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Qu’est-ce donc qui exige que le sup­pôt même le plus lucide demeure incons­cient de ce qui en deçà de lui-même se pour­suit ? Par exemple, Nietzsche sait, pen­dant qu’il rédige ses notes sur les impul­sions, que celles-ci agissent en lui, mais qu’il n’y a aucune concor­dance entre les obser­va­tions qu’il trans­crit et les impul­sions qui abou­tissent à les lui faire écrire. Mais s’il est conscient de ce qu’il écrit, en tant que le sup­pôt nom­mé Nietzsche, c’est parce qu’à l’instant même il sait non seule­ment qu’il ignore ce qui vient de se pro­duire pour qu’il écrive, mais qu’il le lui faut igno­rer (s’il veut écrire et pen­ser) et qu’il ignore à l’instant, de toute néces­si­té, ce qu’il nom­me­ra tout à l’heure le com­bat des impul­sions entre elles. S’arrête-t-il d’écrire et même essaye-t-il de ne plus rien pen­ser — peut-on dire qu’il s’abandonne à l’incons­cience (sous forme d’une extra­va­gante rêve­rie) ?
Voilà d’abord un aspect du phé­no­mène qui amè­ne­ra Nietzsche à cher­cher le rap­port entre le sup­pôt « conscient » et l’activité impul­sion­nelle dite incons­ciente par rap­port à ce sup­pôt, comme ce der­nier l’est à l’égard de cette acti­vi­té « sou­ter­raine », et cette enquête elle-même sera menée dans l’intention de démon­trer que la morale, à l’origine de toute inves­ti­ga­tion ne s’arrête qu’au moment de rui­ner son propre fon­de­ment. Nietzsche pour­suit l’investigation pour lui faire avouer enfin : il n’y a ni sujet, ni objet, ni vou­loir, ni but, ni sens — non pas à l’origine, mais main­te­nant et tou­jours.

Nietzsche et le cercle vicieux
Mercure de France 1969
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