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Ainsi la puis­sance à l’œuvre dans la pro­pa­ga­tion de l’espèce, consi­dé­rée désor­mais en tant que sup­pôt unique de l’existence, aurait atteint à un état d’équilibre : en tant que celui-ci se véri­fie­rait par la fixi­té de l’espèce. Mais (comme Nietzsche l’a démon­tré selon la théo­rie de l’énergie) la puis­sance répugne à tout état d’équilibre et le rompt par son aug­men­ta­tion : de même, en tant que pro­pa­ga­tion, excède-t-elle aus­si l’espèce humaine, en tant que sup­pôt unique de l’exis­tence : et c’est en l’excédant que la puis­sance fait de l’espèce une mons­truo­si­té pul­lu­lante : à ce stade, l’espèce n’est plus maî­tresse de son des­tin : c’est en vain que la puis­sance cher­che­rait à s’épuiser en un nou­veau sup­pôt, et ain­si il lui faut reve­nir tou­jours au même, jusqu’à la totale usure de ce der­nier. A cette repro­duc­tion absurde, s’oppose l’absurdité de l’Éternel Retour, encore qu’il s’agisse du même Cercle vicieux. La déva­lo­ri­sa­tion totale par la pro­pa­ga­tion de l’espèce, en tant que sup­pôt usur­pa­teur de l’existence, ne trouve sa contre­par­tie que dans le cas sin­gu­lier : en lui, la puis­sance excé­den­taire trouve son image, l’image du hasard : car le cas sin­gu­lier ne se défi­nit que néga­ti­ve­ment par rap­port à la gré­ga­ri­té et posi­ti­ve­ment à l’égard de la puis­sance : le cas sin­gu­lier n’est pas héré­di­taire, ne trans­met pas son ori­gi­na­li­té : il est au contraire une menace pour l’espèce en tant qu’espèce : par rap­port à lui la gré­ga­ri­té n’est, en effet, que pur maté­riel vivant, propre à une éla­bo­ra­tion du hasard.

Nietzsche et le cercle vicieux
Mercure de France 1969
congruence dissémination équilibre espèce éternel retour excédent existence fixité grégarité hasard matériel négativité nietzsche profusion propagation pullulement reproduction singularité suppôt