Tout ce qui le peut s’orne d’esprit, s’en chamarre. L’esprit, combiné avec autre chose, est ce qu’il y a de plus répandu au monde. « L’esprit de fidélité », « l’esprit d’amour », un « esprit viril », un « esprit cultivé », « le plus grand esprit de notre temps », « nous voulons sauvegarder l’esprit de telle ou telle chose », « nous voulons agir dans l’esprit de notre mouvement » : ah ! le beau son décent de tout cela jusque dans les plus b…asses classes ! Tout le reste, à côté, le crime quotidien, la cupidité assidue, apparaît alors comme l’inavouable crasse que Dieu enlève aux ongles de ses orteils.
Mais quand l’esprit demeure tout seul, substantif nu, glabre comme un fantôme à qui l’on aimerait prêter un suaire, qu’en est-il donc ? On peut lire les poètes, étudier les philosophes, acheter des tableaux, discuter toute la nuit : mais ce que l’on y gagne, est-ce de l’esprit ? En admettant même qu’on en gagne, le possédera-t-on pour autant ? Cet esprit-là est si étroitement lié à la forme fortuite qu’il a prise pour entrer en scène ! Il passe à travers celui qui aimerait l’accueillir, ne lui laissant qu’un ébranlement léger. Qu’allons-nous faire de tout cet esprit ? On ne cesse d’en produire en quantités proprement astronomiques sur des tonnes de papier, de pierre et de toile, on ne cesse pas davantage d’en ingérer et d’en consommer dans une gigantesque dépense d’énergie nerveuse : qu’en advient-il ensuite ? Disparaît-il comme un mirage ? Se dissout-il en particules ? Se soustrait-il à la loi terrestre de la conservation de la matière ? Les parcelles de poussière qui descendent au fond de nous et lentement s’y immobilisent n’ont aucun rapport avec la dépense faite. Où est-il parti ? Où est-il, qu’est-il ? Peut-être se formerait-il autour de ce mot « esprit », si l’on en savait davantage, un cercle de silence angoissé…
[…]L’esprit sait que la beauté rend bon, mauvais, bête ou séduisant. Il dissèque un mouton et un pénitent, et trouve dans l’un et l’autre humilité et patience. Il analyse une substance et constate que, prise en grandes quantités, elle devient un poison, en petites doses, un excitant. Il sait que la muqueuse des lèvres est apparentée à celle de l’intestin, mais il sait aussi que l’humilité de ces mêmes lèvres est apparentée à celle du sacré. Il mélange, il dissout, il recompose différemment. Pour lui, le bien et le mal, le haut et le bas ne sont pas comme pour le sceptique des notions relatives, mais les termes d’une fonction, des valeurs qui dépendent du contexte dans lequel elles se trouvent. Les siècles lui ont enseigné que les vices peuvent devenir des vertus, et réciproquement ; il tient pour pure maladresse que l’on ne réussisse pas encore, dans le temps d’une vie, à récupérer un criminel. Il n’admet rien de licite ou d’illicite, parce que toute chose peut avoir une qualité qui la fera participer un jour à un nouveau grand système. Il hait secrètement comme la mort tout ce qui feint d’être immuable, les grands idéaux, les grandes lois, et leur petite copie pétrifiée, l’homme satisfait. Il n’est rien qu’il considère comme ferme, aucune personne, aucun ordre ; parce que nos connaissances peuvent se modifier chaque jour, il ne croit à aucune liaison, et chaque chose ne garde sa valeur que jusqu’au prochain acte de la création, comme un visage auquel on parle et qui s’altère avec les mots.
L’esprit est donc l’opportuniste par excellence, mais on ne peut le saisir nulle part, et l’on serait tenté de croire qu’il ne demeure de son action que décadence. Tout progrès constitue un gain de détail, mais une coupure dans l’ensemble ; c’est un accroissement de puissance qui débouche dans un progressif accroissement d’impuissance, et c’est une chose à quoi l’on ne peut rien. Cela rappela à Ulrich ce corps de faits et de découvertes, grossissant presque d’heure en heure, dont l’esprit est contraint aujourd’hui de détourner ses regards s’il veut examiner avec précision quelque problème que ce soit. Ce corps grossit en s’éloignant de l’être intérieur. D’innombrables conceptions, opinions, systèmes provenant de toutes les régions du monde et de toutes les époques, de toutes les espèces de cerveaux, sains ou malades, en état de veille ou de rêve, ont beau le sillonner comme des milliers de petits cordons nerveux, il manque le centre où ses rayons pourraient converger. L’homme se sent menacé de reproduire le destin de ces races d’animaux géants de la préhistoire, qui sont morts de leur grandeur même ; mais il ne peut pas abdiquer.
