Les modes selon lesquels se produisent, dans l’histoire, les communautés sociales ont fait fonctionner l’économie politique de la « personne » dans des connexions de subordination pseudo-naturelle avec l’économie globale chaque fois en vigueur. Le pouvoir politique, le pouvoir religieux, le pouvoir culturel ont enrôlé la personne à leur service pour ce qu’elle était : la représentante « officielle » d’une corporéité dont la force était nécessaire au pouvoir, mais « naturellement » médiatisée par la liberté d’apparaître sous le masque d’un rôle social. Il suffisait aux pouvoirs de s’assurer l’intégration à la communauté de l’énergie vitale des corps, et il leur était facile de l’assurer au moyen des rôles productifs que les « personnes » pouvaient s’imaginer assumer ou subir selon que dominait en elles-mêmes (au niveau de la hiérarchie sociale dans laquelle elles se trouvaient) et dans la communauté corporée, l’idéologie des libres chances ou, plus antique et plus humiliante, la religion du fait impénétrable. Dans les divers modes, le mécanisme d’autorégulation qui gouvernait la communauté comme système en procès se plaçait encore à l’extérieur de l’être individuel. Le mouvement de colonisation de l’existant conservait une direction extrojective, qui allait de l’intérieur vers l’extérieur de la corporéité de l’espèce ; la conquête était encore celle de la « nature », et pour la survie de l’espèce contre la « nature ». Ce que l’intériorisation automatique de la nature comportait d’aliénation et de réification à l’intérieur de la corporéité, se cachait encore dans l’obscurité de l’intériorité non-violée, d’où l’art seulement, dans sa clairvoyance aveuglée, pouvait tirer le timbre dont vibraient drames et tragédies. Les artistes étaient les seuls « spécialistes », discrédités par le couronnement poétique, de l’intériorité. En éternisant l’art, qui était la voix bouleversée du corps emprisonné, ils en faisaient passer les messages au-dessus des têtes captives.
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Apocalypse et révolution [Invariance, année IX, série III, n°2 et 3, 1976–1977]
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chap. 4
: « Chirurgie esthétique »
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trad.
Lucien Laugier
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p. 106
§ 50