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Être réa­liste en poé­sie, c’est recon­naître que la poé­sie n’est rien, et qu’elle n’a qu’à s’enfoncer dans le trente-sixième des­sous qui est son séjour nor­mal et où on ne manque pas de la ren­voyer lorsque l’occasion s’en pré­sente. J’ai appris il y a quelques jours qu’un débat sur la poé­sie, com­man­dé par Le Monde des Débats et pré­vu pour décembre, puis jan­vier, puis février, ne serait en défi­ni­tive pas publié : il a paru aux res­pon­sables du jour­nal que ce débat ne répon­dait pas aux bonnes ques­tions, celles que le lec­teur est cen­sé se poser – À quoi ça sert, la poé­sie ? par exemple.

On se rap­pelle l’amusant slo­gan théo­rique pro­po­sé par Denis Roche au début des années soixante-dix : « La poé­sie est inad­mis­sible, d’ailleurs elle n’existe pas. » Je suis de ceux qui ont choi­si de réflé­chir sur le ou les pré­sup­po­sés « lit­té­raires » de cet apho­risme. Mais ce qui est cer­tain, c’est qu’avant ces signi­fi­ca­tions méta­poé­tiques ou stra­té­giques, un tel pro­pos pou­vait, peut tou­jours être enten­du lit­té­ra­le­ment comme énon­çant une véri­té pra­tique, concrète, simple, évi­dente, aveu­glante : la poé­sie n’a aucune exis­tence sociale, ce qui implique, logi­que­ment, qu’elle ne doit pré­tendre à aucune recon­nais­sance sociale, et qu’au besoin, il faut l’aider à faire preuve de dis­cré­tion. La poé­sie est ce dont il convient de ne rien dire. Ce dont on convien­dra de ne rien dire.

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« Intégralement et dans un cer­tain sens » Sorties
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