27 07 17

Spécificité de l’é­non­cé apo­phan­tique et divi­sion interne
(17) L’énoncé apo­phan­tique est celui qui est mar­qué de véri­té et de faus­se­té. Il est de deux sortes, le simple et le com­po­sé. Le simple est ce qui est com­po­sé d’un pré­di­cat un et d’un sujet un, non d’un pré­di­cat plu­riel, ni d’un sujet plu­riel. Et cela couvre deux espèce, la pre­mière espèce, anté­rieure, l’af­fir­ma­tion, et la seconde espèce, pos­té­rieure, la néga­tion.
[…] (19) En tout énon­cé apo­phan­tique, il ne sau­rait man­quer de se trou­ver un verbe – je veux dire un fi’l – ou bien ce qui tient lieu du verbe dans la liai­son du pré­di­cat avec le sujet. C’est ain­si que, dans l’é­non­cé apo­phan­tique où le sujet est un nom et le pré­di­cat un nom, il ne sau­rait man­quer de se trou­ver un verbe, ou bien ce qui tient lieu du verbe, pour dési­gner la liai­son du pré­di­cat avec le sujet. Et cela, ou bien en acte et expli­ci­te­ment, ain­si que c’est le cas en dehors de la langue arabe, ou bien en puis­sance et impli­ci­te­ment, ain­si que c’est le cas dans la plu­part des cas en arabe.
Averroès, Commentaire moyen sur le « De inter­pre­ta­tione »
 
Introduction
Vrai et tenir-pour-vrai : véri­té et véri­di­ci­té
La ter­mi­no­lo­gie du vrai et du faux donne lieu, dans le texte d’Averroès, à une dis­tinc­tion claire entre trois couples de termes : un couple nomi­nal sidq / kadib (véri­té / faus­se­té), un couple ver­bal sud­di­qa / kud­di­ba (être tenu pour vrai / être tenu pour faux), et un couple à forme adjec­ti­vale sadiq / kadib (vrai / faux). Ces trois couples ne sont pas uti­li­sés indif­fé­rem­ment l’un pour l’autre. À l’examen, il appa­raît en effet que, lorsqu’il s’agit de dire la véri­té, le second couple entre en jeu, sinon, dans la pré­sen­ta­tion des règles du par­tage de la véri­té et de la faus­se­té ou bien dans celle des condi­tions pour que le vrai et le faux s’appliquent, ce sont les termes de « véri­té » et de « faus­se­té » ou de « vrai » et de « faux » qui sont uti­li­sés.
Ainsi, l’énoncé apo­phan­tique, en tant qu’il sup­pose un sujet d’énonciation, est ce qui est tenu pour vrai ou tenu pour faux (§20), c’est à lui que va ou non notre assen­ti­ment. En revanche, les par­ties de l’énoncé que sont les noms et les verbes ne sont en eux-mêmes ni vrais ni faux ; pas plus que les notions qu’ils dési­gnent ne peuvent être les formes intel­li­gibles, les formes sen­sibles ou les formes ima­gi­na­tives, ces termes et ces formes pris indi­vi­duel­le­ment ne donnent lieu à un énon­cé et, si nous vou­lons men­tion­ner que la véri­té et la faus­se­té ne s’appliquent pas à eux, nous n’avons pas à employer le couple ver­bal de l’assentiment, mais plu­tôt le couple nomi­nal de véri­té et de faus­se­té (sidq / kadib). Pour toutes ces formes, seule une concep­tion (tasaw­wur), dont l’analyse est sug­gé­rée au début du trai­tée et ren­voyée au trai­té De l’âme aus­si bien par Aristote que par son com­men­ta­teur (16a9 et §2), est enga­gée de notre part. Notre assen­ti­ment n’est pas enga­gé, et Averroès n’emploie donc jamais ces termes et ces notions avec le couple yusad­daq / yukad­dab (forme pas­sive au pré­sente) ou sud­di­qa / kud­di­ba (forme pas­sive au pas­sé).
En revanche, quand il s’agit de don­ner des règles comme celle du par­tage du vrai et du faux pour les pro­po­si­tions sin­gu­lières et les pro­po­si­tions contra­dic­toires (§24, §28), ou les condi­tions géné­rales de véri­té et de faus­se­té (§3), ou encore la spé­ci­fi­ci­té des énon­cés apo­phan­tiques (§17), seuls sus­cep­tibles d’être qua­li­fiés par la véri­té et la faus­se­té, Averroès a recours au couple nomi­nal sidq / kadib.
[…] Pour les énon­cés apo­phan­tiques, il y a deux ver­sants : d’une part, en tant qu’énoncés com­plets, caté­go­riques, ils ont la pro­prié­té d’être sup­ports d’assertions ; ils sont par nature propres à rece­voir la véri­té ou la faus­se­té. D’autre part, en tant qu’ils sont énon­cés et pré­sen­tée à l’assertion, ils sup­posent un assen­ti­ment et par là peuvent être tenus pour vrais ou pour faux.
Les pro­po­si­tions méta­thé­tiques donnent lieu chez Averroès à un jeu croi­sé des deux couples véri­té / faus­se­té et tenu pour vrai / tenu pour faux. On voit alors à l’oeuvre la dis­tinc­tion et son enjeu : quand il s’agit de don­ner une véri­té géné­rale, c’est le pre­mier couple qui est mobi­li­sé. C’est ain­si que, pour tra­duire la thèse selon laquelle « l’existence du par­ti­cu­lier implique l’existence du géné­ral », Averroès uti­li­se­ra le couple véri­té / faus­se­té, ain­si l’affirmative simple impique-t-elle la néga­tive méta­thé­tique parce que celle-ci est une d’une « véri­té plus géné­rale » (§43). Mais, pour jus­ti­fier cette véri­té géné­rale, on aura recours à des cas qui peuvent se pré­sen­ter à nous et qui imman­qua­ble­ment demandent à être inter­pré­tés selon le second couple. Dans le pas­sage que nous venons de citer, le jeu entre les deux couples est mani­feste :
« La néga­tive méta­thé­tique a une véri­té plus géné­rale que l’affirmation simple, parce qu’elle est tenue pour vraie de trois cas, alors que l’affirmative simple ne l’est que d’un seul. »
Le dénom­bre­ment des trois cas en ques­tion sup­pose à chaque fois la prise en compte de l’assentiment, il sup­pose en quelque sorte une véri­fi­ca­tion cas par cas qui engage moins la véri­té et la faus­se­té que notre propre capa­ci­té à recon­naître ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.

Commentaire moyen sur le De inter­pre­ta­tione
Ali Benmakhlouf & Stéphane Diebler
Vrin 2000
apophantique