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Cantorbéry, De veritate

Il n’est certes pas de cou­tume de dire vrai un dis­cours lorsqu’il signi­fie qu’est ce qui n’est pas. Et pour­tant il a véri­té et droi­ture, parce qu’il fait ce qu’il doit. Mais lorsqu’il signi­fie qu’est ce qui est, il fait dou­ble­ment ce qu’il doit, puisqu’il signi­fie à la fois ce qu’il lui a été don­né de signi­fier, et ce en vue de quoi il a été fait. Et c’est selon cette droi­ture et véri­té par laquelle il signi­fie qu’est ce qui est que l’on parle habi­tuel­le­ment d’énonciation vraie, et non pas selon la droi­ture par laquelle il signi­fie aus­si qu’est ce qui n’est pas. Ce en vue de quoi il lui a été don­né de signi­fier lui confère en effet davan­tage que ce en vue de quoi il ne lui a pas été don­né de signi­fier. En effet, il ne lui a pas été don­né de signi­fier qu’une chose est lorsqu’elle n’est pas, ou qu’elle n’est pas lorsqu’elle est, si ce n’est qu’il ne lui fut pas don­né de signi­fier seule­ment qu’une chose est lorsqu’elle est, ou qu’une chose n’est pas quand elle n’est pas. Autre donc est la droi­ture et véri­té de l’énonciation, quand elle signi­fie en vue de quoi elle a été faite pour signi­fier, et quand elle signi­fie ce qu’il lui a été don­né de signi­fier. Pour le dis­cours en ques­tion, la seconde est immuable, tan­dis que la pre­mière est au contraire chan­geante. Il pos­sède tou­jours la seconde, mais pas la pre­mière. Il a la seconde natu­rel­le­ment, mais la pre­mière acci­den­tel­le­ment et selon l’usage. Lorsque je dis en effet : « Il fait jour », en vue de signi­fier qu’est ce qui est, j’use cor­rec­te­ment de la signi­fi­ca­tion de cet énon­cé, puisque c’est en vue de cela qu’il a été fait ; on dit alors pour cette rai­son qu’il signi­fie droi­te­ment. Mais lorsque je signi­fie par le même énon­cé qu’est ce qui n’est pas, je ne l’utilise pas droi­te­ment, puisque ce n’est pas en vue de cela qu’il a été fait ; on dit alors que sa signi­fi­ca­tion n’est pas droite. Néanmoins, dans cer­taines énon­cia­tions, ces deux droi­tures ou véri­tés sont insé­pa­rables, par exemple lorsque nous disons : « L’homme est un ani­mal », ou : « L’homme n’est pas une pierre. » Cette affir­ma­tion signi­fie tou­jours qu’est ce qui est, et cette néga­tion que n’est pas ce qui n’est pas ; et nous ne pou­vons uti­li­ser la pre­mière pour signi­fier qu’est ce qui n’est pas – l’homme est en effet tou­jours un ani­mal –, ni la seconde pour signi­fie que n’est pas ce qui est, puisque l’homme n’est jamais une pierre.

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t. 1
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chap. 2
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trad.  Corbin
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p. 179–180
, cité par Irène Rosier-Catach, La parole effi­cace. Signe, rituel, sacré, Seuil, 2004, p. 84. Traduction Corbin modi­fiée par Rosier-Catach.