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Ouvrez le pré­ten­du corps et déployez toutes ses sur­faces : non seule­ment la peau avec cha­cun de ses plis, rides, cica­trices, avec ses grands pans velou­tés, et conti­gus à elle le cuir et sa toi­son de che­veux, la tendre four­rure pubienne, les mame­lons, les ongles, les cornes trans­pa­rentes sous le talon, la légère fri­pe­rie, entée de cils, des pau­pières, mais ouvrez et éta­lez, expli­ci­tez les grandes lèvres, les petites lèvres avec leur réseau bleu et bai­gnés de mucus, dila­tez le dia­phragme du sphinc­ter anal, cou­pez lon­gi­tu­di­na­le­ment et met­tez à plat le noir conduit du rec­tum, puis du côlon, puis du cæcum, désor­mais ban­deau à sur­face toute striée et pol­luée de merde, avec vos ciseaux de cou­tu­rière ouvrant la jambe d’un vieux pan­ta­lon, allez, don­nez jour au pré­ten­du inté­rieur de l’in­tes­tin grêle, au jéju­num, à l’i­léon, au duo­dé­num, ou bien à l’autre bout, débri­dez la bouche aux com­mis­sures, déplan­tez la langue jus­qu’à sa loin­taine racine et fen­dez-là, éta­lez les ailes de chauve-sou­ris du palais et de ses sous-sols humides, ouvrez la tra­chée et faites-en la mem­brure d’une coque en construc­tion ; armé des bis­tou­ris et des pinces les plus fins, déman­te­lez et dépo­sez les fais­ceaux et les corps de l’en­cé­phale ; et puis tout le réseau san­guin intact à plat sur une immense paillasse, et le réseau lym­pha­tique, et les fines pièces osseuses du poi­gnet, de la che­ville, démon­tez et met­tez-les bout à bout avec toutes les nappes de tis­su ner­veux qui enve­loppe l’hu­meur aqueuse et avec le corps caver­neux de la verge, et extra­yez les grands muscles, les grands filets dor­saux, éten­dez-les comme des dau­phins lisses qui dorment.

Faites le tra­vail qu’ac­com­plit le soleil quand votre corps prend un bain, ou l’herbe.

Économie libi­di­nale
Minuit 1974
p. 9–10