la typologie considérée, l’absence du verbe devoir du jeu des déontiques ; c’est que, comme sur les Tables de la Loi (thou shall not kill, du sollst nicht töten…), devoir est tutélaire : nulle dette ne se pense sans un devoir premier. Le poids de la dette est en effet une expression de la gravitas (pour un parallèle avec le poids du péché, se rapporter à Swedenborg, La nouvelle Jérusalem et sa doctrine céleste, la repentance et la rémission des péchés, 1821, §166). Par souci de clarté, rendons visible l’ombre portée de devoir sur vouloir et pouvoir :
La tutelle rendue patente, profitons-en pour mentionner une autre évidence, qui, à force de flotter, s’oublie peut-être : les déontiques ont ici une valeur auxiliaire. Ils sont au service d’une modalisation d’un unique verbe, qui indique l’horizon résolutif (et rémissif) du problème de la dette : payer (remettre). Soit :
En outre, l’objet du paiement, si on le rétablit, ferme tautologiquement chaque proposition, puisque, en général, ce que le débiteur doit payer, ça n’est rien d’autre que ce qu’il doit. Soit :
Il faut particulièrement insister sur le fait que, du point de vue du créditeur lancé dans l’échelle des démarches – du simple coup de téléphone à l’envoi d’un huissier pour entame d’une procédure de recouvrement – l’horizon résolutif se dit dans une actualisation qui, en dernier lieu, annule toutes les modalisations :
Propitiation ? Pas si sûr. Le créditeur a la main sur sa créature débiteuse. Il peut – par exemple à l’égard du second débiteur – faire preuve de mansuétude. En effet, du point de vue du créditeur, alors que les débiteurs 1 et 3 vont payer ce qu’ils doivent, le débiteur 2 bénéficie d’une rémission négociée : il va payer ce qu’il peut, comme il peut. Cette indulgence à l’égard du deuxième type de débiteur est une prime donnée à l’innocence du vouloir. L’innocence du vouloir entraîne une culpabilité partielle, puisqu’elle procède d’un empêchement, d’une limitation du pouvoir. Le débiteur 2, en tant qu’empêché, est un honnête pécheur ou un tricheur sincère. Il convient de l’aider à retrouver le droit chemin.
La banque me dit allez voir les flics. Je vais voir les flics. Ils me disent allez voir les impôts. Je vais voir les impôts. Ils me disent allez voir la banque. Je vais voir la banque. La banque me dit allez voir les flics. Après quelques tours, j’arrive à m’expulser du manège et je tombe sur le bonhomme Voilà, l’huissier. Il est tellement heureux de tomber sur une bonne foi qu’il se montre immédiatement arrangeant,réduit la facture et débloque mes comptes. Il récompense mon non-ménagement. Il me paie mes tours de manèges.
« Votre débiteur rencontre d’incontestables difficultés financières, mais ne conteste pas sa dette. Cette catégorie de dossier pose un redoutable problème. »
Les difficultés sont incontestables, la dette frontale et aveuglante, le problème difficile : la situation est en ce sens tragique. La bonne conscience prend le tour de la torpeur et de la contrition. Rien ne garantit la réminiscence. « Pour assurer le retour de la réminiscence, il faudrait repartir de l’amorce de sens qu’elle autorise. » (M. Richir, Fragm. Phénom. Tps & Esp., 150). C’est pourtant ce détachement au Sens qui surprend… « La réminiscence franchit le Sens par exception, dans la surprise. » (Ibid., p.151). Si l’impossibilité de payer est ainsi vécue sur le mode de la surprise inquiète, la personne est jugée respectable. L’innocence du deuxième débiteur du point de vue de l’intention, l’innocence de son vouloir, est un élément qui ne desserre pas, lui, le nœud tragique, mais contribue au contraire à le nouer davantage : il y a contradiction du vouloir et du pouvoir. Le conflit devient conflit des forces et des intérêts.
