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Défini comme pro­ces­sus d’ac­tua­li­sa­tion sus­cep­tible d’être envi­sa­gé de manière « for­melle », comme l’  »enté­lé­chie de ce qui est en puis­sance en tant qu’il est en puis­sance » (d’a­près Phys., 201a, 10–11), « maté­rielle », comme l’  »acte d’une chose qui est en puis­sance, quand on la prend dans l’en­té­lé­chie qu’elle pos­sède en tant qu’elle est en acte, non en elle-même mais comme mobile » (d’a­près 201a, 28–29), ou « com­plète », comme l’ac­tua­li­té simul­ta­née d’un agent – le moteur a quo, cause effi­ciente et finale du mou­ve­ment et d’un patient, le mobile in quo, siège ou sujet du mou­ve­ment (200b, 31–82), le mou­ve­ment, tel que le conçoivent les com­men­ta­teurs d’Aristote, est consi­dé­ré comme irré­duc­tible aux dix caté­go­ries de l’être, sans pour autant for­mer une caté­go­rie à part. C’est, dit-on, une terme « ana­lo­gique », rele­vant chaque fois d’une caté­go­rie dif­fé­rente selon la nature de son domaine d’ap­pli­ca­tion (201a, 9–15), elle-même réglée par des pro­prié­tés logiques dis­tinctes : dans la caté­go­rie de sub­stance, le chan­ge­ment au sens strict (muta­tio), évé­ne­ment ponc­tuel de « géné­ra­tion » ou de « cor­rup­tion » jouant entre deux contra­dic­toires (l’être et le non-être) et n’ad­met­tant pas de « valeur » inter­mé­diaire ; dans les « trois caté­go­ries de l’ac­ci­dent », le mou­ve­ment au sens strict (motus), pro­ces­sus conti­nu se dérou­lant sur un inter­valle tem­po­rel jouant entre deux contraires admet­tant (au moins en droit) une infi­ni­té de valeurs inter­mé­diaires ; l’al­té­ra­tion qua­li­ta­tive, l’ac­crois­se­ment et le décrois­se­ment quan­ti­ta­tifs, le mou­ve­ment local.
Expressément défi­nie comme pro­jet scien­ti­fique auto­nome, indé­pen­dant de tout recours aux expli­ca­tions « sur­na­tu­relles » – « Je ne suis en rien concer­né par les miracles divins, quand je dis­serte des phé­no­mènes natu­rels », écrit Albert le Grand (De gen. et corr., I, I, 22), sui­vi par Siger de Brabant (De ani­ma intel­lec­ti­va, III) et Jean de Jandun (In Met., I, q. 16) – la phy­sique des com­men­ta­teurs d’Aristote n’en est pas moins sti­mu­lée par la théo­lo­gie, lorsque ses prin­cipes aris­to­té­li­ciens sont confron­tés aux mou­ve­ments et aux chan­ge­ments para­doxaux que lui pro­posent la Révélation et le dogme. Le point de ren­contre de la phy­sique et de la théo­lo­gie, fonc­teur des prin­ci­pales inno­va­tions, est la lit­té­ra­ture sen­ten­tiaire : du XIIIe au XVe siècle les com­men­taires des Sentences four­nissent des docu­ments sou­vent plus ori­gi­naux que les com­men­taires sur la Physique.
Liées à la théo­rie du chan­ge­ment expo­sée par Aristote en Physique, VIII, 8 (263b9-25), les ques­tion por­tant sur le « mou­ve­ment angé­lique » ou sur le « moment pré­cis de la trans­sub­stan­tia­tion » (Thomas d’Aquin, In I Sent., d. 37, q. 4, a. 3 ; Quodl., XI, q. 4, a. 4 ; III Pars, q. 75) valent autant pour l’his­to­rien de la phy­sique et des logiques non stan­dard que pour les spé­cia­listes de l’an­géo­lo­gie et de la théo­lo­gie de l’Eucharistie. En effet, sous la pres­sion des pro­blèmes, on y voit se construire des modé­li­sa­tions du mou­ve­ment affron­tant la pos­si­bi­li­té de sus­pendre quelques-uns des prin­cipes les mieux assu­rées de la phy­sique, de la logique et de l’on­to­lo­gie aris­to­té­li­ciennes.

La phi­lo­so­phie médié­vale [1989]
P.U.F. 1990
p. 56–57
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