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Libera, La philosophie médiévale

Le pro­blème de la pré­des­ti­na­tion pose celui de l’o­ri­gine du mal. Pour expli­quer en quoi Dieu n’est pas l’au­teur du mal, Jean Scot Ériugène recourt à une théo­rie bien connue : celle de la désub­stan­tia­li­sa­tion du mal, qu’il lit chez Augustin. Fort d’une sorte de loi méon­to­lo­gique, qui, au demeu­rant, fonde l’es­sen­tiel de la pro­blé­ma­tique médié­vale du mal et rend impos­sible tout retour au mani­chéisme, Scot affirme que le mal n’ayant aucune posi­ti­vi­té, Dieu ne peut en être la cause. Comme le dit Augustin, le mal n’est pas un étant, mais un néant, une défaillance, un défaut du Bien. En un mot, c’est une pri­va­tion. Aucune des deux sortes de maux ne doit donc être réfé­rée à Dieu : ni le péché, ni la puni­tion du pécheur. Le péché naît quand la volon­té fait défaut et défaille, c’est un manque, une néan­ti­sa­tion de la volon­té ; le châ­ti­ment n’est rien d’autre que la consé­quence du péché. Scot reprend, en lui don­nant un accent tout à fait ori­gi­nal, un des thèmes cen­traux de la théo­lo­gie augus­ti­nienne. Ce que l’on appelle le mal de peine (ou mal de tour­ment) est inhé­rent au mal de coulpe (ou mal de péché). La puni­tion est l’im­pos­si­bi­li­té d’ac­com­plit le moindre péché. Le cou­pable est puni par le fait qu’il ne peut jamais accé­der à l’es­sence de sa culpa­bi­li­té, ni jamais atteindre son être cou­pable. Si comme l’a mon­tré Augustin, le péché est une chute vers l’im­pos­sible – le néant com­plet ne pou­vant être atteint, le châ­ti­ment du pécheur est de ne pou­voir atteindre le néant auquel il aspire, de ne pou­voir échap­per à l’être et, par­tant, à Dieu, source de l’être. Ce qui tor­ture le pécheur et le dam­né est la même chose : l’im­pos­si­bi­li­té d’en finir avec l’être, avec le bien, avec soi-même. Dieu a mis une borne à la mali­gni­té du pécheur, c’est l’in­con­sis­tance du péché. Le pécheur ne peut se perdre dans le péché car il ne peut faire être le mal ni faire être son péché. Si sa doc­trine du mal et du péché est augus­ti­nienne, la consé­quence que Jean Scot en tire ne l’est pas : elle consiste, pure­ment et sim­ple­ment, à reje­ter l’i­dée d’un enfer phy­sique où les dam­nés seront tor­tu­rés par le feu. Le feu qui brûle le dam­né est le même que celui qui tour­mente le pécheur : c’est le manque à être de l’ob­jet du désir ou, plus sim­ple­ment, l’im­pos­si­bi­li­té du péché.