La contradiction tragique du vouloir et du pouvoir est engagée : on voudrait par exemple marier une femme, mais [‘et’ et ‘non’] accéder à ce désir ferait de nous [de la personne entière, non fragmentée par la surprise inquiète] l’ennemi du père, soit – par alliance – l’ennemi héréditaire du père. Il y a une totalité circulaire du problème, une inextricabilité du nœud qui oblige à une analyse plus approfondie. On ne peut pas diviser le problème. Il n’est pas ici question de marchandise, mais de l’objet dans son sens le plus hautement métaphysique : son caractère centralisateur (dont la forme politiquement manifeste se traduit dans l’errance relative autour de la définition de l’ennemi). Le différend économique est une relation politique sans sujet, la pire de toutes parce que la plus implacablement irréductible au circuit de la médiation. L’aboutissement tragique est alors : « totalement insolvable ». La totale insolvabilité du débiteur est le moteur de l’action et son minuteur : il faut agir vite, s’organiser rapidement (pour résister à l’oubli et l’entropie des engagements).
Face au deuxième débiteur, la mise en place d’un échelonnage des remboursements est une façon de découper le noeud, de diviser le problème tragique, de réintroduire une échelle et ses variables hypostatiques. L’horloge discrète du temps échéant se met à tourner légèrement moins vite. Une occasion est offerte de quitter la tragédie pour entrer dans l’espace logique du drame : la tragédie était la convergence fatale des moyens insuffisants et des fins nécessaires, le drame est ce qui se résout quand on met les moyens. On passe de la surprise inquiète au convoi de la négociation.
À quel moment des rapports historiques entre drame et tragédie se trouve-t-on ? Quel est notre rapport à la dette ? La tragédie trouve son aboutissement déjà prescrit dans l’insolvabilité radicale du débiteur, ergo sa liquidation, sa mort en tant que puissance financière et source d’argent. Dans le drame, peut encore se nouer un problème – notamment celui du handicap douloureux du débiteur. La position du problème nous fait passer de la pure angoisse relative à la forme de l’oubli dans l’expérience plus modérée de la perte d’historicité. Quand tu es en état d’insolvabilité, tu es dans la stupeur, alors que quand tu rentres dans le circuit de la médiation du remboursement, tu es juste dans une aliénation relative qui se manifeste comme une perte d’historicité – l’Histoire étant l’élément relatif du drame, par opposition à la transgression tragique comme situation absolue. L’inter-dit supplante le non dit.
Si le débiteur peut mais ne veut pas – cas de figure numéro 3 – les moyens à déployer pour le contraindre sont déjà connus : il faut toucher aux propriétés qui seraient naturellement celles du drame de la saisie. Le deuxième débiteur, lui, tend à échapper à la possibilité de la saisie.
Le seul, dans cette typologie, qui soit coupable totalement, c’est le débiteur numéro 3 : il l’est au plan du vouloir et au plan du pouvoir. C’est le seul à commettre un crime caractérisé, et à appeler une réponse procédurale. Il n’est pas aimable ; on ne traitera pas avec lui à l’amiable. L’abandon du mauvais axe, du mauvais pivot relève d’une question de principe.
« Nous connaissons les gens qui ont des combines pour échapper aux manoeuvres de la machine de recouvrement et de l’échéancière gracile. Nous savons quel est le traitement à leur faire subir. »
On n’a plus l’Empire et en plus,
ils nous la mettent
à l’envers.
– Et toi, pourquoi tu t’intéresses tant, par exemple quand tu parles des créditeurs, à la libido ? Tu dis « la jouissance » comme si tu faisais un poème ou un avis & conseil entreprises.
– Je ne saurais pas en parler avec précision, mais je crois qu’on a affaire à deux choses. On a affaire à un système. Le système, c’est la typologie du conseil & avis entreprises. Des espèces de fabrication de fils invisibles qui nous tiendraient, et puis en fait quand on a affaire à un humain : qu’il soit huissier, qu’il soit machin, il est encore humain, c’est-à-dire qu’il fait son travail, comme on dit. Et peut-être c’est ça l’espace de la jouissance : faire plus son travail qu’être encore son métier. Walser, à chaque fois qu’il trouvait du boulot – des trucs à la Bartleby : recopier des textes, avec une journée entière pour recouvrer un seul texte – tu vois, à chaque fois Walser il fait son boulot super bien,avec ardeur et zèle, et le lendemain ça l’emmerde, tout à coup il ne fait plus rien, il fait défection mais à son poste, et le surlendemain il quitte son poste. Il va retrouver un autre boulot où reproduire le même schéma : jouir, ne rien faire, voilà. Dans l’amour, pareil : il va faire le ménage chez une femme, et cette femme a des grandes chaussures avec des talons extraordinaires. Il rêve de lui baiser les pieds, d’être le plus bas possible devant celle qui l’embauche. Il jouit de la désirer sublime ; il la déteste d’être si laide ; il quitte l’emploi de la désirer ou de la haïr.
