La crainte qu’éprouve le fils authentique de la civilisation moderne à l’idée de s’éloigner des faits qui sont déjà schématiquement préformés par les conventions dominantes de la science, du commerce et de la politique, est la même que la crainte qu’inspire la déviation sociale. Ces conventions définissent également le concept de clarté – [de la langue comme de la pensée] – auquel l’art, la littérature et la philosophie doivent s’adapter aujourd’hui. Tandis que ce concept réprouve tout traitement négatif que [cette pensée] inflige aux faits ou aux formes dominantes comme obscur et compliqué, [ou au mieux comme barbare, (landesfremd)] pour le déclarer finalement tabou, il condamne l’esprit à une cécité croissante. Cette situation sans issue se caractérise par le fait que le réformateur le plus honnête qui recommande une nouveauté en se servant d’un langage dévalué, renforce, en adoptant l’appareil catégoriel préfabriqué et la mauvaise philosophie qui se cache derrière lui, le pouvoir de l’ordre existant qu’il voudrait pourtant briser.
03 12 17
Horkheimer, La dialectique de la raison
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La dialectique de la raison [Dialektik der Aufklärung, 1944]
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trad.
Éliane Kaufholz
, , ,
p. 16–17
, traduction modifiée et amendée