29 12 20

Aucune théo­ri­sa­tion de cou­ver­ture ne peut rendre à la sub­ver­sion moderne, armée contre la domi­na­tion trans-éco­no­mique du capi­tal, les formes his­to­ri­ci­sées de la vio­lence, expres­sion en droite ligne de la cri­tique de l’économie poli­tique. Nous ne sommes pas les héri­tiers des « révo­lu­tions vain­cues ». Notre sub­ver­sion se déclenche à par­tir d’une dis­con­ti­nui­té. La rup­ture avec le pas­sé, qui en com­bat toute sur­vie dans le pré­sent, ne rachète qu’ainsi celles de ses visées qui ne sont pas mortes. Nous ne par­lons pas par la voix des morts : ils ne peuvent plus faire mieux qu’ils n’ont fait. Nous ne les recon­naî­trons jamais mieux qu’en por­tant la contra­dic­tion à leurs contra­dic­tions. Refuser la vio­lence dra­ma­tur­gique des bri­ga­distes, ces révo­lu­tion­naires que leur pro­fes­sion rend clan­des­tins à eux-mêmes, n’équivaut pas à une pro­fes­sion symé­trique de paci­fisme. Le moment cri­tique ne peut se per­mettre d’ignorer la muti­la­tion que l’histoire lui inflige en le pri­vant d’une vio­lence cohé­rente, qui ne soit pas aveugle à son sens. Trop long­temps, par les révo­lu­tion­naires eux-mêmes, la souf­france en a été adou­cie en balan­çant le refus du ter­ro­risme par la sur­va­lo­ri­sa­tion de gestes aban­don­nés, fugaces, déri­vés du syn­drome d’une aver­sion deve­nue style de la vie cou­rante. Pas plus que cette dimen­sion anec­do­tique de la « vio­lence » n’exprime davan­tage qu’une symp­to­ma­to­lo­gie de la per­cep­tion immé­diate, mais incon­sé­quente du néga­tif, sa décan­ta­tion hété­ro­nome, ici, ne com­pense l’autoconscience qui lui manque, la per­cep­tion de sa propre insuf­fi­sance. À l’incendie, il ne manque le feu.

« Ce qu’on ne peut pas taire »
Apocalypse et révo­lu­tion [Puzz, n°20, juin-août 1975]
trad. Lucien Laugier
La Tempête 2020
p. 234–235 § 5