– Alors Walser, c’était une sorte de sub capricieux ?
– Oui. Dans Le Commis, dès les premières lignes, il est fait droit au personnage principal, un commis, qui exige qu’on lui produise les conditions optimales pour s’accomplir comme commis.
– Il veut rencontrer sa jouissance. Sauf qu’après, sa liberté, ce sera celle de tout casser…
– Recouvrer la liberté… Débiter n’importe quoi, c’est-à-dire parler sans jamais s’acquitter d’une dette vis-à-vis du langage. Tout casser, c’est alourdir sa dette.
– Je notais hier le verbe « désintéresser ». Désintéresser, c’est : faire cesser l’attente.
– Être désintéressé, c’est avoir totalement remboursé sa dette, c’est ça ? C’est un terme technique ?
– Oui… Non… C’est peut-être moi ça… Faire cesser l’attente, ne plus importer. Être léger de toute dette, avoir disparu…
– On ne s’est pas trop intéressé à la figure de « il peut et il veut ».
– Oui. Il est enregistré comme débiteur accidentellement. Il a oublié…
– Il est juste à la bourre, oui. On n’a pas trouvé son adresse, quoi. Il est en retard sur le temps.
– Alors je pense qu’on touche à un point important. L’homme qui a énoncé la fin historique de la tragédie et annoncé le temps où règne seul le drame interminable, c’est un Allemand, il s’appelle Büchner, et c’est dans un texte qui s’appelle La mort de Danton.
– De ce point de vue, il faudrait peut-être à nouveau questionner les rapports entre tragédie et drame. Il s’agit d’imaginer une échelle sur laquelle on distingue les événements, d’une part (soudain…, c’est alors que…), des certitudes (il est bien entendu que…), d’autre part.
– Alors, là, il y a un truc à noter ? La mort ?
– Oui…
– Au regard de la dette ?
– Au regard de la dette. Ce que serait la mort pour un regard drama doit être précisé.
– Est-ce que Danton est coupable ou innocent dans la pièce de Büchner ?
– Ce n’est plus la question, justement. Ou plutôt : l’innocence n’est plus ici en question.
– La question morale a été liquidée ?
– La question tragique a été liquidée.
– J’ai ramené un filet, je ne sais pas pourquoi. Je suis vivant dans l’écarté. J’arrive, je vois un filet, je me dis « c’est le débiteur son filet », ou « le recouvreur son filet ». Il me semble que la cessation des temps propres à la surprise inquiète est aussi l’occasion d’une centration de l’échelle sous la forme d’une toile, par exemple. J’ai appris dans la dette qu’il était question de capture jusqu’en dehors d’elle.
update 1.12.2020 : Lecteur audio
Kenneth Goldsmith est un poète américain, primé par le MOMA et reçu à la Maison Blanche, qui a bâti son œuvre et sa réputation sur la pratique et l’historicisation de la « non-expressivité » et de la « non-originalité ». Le 13 mars 2015, Goldsmith a lu en public, dans une université américaine, un poème intitulé The Body of Michael Brown qui consistait en la reprise, présentée comme littérale, du texte du rapport d’autopsie d’un jeune homme noir assassiné par un officier de police le 9 août 2014 1. Répondant aux controverses nées de cette lecture, Goldsmith s’est récemment posé en victime d’une censure morale venant de la gauche.
Cette justification fait suite à une une déclaration quasi martyrologique dans laquelle il affirme avoir simplement reproduit le texte de l’autopsie – sans l’éditorialiser (mot anglais pouvant signifier « interpréter » ou « angler », dans le jargon journalistique) –, défendant une pratique de la littéralité qui indique (guck mal !), mais l’air de rien et sans la souligner, la teneur ou la charge idéologique du document source. La robe du grand mage débusqueur d’idéologies s’éraille cependant lorsque Goldsmith admet avoir altéré le texte pour produire un effet poétique (« altered the text for poetic effect »), traduit en anglais standard des termes du lexique médical qui seraient demeurés obscurs et auraient interrompu le flux du texte (« translated into plain English many obscure medical terms that would have stopped the flow of the text ») et narrativisé le texte de manière à le rendre moins didactique et plus littéraire (« narrativized it in ways that made the text less didactic and more literary »)2.
