Avant d’avoir affaire, en toute certitude, à une science, ou à des romans, ou à des discours politiques, ou à l’œuvre d’un auteur ou même à un livre, le matériau qu’on a à traiter dans sa neutralité première, c’est une population d’événements dans l’espace du discours en général. Ainsi apparaît le projet d’une description des événements discursifs comme horizon pour la recherche des unités qui s’y forment. Cette description se distingue facilement de l’analyse de la langue. Certes, on ne peut établir un système linguistique (si on ne le construit pas artificiellement) qu’en utilisant un corpus d’énoncés, ou une collection de faits de discours ; mais il s’agit alors de définir, à partir de cet ensemble qui a valeur d’échantillon, des règles qui permettent de construire éventuellement d’autres énoncés que ceux-là : même si elle a disparu depuis longtemps, même si personne ne la parle plus et qu’on l’a restaurée sur de rares fragments, une langue constitue toujours un système pour des énoncés possibles : c’est un ensemble fini de règles qui autorise un nombre infini de performances. Le champ des événements discursifs en revanche est l’ensemble toujours fini et actuellement limité de seules séquences linguistiques qui ont été formulées ; elles peuvent bien être innombrables, elles peuvent bien, par leur masse, dépasser toute capacité d’enregistrement, de mémoire ou de lecture : elles constituent cependant un ensemble fini. La question que pose l’analyse de la langue, à propos d’un fait de discours quelconque, est toujours : selon quelles règles tel énoncé a‑t-il été construit, et par conséquent selon quelles règles d’autres énoncés semblables pourraient-ils être construits ? La description des événements du discours pose une tout autre question : comment se fait-il que tel énoncé soit apparu et nul autre à sa place ?
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