Pierre Clastres décrit le chasseur solitaire qui ne fait plus qu’un avec sa force et son destin, et lance son chant dans un langage de plus en plus rapide et déformé : Moi, moi, moi, « je suis une nature puissante, une nature irritée et agressive ! » Tels sont les deux caractères du chasseur, le grand paranoïaque de brousse ou de forêt : déplacement réel avec les flux, filiation directe avec le dieu. C’est que, dans l’espace nomade, le corps plein du socius est comme adjacent à la production, il ne s’est pas encore rabattu sur elle. L’espace du campement reste adjacent à celui de la forêt, il est constamment reproduit dans le processus de production, mais ne s’est pas encore approprié ce processus. Le mouvement objectif apparent de l’inscription n’a pas supprimé le mouvement réel du nomadisme. Mais il n’y a pas de pur nomade, il y a toujours et déjà un campement où il s’agit de stocker, si peu que ce soit, d’inscrire et de répartir, de se marier et de se nourrir (Clastres montre bien chez les Guayaki comment, à la connexion entre chasseurs et animaux vivants, succède Hans le campement une disjonction entre les animaux morts et les chasseurs, disjonction semblable à une prohibition de l’inceste, puisque le chasseur ne peut pas consommer ses propres prises).
06 07 17