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Le but de tous [les attri­buts de Dieu] n’est autre que de lui attri­buer la per­fec­tion [en géné­ral], et non pas cette chose même qui est une per­fec­tion pour ce qui d’entre les créa­tures est doué d’une âme. La plu­part sont des attri­buts [venant] de ses actions diverses ; car la diver­si­té des actions ne sup­pose pas l’existence d’idées diverses dans l’agent. Je vais te don­ner à cet égard un exemple pris dans les choses qui existent près de nous, [pour te mon­trer] que, l’agent était un, il en résulte pour­tant des actions diverses, lors même qu’il n’aurait pas de volon­té, et, à plus forte rai­son, quand il agit avec volon­té. Par exemple, le feu liqué­fie cer­taines choses, coa­gule cer­taines autres, cuit, brûle, blan­chit et noir­cit ; et, si quelqu’un don­nait au feu les attri­buts de blan­chis­sant, de noir­cis­sant, de brû­lant, de cui­sant, de coa­gu­lant et de liqué­fiant, il serait dans le vrai. Or, celui qui ne connaît pas la nature du feu croit qu’il y a en lui six ver­tus dif­fé­rentes : une ver­tu par laquelle il noir­cit, une autre par laquelle il blan­chit, une troi­sième par laquelle il cuit, une qua­trième par laquelle il brûle, une cin­quième par laquelle il liqué­fie et une sixième par laquelle il coa­gule, bien que ce soient là toutes des actions oppo­sées les unes aux autres et que l’idée des unes exclue celle des autres ; mais celui qui connaît la nature du feu sait bien que c’est par une seule qua­li­té agis­sante qu’il pro­duit toutes ces actions, savoir par la cha­leur. Or, si cela a lieu dans ce qui agit par la nature, [il doit en être de même] à plus forte rai­son, à l’égard de ce qui agit avec volon­té, et, à plus forte rai­son encore, à l’égard de Dieu, qui est éle­vé au-des­sus de toute des­crip­tion ; et, lorsque nous per­ce­vons dans lui des rap­ports de sens divers, parce que, dans nous, l’idée de la science est une autre que celle de la puis­sance, et celle de la puis­sance une autre que celle de la volon­té, com­ment pour­rions-nous conclure de là qu’il y ait en lui des choses diverses qui lui soient essen­tielles, de sorte qu’il y ait en lui quelque chose par quoi il sache, quelque chose par qui il veuille et quelque chose par quoi il puisse ? Tel est pour­tant le sens des attri­buts qu’on pro­clame. Quelques-uns les pro­noncent clai­re­ment, en énu­mé­rant les choses ajou­tées à l’essence ; d’autres, sans le pro­non­cer clai­re­ment, pro­fessent évi­dem­ment la même opi­nion, quoiqu’ils ne s’expriment pas à cet égard par des paroles intel­li­gibles, en disant, par exemple, [que Dieu est] « puis­sant par son essence », « sachant par son essence », « vivant par son essence », « vou­lant par son essence ».

Le Guide des éga­rés [מורה נבוכים ; دلالة الحائرين 1190]
t. 1
chap. 53
de l’a­rabe par Salomon Munk (1856–1866), nou­velle édi­tion revue et mis à jour sous la dir. de René Lévy, avec la coll. de Maroun Aouad
Verdier 2012
p. 240–242
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