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Pierre Clastres décrit le chas­seur soli­taire qui ne fait plus qu’un avec sa force et son des­tin, et lance son chant dans un lan­gage de plus en plus rapide et défor­mé : Moi, moi, moi, « je suis une nature puis­sante, une nature irri­tée et agres­sive ! » Tels sont les deux carac­tères du chas­seur, le grand para­noïaque de brousse ou de forêt : dépla­ce­ment réel avec les flux, filia­tion directe avec le dieu. C’est que, dans l’espace nomade, le corps plein du socius est comme adja­cent à la pro­duc­tion, il ne s’est pas encore rabat­tu sur elle. L’espace du cam­pe­ment reste adja­cent à celui de la forêt, il est constam­ment repro­duit dans le pro­ces­sus de pro­duc­tion, mais ne s’est pas encore appro­prié ce pro­ces­sus. Le mou­ve­ment objec­tif appa­rent de l’inscription n’a pas sup­pri­mé le mou­ve­ment réel du noma­disme. Mais il n’y a pas de pur nomade, il y a tou­jours et déjà un cam­pe­ment où il s’agit de sto­cker, si peu que ce soit, d’inscrire et de répar­tir, de se marier et de se nour­rir (Clastres montre bien chez les Guayaki com­ment, à la connexion entre chas­seurs et ani­maux vivants, suc­cède Hans le cam­pe­ment une dis­jonc­tion entre les ani­maux morts et les chas­seurs, dis­jonc­tion sem­blable à une pro­hi­bi­tion de l’inceste, puisque le chas­seur ne peut pas consom­mer ses propres prises).

Capitalisme et schi­zo­phré­nie
vol. 1 L’anti-Œdipe
Minuit 1972
chasse nomadisme paranoia prédation