Que ces ajustements, retouches, altérations du texte d’origine ne soient pas perçus comme des écarts conséquents par rapport au vœu de littéralité interroge. Quel genre de théorie du langage suppose ces procédures non-expressives ? Quel territoire un terme comme « éditorialiser » recouvre-t-il si de tels arrangements en sont exclus ? Quel « art poétique » s’accommode de la polarité littéraire vs. didactique ?
Plus loin, Goldsmith dit n’avoir ajouté ni altéré un seul mot ou sentiment qui ne préexistât dans le texte d’origine (« That said, I didn’t add or alter a single word or sentiment that did not preexist in the original text. »). Un littéraliste déclaré affirme donc que la précaution qui consiste à préserver un lexique ou un registre sentimental suffit à tenir le serment de loyauté à l’égard d’un texte. Mais quelle est, au juste, la nature d’une loyauté au seul « scribe » – celui dont on prend la peine de corriger l’expression ?
On dit : le remontage de l’expérience du témoin est un problème dramaturgique vieux comme le premier crime. La réécriture « correctrice » de l’expérience du scribe fait, elle, en 2015, écho aux pratiques plus anciennes du clerc : assimilation de l’expérience individuelle à un corpus stylisé (piégé dans la catégorie dramatique de l’épiphanie qu’on peut aussi bien appeler breaking news), corpus auquel est conféré le privilège du caprice dans la désignation, la nomination et la domestication du flux. Ainsi le programme de non-expressivité et de non-originalité s’appuie-t-il commodément sur des énoncés originaux qu’il s’approprie dans la tradition (et dans le préau) de l’académie, celle qui aliène en prétendant transmettre.
Le même problème dramaturgique s’était posé à l’occasion de l’exposition exhibit b, dont les organisateurs ont répondu aux accusations de racisme par une déclaration dont le fond était que leur bonne foi d’antiracistes suffisait à pousser du bon côté du regard la reproduction de tableaux vivants par des acteurs noirs in situ. Le fait que la reproduction littérale, par des agents institutionnels, de zoos humains à l’intérieur d’un théâtre, se fût heurtée à des manifestations de non-acteurs également vivants et également noirs à l’extérieur du théâtre, constitue un énoncé d’une « littéralité » qu’aucune glose ne saurait réduire : à partir de maintenant, se laver les mains dans la grande tradition cathartique au sein d’une société bâtie et nourrie sur l’exploitation et sa douce historisation dans l’ordre des Grandes Découvertes (l’esclavage comme « contact » anthropologique, la colonisation comme « middle ground » etc.), ne sera plus possible.
Cette idéologie, qui a produit des cartographies molaires aux paysages discontinus, trouve son prolongement dans la foi de l’institution en son contexte comme paysage de reproduction d’exception (non-problématique en soi). À cette confiance, les non-acteurs répondent par la convocation d’un contexte plus large, celui d’une société dans laquelle le racisme est considéré comme une tache (« le cancer de la société ») pour éviter d’être traité comme mode, la collection d’énoncés qui va du cri de singe aux jets de bananes occultant la fabrique insidieuse du racisme institutionnel. Ainsi, en 2015, des non-acteurs à l’extérieur du théâtre ont une connaissance plus fine des problèmes de poétique et de dramaturgie que des artistes, à l’intérieur.
Le geste de Goldsmith rapatrie un corps noir dans le discours biologisant de l’universalisme blanc (fait d’une collection d’énoncés sans cesse contredits par la permanence de l’exploitation) et dit, depuis l’intérieur du théâtre, ce que ses énoncés dissimulent sous le va-de-soi de l’antiracisme : « une fois morts nous serons égaux ». En fait de littéralité, son geste ne fait que préserver l’équiformité de son document source3, mais il défère à son texte (par les modifications mentionnées tout à l’heure, les corrections de clerc) le statut de document de culture solidaire d’un ordre dramaturgique solidaire d’un ordre institutionnel ; aussi n’y a‑t-il rien d’étonnant à ce que son geste appelle, en fin de compte, le même ordre de commentaires que ceux produits par sa cause (le défendre en définissant l’art conceptuel comme pain stimulus ne fait que confirmer ceci : la carte des affects suscités par une telle œuvre est superposable à celle de ceux suscités par le meurtre lui-même).
C’est ainsi que la conceptualité, en partie parce que décrétée de l’intérieur, rejoint les discours formalisateurs et indexateurs (rapports, gloses, expertises). Et c’est ainsi que Goldsmith, plein d’une foi dans son geste et dans une dramaturgie qui l’excepte (foi résumée dans la célébration d’une force du décontexte), se voit confirmé dans son rôle de clerc.
