25 01 17

D’une par­ti­cule simple à l’autre, il n’y a pas de dif­fé­rence de nature, il n’y a pas non plus de dif­fé­rence entre celle-ci et celle-là. Il y a de ceci qui se pro­duit ici ou la, chaque fois sous forme d’unité, mais cette uni­té ne per­sé­vère pas en elle-même. Des ondes, des vagues, des par­ti­cules simples ne sont peut-être que les mul­tiples mou­ve­ments d’un élé­ment homo­gène ; elles ne pos­sèdent que l’unité fuyante et ne brisent pas l’homogénéité de l’ensemble.
Les groupes com­po­sés de nom­breuses par­ti­cules simples pos­sèdent seuls ce carac­tère hété­ro­gène qui me dif­fé­ren­cie de toi et isole nos dif­fé­rences dans le reste de l’univers. Ce qu’on appelle un “être” n’est jamais simple, et s’il a seul l’unité durable, il ne la pos­sède qu’imparfaite : elle est tra­vaillée par sa pro­fonde divi­sion inté­rieure, elle demeure mal fer­mée et, en cer­tains points, atta­quable du dehors.
Il est vrai que cet “être” iso­lé, étran­ger à ce qui n’est pas lui, est la forme sous laquelle te sont appa­rues d’abord l’existence et la véri­té. C’est a cette dif­fé­rence irré­duc­tible – que tu es – que tu dois rap­por­ter le sens de chaque objet. Pourtant l’unité qui est toi te fuit et s’échappe : cette uni­té ne serait qu’un som­meil sans rêves si le hasard en dis­po­sait sui­vant ta volon­té la plus anxieuse.
Ce que tu es tient a l’activité qui lie les élé­ments sans nombre qui te com­posent, à l’intense com­mu­ni­ca­tion de ces élé­ments entre eux. Ce sont des conta­gions d’énergie, de mou­ve­ment, de cha­leur ou des trans­ferts d’éléments, qui consti­tuent inté­rieu­re­ment la vie de ton être orga­nique. La vie n’est jamais située en un point par­ti­cu­lier : elle passe rapi­de­ment d’un point a l’autre (ou de mul­tiples points à d’autres points), comme un cou­rant ou comme une sorte de ruis­sel­le­ment élec­trique. Ainsi, où tu vou­drais sai­sir ta sub­stance intem­po­relle, tu ne ren­contres qu’un glis­se­ment, que les jeux mal coor­don­nés de tes élé­ments péris­sables.
[…] Je ne suis et tu n’es, dans les vastes flux des choses, qu’un point d’arrêt favo­rable au rejaillis­se­ment. Ne tarde pas à prendre une exacte conscience de cette posi­tion angois­sante : s’il t’arrivait de t’attacher a des buts enfer­més dans ces limites où per­sonne n’est en jeu que toi, ta vie serait celle du grand nombre, elle serait “pri­vée de mer­veilleux”. Un court moment d’arrêt : le com­plexe, le doux, le violent mou­ve­ment des mondes se fera de ta mort une écume écla­bous­sante. Les gloires, la mer­veille de ta vie tiennent a ce rejaillis­se­ment du flot qui se nouait en toi dans l’immense bruit de cata­racte du ciel. Les fra­giles parois de ton iso­le­ment où se com­po­saient les mul­tiples arrêts, les obs­tacles de la conscience, n’auront ser­vi qu’à réflé­chir un ins­tant l’éclat de ces uni­vers au sein des­quels tu ne ces­sas jamais d’être per­du.

L’expérience inté­rieure
Gallimard 1943
bataille communication expérience intérieure flux homogène/hétérogène isolement jaillissement merveilleux mystique particule solidarité vérité