j’ai donné son titre à cette pièce [« accorder », tuning] bien avant de venir ici et si le titre que je lui ai donné n’était pas censé vous donner une image très précise de ce que j’allais faire et si vous me voyez tripoter ce magnétophone c’est surtout parce que je n’ai pas d’image très précise de ce que je vais dire même si j’ai une très bonne connaissance du terrain sur lequel en général je me déplace et que la seule façon pour moi de voir si cela valait le coup de le faire ou non c’est d’entendre ce que j’ai de quelle façon je me suis moi-même pris au piège et si j’ai choisi de me prendre au piège plutôt que de préparer à l’avance une série précise d’énoncés c’est parce que j’ai eu l’impression j’ai écrit des choses avant ça dans le vide naturel qu’est le cabinet hermétique artificiel où se trouve la littérature depuis un certain temps et le problème pour moi est là être devant une machine à écrire et face à personne si bien que pour moi la littérature en tant que littérature n’a pas d’urgence elle n’a pas besoin de destinataire il y a trop de choses il n’y a pas trop de choses il y a seulement certaines choses dont vous voudrez peut-être parler mais il y a trop de manières d’en parler et aucune urgence dans le choix de la manière d’en parler il y a trop de manières de s’y prendre trop de possibilités de faire des objets bien ficelés aucune ne semble particulièrement nécessaire
21 02 16
Antin, Accorder
, ,
trad.
Pascal Poyet
, , ,
p. 123