28 08 17

La confu­sion entre l’expérience (l’expe­ri­men­tum d’Aristote) et l’expérimentation est l’expression ultime de cette dérive. Ni Albert ni Frédéric ne sont les créa­teurs de la méthode expé­ri­men­tale. C’est au nom du concept aris­to­té­li­cien de l’expérience que l’empereur s’écarte d’Aristote.

« Nous ne sui­vons pas en tout le prince des phi­lo­sophes, car il s’est rare­ment – pour ne pas dire jamais – per­son­nel­le­ment exer­cé à la chasse avec des oiseaux, alors que nous nous y sommes au contraire tou­jours com­plu et exer­cé. Au vrai, beau­coup de ce qu’il raconte dans son Livre des ani­maux, il dit lui-même que d’autres l’ont dit ain­si avant lui. Mais ce que cer­tains ont dit, il ne l’a lui-même jamais vu, et l’on peut dou­ter que ceux qu’il cite l’aient eux-mêmes vu. La cer­ti­tude de la foi ne peut être le fruit d’un ouï-dire. »

Le rejet de la fides ex audi­tu au béné­fice de l’expérience per­son­nelle, qui seule per­met de com­prendre, ne nous arrache pas à la concep­tion aris­to­té­li­cienne de la science : par-delà sa signi­fi­ca­tion reli­gieuse, le terme fides a aus­si un sens phi­lo­so­phique direc­te­ment héri­té d’Aristote : la sai­sie immé­diate des don­nées. Frédéric ne plaide donc pas contre l’aristotélisme, il jus­ti­fie la liber­té qu’il prend par rap­port à une auto­ri­té fon­dée sur une expé­rience de deuxième main. Homme d’expérience, autre­ment dit expert en un art – la fau­con­ne­rie –, Frédéric n’est donc pas un expé­ri­men­ta­teur. S’il quitte les limites de son art, il rede­vient un ques­tion­neur.

Penser au Moyen Âge
Seuil 1991
p. 170–171
aristote expérience expérimental experimentum frédéric II