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Libera, La philosophie médiévale

Bien que les inso­lu­bi­lia trai­tés par les logi­ciens médié­vaux ne soit pas liés à la sui-réflexi­vi­té, la forme d’in­so­luble la plus connue est celle où l’é­non­cé de départ (posi­tum) d’une dis­pute obli­ga­tion­nelle est four­ni par une pro­po­si­tion signi­fiant sa propre faus­se­té, tel le « Menteur » : Ego dico fal­sum (« Je dis [le] faux »). L’importance prise par la pro­blé­ma­tique du « Menteur », dans l’his­to­rio­gra­phie des inso­lu­bi­lia s’ex­plique par l’in­té­rêt que lui ont por­té les pre­miers tra­vaux de C. Pierce et de B. Russell, mais il est cer­tain qu’elle ne reflète qu’une par­tie des ques­tions médié­vales.
Les prin­ci­pales solu­tions du « Menteur » pro­po­sées du XIIe au XVe siècle peuvent être rame­nées à cinq types :
La cas­sa­tio : celui qui dit « je dis (le) faux » et ne dit rien d’autre ne dit rien du tout (nihil dicit). Cette solu­tion pré­sente deux varié­tés : cas­sa­tion de la puis­sance – il est impos­sible de dire « je dis (le) faux » ; cas­sa­tion de l’acte – il n’est pas impos­sible de dire « je dis (le) faux », mais en disant cela je ne puis dite quelque chose (« Posito quod ali­quis dicat se dicere fal­sum, in sice dicen­do nihil dicit »).
La res­tric­tio : dans la pro­po­si­tion « je dis (le) faux », le pré­di­cat « (le) faux » ne peut sup­po­ser pour la pro­po­si­tion dont il fait par­tie (c’est la solu­tion reprise de nos jours par Russell).
Le trans­ca­sus : le verbe « je dis » ne peut réfé­rer le moment de l’é­non­cia­tion, mais exclu­si­ve­ment l’ins­tant (ou un ins­tant) anté­rieur.
Le secon­dum quid et sim­pli­ci­ter : cette solu­tion, dite « aris­to­té­li­cienne », com­prend diverses varié­tés ; les plus répan­dues reposent sur le prin­cipe « aris­to­té­li­cien » selon lequel deux occur­rences d’une même pro­po­si­tion (on dirait aujourd’­hui deux tokens) n’ont qu’une iden­ti­té spé­ci­fique (in spe­cie) et non pas numé­rique (in nume­ro).

Alain de Libera, La phi­lo­so­phie médié­vale (Que sais-je ? PUF)
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p. 50–51
, col­lec­tion « Que sais-je »