21 02 16

Antin, Accorder

j’ai don­né son titre à cette pièce [« accor­der », tuning] bien avant de venir ici        et        si le titre que je lui ai don­né n’é­tait pas cen­sé vous don­ner une image très pré­cise de ce que j’al­lais faire et si vous me voyez tri­po­ter ce magné­to­phone        c’est sur­tout parce que je n’ai pas d’i­mage très pré­cise de ce que je vais dire        même si j’ai une très bonne connais­sance du ter­rain        sur lequel en géné­ral je me déplace        et que la seule façon pour moi de voir si cela valait le coup de le faire ou non        c’est d’en­tendre ce que j’ai        de quelle façon je me suis moi-même pris au piège        et si j’ai choi­si de me prendre au piège plu­tôt que de pré­pa­rer à l’a­vance        une série pré­cise d’é­non­cés        c’est parce que j’ai eu l’im­pres­sion        j’ai écrit des choses        avant ça        dans le vide natu­rel qu’est le cabi­net her­mé­tique arti­fi­ciel où se trouve la lit­té­ra­ture depuis un cer­tain temps        et le pro­blème        pour moi        est là        être devant une machine à écrire et face à per­sonne        si bien que pour moi        la lit­té­ra­ture en tant que lit­té­ra­ture        n’a pas d’ur­gence        elle n’a pas besoin de des­ti­na­taire        il y a trop de choses        il n’y a pas trop de choses il y a seule­ment cer­taines choses dont vous vou­drez peut-être par­ler mais il y a trop de manières d’en par­ler        et aucune urgence dans le choix de la manière d’en par­ler        il y a trop de manières de s’y prendre        trop de pos­si­bi­li­tés de faire des objets bien fice­lés        aucune ne semble par­ti­cu­liè­re­ment néces­saire

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« accor­der » Accorder [tuning, new direc­tions, 1984]
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trad.  Pascal Poyet
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p. 123