Cela fit ressouvenir Ulrich d’une idée fort douteuse à laquelle il avait cru longtemps et qu’il n’avait pas encore pu extirper de son cerveau : que seul un sénat d’hommes évolués, doués de vastes connaissances, pouvait gouverner le monde. Il est très naturel de penser que l’homme qui, malade, se confie aux soins de médecins spécialisés plutôt qu’à des bergers, n’a aucune raison, lorsqu’il est en bonne santé, de se faire traiter par des bavards beaucoup moins qualifiés que des bergers, comme c’est le cas dans ses affaires publiques ; c’est pourquoi les jeunes gens, qui s’attachent à l’essentiel, commencent par juger secondaire tout ce qui, dans le monde, n’est ni beau, ni vrai, ni bon, par exemple le Ministère des Finances ou, justement, un débat parlementaire. Du moins étaient-ils tels autrefois : aujourd’hui, grâce à l’éducation politique et économique, ils doivent avoir changé. Mais, alors déjà, quand on avait pris de l’âge et fréquenté assez longtemps ces fumoirs de l’esprit où le monde fume le jambon des affaires, on apprenait à s’accommoder de la réalité. En fin de compte, l’homme cultivé en venait ordinairement à se limiter à sa spécialité en adoptant pour le reste de sa vie la conviction que, si les choses pouvaient évidemment être différentes dans l’ensemble, il n’en était pas moins inutile d’y penser trop. Tel apparaît à peu près l’équilibre intérieur des travailleurs de l’esprit. Et soudain, tout le problème apparut à Ulrich sous la forme assez comique d’une question : le mal ne viendrait-il pas, en fin de compte, puisqu’on ne peut douter qu’il n’y ait de l’esprit en suffisance, de ce que l’esprit n’a pas d’esprit ?
Il eut envie de rire : n’était-il pas lui-même un de ces résignés ? Mais l’ambition déçue, vivante encore cependant, le traversa comme une épée. En cet instant, deux Ulrich marchaient côte à côte. L’un regardait en souriant autour de lui et pensait : « Ainsi donc, j’ai voulu jouer un rôle dans des coulisses comme celles-là ! Je me suis éveillé un jour, non point mou comme dans le corbillon maternel, mais fermement persuadé que j’avais quelque chose à réaliser. On m’a donné mes répliques, et j’ai senti qu’elles ne me concernaient pas. Toutes choses alors étaient emplies, comme par le scintillement du trac, de mes attentes et de mes desseins propres. Entre-temps, la scène a tourné imperceptiblement, j’ai avancé de quelques pas, et me voici déjà, peut-être, au seuil du dénouement. Sous peu, la scène tournante m’aura jeté dehors, et tout ce que j’aurai dit de mon grand rôle sera : “Les chevaux sont sellés. Le diable vous emporte tous !” » Mais tandis que l’un des deux Ulrich, pensant ainsi et souriant, marchait dans le flottement du soir, l’autre tenait les poings fermés, dans la colère et la souffrance. C’était des deux le moins visible, ne pensant qu’à trouver une formule de conjuration, une poignée que l’on pût saisir, le véritable esprit de l’esprit, le morceau manquant, tout petit peut-être, qui permettrait de fermer le cercle interrompu. Ce second Ulrich n’avait pas de mots à sa disposition. Les mots sautent d’arbre en arbre comme des singes, mais dans l’obscur domaine où l’on prend racine, on est privé de leur amicale entremise. Le sol ruisselait sous ses pieds. Il pouvait à peine ouvrir les yeux. Un sentiment peut-il souffler en tempête sans être le moins du monde un sentiment tempétueux ?
Was kann, schmückt sich mit Geist, verbrämt sich. Geist ist, in Verbindung mit irgendetwas, das Verbreitetste, das es gibt. Der Geist der Treue, der Geist der Liebe, ein männlicher Geist, ein gebildeter Geist, der größte Geist der Gegenwart, wir wollen den Geist dieser und jener Sache hochhalten, und wir wollen im Geiste unserer Bewegung handeln : wie fest und unanstößig klingt das bis in die untersten Stufen. Alles übrige, das alltägliche Verbrechen oder die emsige Erwerbsgier, erscheint daneben als das Uneingestandene, der Schmutz, den Gott aus seinen Zehennägeln entfernt.
