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Berkeley se reconnaît « capable d’abstraire en un certain sens ». Il distingue donc deux sortes d’abstraction : l’abstraction authentique et la pseudo-abstraction (celle qui, selon lui, préside chez Locke à la formation des idées générales abstraites). Il y a abstraction authentique, « lorsque je considère certaines parties ou qualités particulières à part des autres, si malgré leur union en un objet, elles peuvent pourtant exister effectivement de manière indépendante ». Il y a pseudo-abstraction, lorsque je prétends « abstraire l’une de l’autre ou me représenter séparément des qualités qui ne pourraient exister séparément les unes des autres ».
Le point de départ historial de cette distinction est la théorie aristotélico-alexandrinienne de l’aphairesis, formulée pour les universaux et les « abstractions » (ie. les entités mathématiques), définissant l’aphairesis comme un acte de l’intellect concevant séparément (de la matière) quelque chose qui par soi n’existe pas à l’état séparé (de la matière). La particularité de la doctrine de Berkeley est de réduire le domaine de l’abstraction à cela seul qui peut/pourrait exister séparément, de méconnaître entièrement la différence entre « concevoir séparément » et « concevoir séparé » et, accessoirement (car, après tout cela, on peut dire que le mal est fait), de rejeter d’avance toute possibilité théorique d’extension aux entités physiques du modèle géométrique de l’abstraction défini par Alexandre et l’abstractionnisme.
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Telle que l’élabore Berkeley, la distinction entre abstraction authentique et pseudo-abstraction ne se hisse pas même au niveau de la distinction abélardienne entre « concevoir les choses autrement qu’elles ne sont » et « concevoir les choses autres qu’elles ne sont ». Il est clair, pourtant, qu’une théorie comme la sienne gagnerait en profondeur logique à méditer la différence introduite par Abélard entre des questions comme <Q1.1> – « Est-ce que toute intellection qui a une autre manière de viser que la chose de subsister, est vaine ? » -, et <Q1 .2> – « Est-ce que toute intellection visant une chose comme étant disposée autrement qu’elle est disposée, est vaine ? ». De même, la critique berkeleyenne de Locke gagnerait en efficacité, si, comme le fait Abélard, elle distinguait entre « joindre mentalement ce qui est naturellement disjoint » et « croire en l’existence » de ce qui est ainsi combiné mentalement.

L’art des généralités. Théories de l’abstraction
chap. 4 : Avicenne
Aubier 1999
p. 536
abstraction aphairesis