DU MAÏS TCHÈQUE (original : Dümaïçtschek)
Durée : 20 sec
Production : Les Films Vus En Rêves (décembre 2014, Berlin)
#LFVER001
/// Synopsis
Au début du film, l’Histoire, père de famille de 50 ans, explique à ses enfants, pères de famille de 8 et 14 ans, la totalité de l’ère postcoloniale avec des rouleaux de pq roses et verts balancés dans une petite pièce oblongue dont on s’apercevra qu’il s’agissait des gogues. Une fable sur la mondialisation.
/// Extraits :
– « regarde, du maïs tchèque »
– « du blé blond polandais »
– « PAPA ! PAPA ! »
– « de la malaria dans la douche »
– « allez, ça suffit, enfile ta méthamphétamine »
– « france, qu’as-tu donc etc. »
My typical steak marinade that I created est le titre de l’improvisation donnée à Marseille le 11 octobre dernier, à ActOral. C’est un truc travaillé lors d’heures pérambulatoires-réjouissantes intitulées Going to the beach for culture, dont nous publierons bientôt ou un jour ou peut-être pas les minutes.
La phrase My typical steak marinade that I created est un mentisme né lors de ces pérambulations. Il est issu d’un commentaire spammeur qui vante une recette de marinade pour steak supposément unique :
I had bought some prime rib steaks and wanted a good recipe, something other than my typical steak marinade that I created.1
L’espèce de redondance égotrippée de my steak marinade that I created, et son association avec l’adjectif typical, un adjectif évaluatif normalement réservé à un juge extérieur, le fait que la typicité soit décrétée de l’intérieur, unilatéralement, formellement proclamée, comme sur un dépliant touristique, ce décret de vibrante singularité fit pour nous de l’expression steak marinade le mème condensateur de la banalité et de la typicité, le schème commun actualisé de la singularité contemporaine (publicitaire, soucieuse de son effet).
Sam Langer & Antoine Hummel interviewés téléphoniquement par Radio Libération Brebis-Terre au sujet de leur lecture au Festival actOral samedi soir prochain, soir, prochain, soir.
Lecteur audioDÉPRIM
Département d’Étude&Évaluation des Procédures de Raréfaction des Insuccès du Matin
Objet : compte-rendu de la matinée du lundi 6 octobre
Compte-rendu
Un indice libidinal élevé et une activité génitale stable s’allient à une consistance des selles de catégorie 5 pour faire de la matinée du 6 octobre une réussite en terme de lundi, malgré une odeur d’urines fort âcre qui semble indiquer un début de geinte hépatique. Un bijou d’hangovère communique la félicité, mais raisonnablement. Avant-douche productif : lecture, traduction, beaucoup d’acquiescement, consultation des statistiques du blog (encore beaucoup – trop ? – de Chinois perdus). Absence notable de ronchon (les news lassent opportunément) mais « vive » « émotion de l’âme » sur (l’échelle de) l’âme au constat que la nuit du 5 au 6 n’a pas suffi, malgré des rêves engageants, à mater l’inforthune. Côté corps, des problèmes urticants hâtent la douche. Après-douche consacré à la rédaction de la présente. Note prospective : si le délicat virage du repas est bien négocié, les prévisions concernant l’entièreté du segment [lundi 6 octobre 2014] pourraient être revues à la hausse.
Note de la matinée 6 /10 (note moyenne des lundis : 1)
Détail du barème
Intensité émotionnelle : basse.
Dominante âme : indifférence conquérante.
Dominante fait : gaule pas piquée des hannetons.
Composition émoticône : ?,-_()
Note du compte-rendu 5/10
Ce premier communiqué du DEPRIM est trop peu soigné pour espérer dépasser la moyenne. En plus en tant que premier communiqué son rôle est de déterminer une moyenne donc voilà. À l’avenir, on gagnera à censurer ce ton par trop imitatif des bulletins météos. En revanche, on ne peut que saluer la critique d’une conception processuelle du geignement et du ronchonnement qui s’exprime dans l’emploi des déverbaux « geinte » et « ronchon ».
Temps de préparation (pour une personne ou moins)
20 (vingt) minutes d’heure environ
Appréciation générale
Encore un beau travail de mufle.
« Internet. »