01 10 18

Sanchez, La rationalité des croyances magiques

La thèse abré­gée de Lalande, publiée ini­tia­le­ment en 1892, a pour objet de réfu­ter les argu­ments évo­lu­tion­nistes deve­nus, selon le phi­lo­sophe, le lan­gage com­mun des sciences phy­siques et morales de son temps. L’analyse de Lalande porte d’a­bord sur la poly­sé­mie du mot évo­lu­tion qui enf ait ain­si plu­tôt une notion qu’un concept. Ce mot détient, en par­ti­cu­lier, l’é­ton­nant pou­voir de « tout inter­pré­ter au moyen d’un seul et même prin­cipe ». L’évolution est un prin­cipe direc­teur qui engendre indé­fi­ni­ment des expli­ca­tions sur des­bases fra­giles. Il suf­fit pour cela de prendre une ques­tion, par exemple l’ex­pli­ca­tion cau­sale, de trou­ver deux termes à l’ex­tré­mi­té d’un spectre de théo­ries, en l’oc­cur­rence la magie et la science, pour être en mesure arti­fi­ciel­le­ment de recons­truire une évo­lu­tion his­to­rique et néces­saire ame­nant l’homme à se libé­rer de fausses repré­sen­ta­tions. Le prin­cipe évo­lu­tion­niste délivre, dans ce cas pré­sent, une expli­ca­tion dou­teuse en ce qu’elle pos­tule d’a­bord que la magie et la science se réduisent toutes les deux à l’ap­pli­ca­tion du prin­cipe de cau­sa­li­té, et en ce qu’elle pré­sup­pose ensuite que ce prin­cipe embrasse une seule signi­fi­ca­tion, tant pour la amgique que pour la science. De ce fait, la ligne conti­nue qui­re­lie les points d’une courbe pro­pose une vision pure­ment méta­phy­sique et non scien­ti­fique d’un pro­blème. André Lalande voit dans le prin­cipe d’é­vo­lu­tion une réac­tua­li­sa­tion de cette ten­dance au monisme pro­fon­dé­ment che­villée au dis­cours phi­lo­so­phique : « La loi qui l’ex­prime est donc bien la loi de l’u­ni­vers, l’axiome secret qui domine les choses, les engendre, et dont la pos­ses­sion nous donne la clé des phé­no­mènes. » L’architecture de ces pro­po­si­tions évo­lu­tion­nistes pré­ten­du­ment scien­ti­fiques n’est pas, en fait, radi­ca­le­ment dif­fé­rentes des construc­tions de Hegel, ou de Schelling. Appliquées aux sciences sociales, les thèses évo­lu­tion­nistes dévoilent plus encore leur fra­gi­li­té. L’idée selon laquelle l’ob­ser­va­tion des pri­mi­tifs don­ne­rait accèsà une com­pré­hen­sion des formes pre­mières de la vie sociale ou des repré­sen­ta­tions col­lec­tives semble par­ti­cu­liè­re­ment hasar­deuse et indé­mon­trable. L’article « Primitif », inté­gré au Vocabulaire tech­nique et cri­tique de la phi­lo­so­phie, relève toutes les ambi­guï­tés de ce terme « très usuel en socio­lo­gie ». Peut-on assi­mi­ler, demande André Lalande, les socié­tés infé­rieures actuelles aux socié­tés archaïques, aux socié­tés qui nous ont chro­no­lo­gi­que­ment pré­cé­dés ? Commentétablir la preuve que l’a­na­lyse d’une ins­ti­tu­tion archaïque consti­tue un accès à la com­pré­hen­sion de cette ins­ti­tu­tion dans des socié­tés sup­po­sées­plus avan­cées du point de vue de l’é­vo­lu­tion ? Est-on cer­tain que l’é­vo­lu­tion his­to­rique va du simple ou com­plexe, « de l’ho­mo­gène à l’hé­té­ro­gène, d’une exu­bé­rance des formes non sys­té­ma­tiques à une sélec­tion logique » ?