Aber wenn Geist allein dasteht, als nacktes Hauptwort, kahl wie ein Gespenst, dem man ein Leintuch borgen möchte, – wie ist es dann ? Man kann die Dichter lesen, die Philosophen studieren, Bilder kaufen und nächteweise Gespräche führen : aber ist es Geist, was man dabei gewinnt ? Angenommen, man gewönne ihn : aber besitzt man ihn dann ? Dieser Geist ist so fest verbunden mit der zufälligen Gestalt seines Auftretens ! Er geht durch den Menschen, der ihn aufnehmen möchte, hindurch und läßt nur ein wenig Erschütterung zurück. Was fangen wir mit all dem Geist an ? Er wird auf Massen von Papier, Stein, Leinwand in geradezu astronomischen Ausmaßen immer von neuem erzeugt, wird ebenso unablässig unter riesenhaftem Verbrauch von nervöser Energie aufgenommen und genossen : Aber was geschieht dann mit ihm ? Verschwindet er wie ein Trugbild ? Löst er sich in Partikel auf ? Entzieht er sich dem irdischen Gesetz der Erhaltung ? Die Staubteilchen, die in uns hinabsinken und langsam zur Ruhe kommen, stehen in keinem Verhältnis zu dem Aufwand. Wohin, wo, was ist er ? Vielleicht würde es, wenn man mehr davon wüßte, beklommen still werden um dieses Hauptwort Geist?!
[…]Der Geist hat erfahren, daß Schönheit gut, schlecht, dumm oder bezaubernd macht. Er zerlegt ein Schaf und einen Büßer und findet in beiden Demut und Geduld. Er untersucht einen Stoff und erkennt, daß er in großen Mengen ein Gift, in kleineren ein Genußmittel sei. Er weiß, daß die Schleimhaut der Lippen mit der Schleimhaut des Darms verwandt ist, weiß aber auch, daß die Demut dieser Lippen mit der Demut alles Heiligen verwandt ist. Er bringt durcheinander, löst auf und hängt neu zusammen. Gut und bös, oben und unten sind für ihn nicht skeptisch-relative Vorstellungen, wohl aber Glieder einer Funktion, Werte, die von dem Zusammenhang abhängen, in dem sie sich befinden. Er hat es den Jahrhunderten abgelernt, daß Laster zu Tugenden und Tugenden zu Lastern werden können, und hält es im Grunde bloß für eine Ungeschicklichkeit, wenn man es noch nicht fertigbringt, in der Zeit eines Lebens aus einem Verbrecher einen nützlichen Menschen zu machen. Er anerkennt nichts Unerlaubtes und nichts Erlaubtes, denn alles kann eine Eigenschaft haben, durch die es eines Tages teil hat an einem großen, neuen Zusammenhang. Er haßt heimlich wie den Tod alles, was so tut, als stünde es ein für allemal fest, die großen Ideale und Gesetze und ihren kleinen versteinten Abdruck, den gefriedeten Charakter. Er hält kein Ding für fest, kein Ich, keine Ordnung ; weil unsre Kenntnisse sich mit jedem Tag ändern können, glaubt er an keine Bindung, und alles besitzt den Wert, den es hat, nur bis zum nächsten Akt der Schöpfung, wie ein Gesicht, zu dem man spricht, während es sich mit den Worten verändert.
