23 11 14

Dernier point : C’est parce que je donne à la poé­sie pour tâche de dire le réel ou la réa­li­té. Alors que la réa­li­té est sans nom. Alors que la réa­li­té est innom­mable. Alors que la réa­li­té est hors d’atteinte. Alors que la réa­li­té est sans com­mune mesure avec le lan­gage. Alors que la langue ne peut que figu­rer le réel, que le ren­ver­ser, que le conver­tir en image, etc. C’est parce que je donne à la poé­sie la tâche impos­sible de dire le réel, ou de me conduire au réel, à l’étreinte du réel, que je pense la poé­sie elle-même comme tâche impos­sible, inache­vable, impen­sable, irréa­li­sable, que je pense la poé­sie comme néces­sai­re­ment tou­jours proche de son échec ou de son renon­ce­ment. Et qu’en même temps il n’y a rien d’autre à faire. Que c’est la seule tâche utile. Les [poètes] savent qu’ils ne peuvent pas ne pas écrire. Qu’ils le « doivent ».

Les [poètes] doivent savoir qu’ils pour­raient ne pas écrire. Qu’écrire est proche de son échec et de son renon­ce­ment.

C’est le cli­mat apo­ré­tique nor­mal de ce qu’on peut conti­nuer d’appeler « poé­sie », si on veut.

Conclusion. Je crois (vou­loir) (pou­voir) (pou­voir vou­loir croire) par­ti­ci­per à la mise en œuvre ou en formes de la ques­tion : Y a‑t-il quelque chose après la poé­sie ? La poé­sie comme pra­tique de cette ques­tion-là. Quel que soit le nom qu’on lui donne, qu’on lui don­ne­ra. Ou bien vers le silence, rela­tion inté­grale à la réa­li­té inté­grale, ou bien vers l’invention de la lit­té­ra­ture, mot à mot lettre à lettre en com­men­çant par le début dans le noir : A noir. Et for­cé­ment indif­fé­rent à ceux qui peuvent me prou­ver que je n’existe pas. À rendre les cos­tumes visibles en tant que tels…

,
« Intégralement et dans un cer­tain sens » Sorties
, , ,
p. 46–47