Le désordre du Guide [des égarés] n’est pas un désordre : c’est ordre différent. Maïmonide oblige son lecteur à accepter et pratiquer l’intertextualité. Pour lui tout mot compte, chaque unité discursive doit être interprétée en liaison avec une autre : « Il faut combiner les chapitres les uns avec les autres. En lisant un chapitre, il ne faut pas seulement avoir pour but de comprendre l’ensemble de son sujet, mais aussi de saisir chaque parole qui s’y présente mot après mot, même si elle ne concerne pas le sujet du chapitre. » Cette attention à la lettre prend son sens dans une nouvelle règle herméneutique : « Dire quelque chose hors de sa place, pour expliquer quelque autre chose à sa véritable place » – une formule ambiguë, que certains auteurs ont ensuite érigée en procédé. Un bon exemple d’herméneutique maïmonidienne est ainsi donné par Maître Eckhart dans le second Prologue de l’œuvre des expositions, quand il explique que tout passage cité pour expliquer un autre passage de l’Écriture doit être à son tour expliqué par lui, là où il se trouve. Cette réversion des exégèses va sans doute au-delà de l’intention même de Maïmonide, elle exprime, toutefois, à sa suite, une solidarité intertextuelle à laquelle l’exégèse traditionnelle ne s’oblige pas.
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