So ist der Geist der große Jenachdem-Macher, aber er selbst ist nirgends zu fassen, und fast könnte man glauben, daß von seiner Wirkung nichts als Zerfall übrigbleibe. Jeder Fortschritt ist ein Gewinn im Einzelnen und eine Trennung im Ganzen ; es ist das ein Zuwachs an Macht, der in einen fortschreitenden Zuwachs an Ohnmacht mündet, und man kann nicht davon lassen. Ulrich fühlte sich an diesen fast stündlich wachsenden Leib von Tatsachen und Entdeckungen erinnert, aus dem der Geist heute herausblicken muß, wenn er irgendeine Frage genau betrachten will. Dieser Körper wächst dem Inneren davon. Unzählige Auffassungen, Meinungen, ordnende Gedanken aller Zonen und Zeiten, aller Formen gesunder und kranker, wacher und träumender Hirne durchziehen ihn zwar wie Tausende kleiner empfindlicher Nervenstränge, aber der Strahlpunkt, wo sie sich vereinen, fehlt. Der Mensch fühlt die Gefahr nahe, wo er das Schicksal jener Riesentierrassen der Vorzeit wiederholen wird, die an ihrer Größe zugrundegegangen sind ; aber er kann nicht ablassen. – Dadurch wurde nun Ulrich wieder an jene recht fragwürdige Vorstellung erinnert, die er lange Zeit geglaubt und selbst heute noch nicht ganz in sich ausgemerzt hatte, daß die Welt am besten von einem Senat der Wissenden und Vorgeschrittenen gelenkt würde. Es ist ja sehr natürlich, zu denken, daß der Mensch, der sich von fachlich gebildeten Ärzten behandeln läßt, wenn er krank ist, und nicht von Schafhirten, keinen Grund hat, wenn er gesund ist, sich von hirtenähnlichen Schwätzern behandeln zu lassen, wie er es in seinen öffentlichen Angelegenheiten tut, und junge Menschen, denen an den wesenhaften Inhalten des Lebens gelegen ist, halten darum anfangs alles auf der Welt, was weder wahr, noch gut, noch schön ist, also zum Beispiel auch eine Finanzbehörde oder eben eine Parlamentsdebatte, für nebensächlich ; wenigstens waren sie damals so, denn heute sollen sie ja dank der politischen und wirtschaftlichen Erziehung anders sein. Aber auch damals lernte man, wenn man älter wurde und bei längerer Bekanntschaft mit der Räucherkammer des Geistes, in der die Welt ihren geschäftlichen Speck selcht, sich der Wirklichkeit anzupassen, und der endgültige Zustand eines geistig angebildeten Menschen war ungefähr der, daß er sich auf sein »Fach« beschränkte und für den Rest seines Lebens die Überzeugung mitnahm, das Ganze sollte ja vielleicht anders sein, aber es habe gar keinen Zweck, darüber nachzudenken. So ungefähr sieht das innere Gleichgewicht der Menschen aus, die geistig etwas leisten. Und mit einemmal stellte sich Ulrich das Ganze komischer Weise in der Frage dar, ob es nicht am Ende, da es doch sicher genug Geist gebe, bloß daran fehle, daß der Geist selbst keinen Geist habe ?
Er wollte darüber lachen. Er war ja selbst einer von diesen Verzichtenden. Aber enttäuschter, noch lebendiger Ehrgeiz fuhr durch ihn wie ein Schwert. Zwei Ulriche gingen in diesem Augenblick. Der eine sah sich lächelnd um und dachte : »Da habe ich also einmal eine Rolle spielen wollen, zwischen solchen Kulissen wie diesen. Ich bin eines Tages erwacht, nicht weich wie in Mutters Körbchen, sondern mit der harten Überzeugung, etwas ausrichten zu müssen. Man hat mir Stichworte gegeben, und ich habe gefühlt, sie gehen mich nichts an. Wie von flimmerndem Lampenfieber war damals alles mit meinen eigenen Vorsätzen und Erwartungen ausgefüllt gewesen. Unmerklich hat sich aber inzwischen der Boden gedreht, ich bin ein Stück meines Weges voran gekommen und stehe vielleicht schon beim Ausgang. Über kurz wird es mich hinausgedreht haben, und ich werde von meiner großen Rolle gerade gesagt haben : ›Die Pferde sind gesattelt.‹ Möge euch alle der Teufel holen!« Aber während der eine mit diesen Gedanken lächelnd durch den schwebenden Abend ging, hielt der andre die Fäuste geballt, in Schmerz und Zorn ; er war der weniger sichtbare, und woran er dachte, war, eine Beschwörungsformel zu finden, einen Griff, den man vielleicht packen könnte, den eigentlichen Geist des Geistes, das fehlende, vielleicht nur kleine Stück, das den zerbrochenen Kreis schließt. Dieser zweite Ulrich fand keine Worte zu seiner Verfügung. Worte springen wie die Affen von Baum zu Baum, aber in dem dunklen Bereich, wo man wurzelt, entbehrt man ihrer freundlichen Vermittlung. Der Boden strömte unter seinen Füßen. Er konnte die Augen kaum öffnen. Kann ein Gefühl blasen wie ein Sturm und doch ganz und gar kein stürmisches Gefühl sein ?