Qu’est-ce donc qui exige que le suppôt même le plus lucide demeure inconscient de ce qui en deçà de lui-même se poursuit ? Par exemple, Nietzsche sait, pendant qu’il rédige ses notes sur les impulsions, que celles-ci agissent en lui, mais qu’il n’y a aucune concordance entre les observations qu’il transcrit et les impulsions qui aboutissent à les lui faire écrire. Mais s’il est conscient de ce qu’il écrit, en tant que le suppôt nommé Nietzsche, c’est parce qu’à l’instant même il sait non seulement qu’il ignore ce qui vient de se produire pour qu’il écrive, mais qu’il le lui faut ignorer (s’il veut écrire et penser) et qu’il ignore à l’instant, de toute nécessité, ce qu’il nommera tout à l’heure le combat des impulsions entre elles. S’arrête-t-il d’écrire et même essaye-t-il de ne plus rien penser — peut-on dire qu’il s’abandonne à l’inconscience (sous forme d’une extravagante rêverie) ?
Voilà d’abord un aspect du phénomène qui amènera Nietzsche à chercher le rapport entre le suppôt « conscient » et l’activité impulsionnelle dite inconsciente par rapport à ce suppôt, comme ce dernier l’est à l’égard de cette activité « souterraine », et cette enquête elle-même sera menée dans l’intention de démontrer que la morale, à l’origine de toute investigation ne s’arrête qu’au moment de ruiner son propre fondement. Nietzsche poursuit l’investigation pour lui faire avouer enfin : il n’y a ni sujet, ni objet, ni vouloir, ni but, ni sens — non pas à l’origine, mais maintenant et toujours.
18 06 17