Certaine manière quasi de délire et, en tout cas, de ridicule consiste en le développement d’objections telles qu’elles ne viendraient à l’esprit de personne, du moins lisant (et écrivant – personne n’irait écrire cela), en telle sorte que l’on peut se permettre de passer outre, et même qu’on le doit ; néanmoins l’objet de ces objections est, c’est à savoir le plus souvent un illogisme dans l’énoncé, l’inaperçue capacité d’illogisme des énoncés. En ce sens, mes objections sont parfaitement sérieuses, elles sont même terrifiantes, et elles constituent – en effet, elles se répètent – une large part de ma difficulté d’écrire.
Des auteurs, apparemment simples, disant combien écrire est difficile me faisaient dédaigneusement sourire dans un moment où je me trouvais moi-même aux prises (je ne sache pas avoir jamais écrit « aux prises » jusqu’à ce jour, ni je ne sache l’avoir jamais dit à voix haute) avec un texte à structure diaboliquement complexe ; mais, en réalité, ce n’est pas nécessairement devant les textes spécialement complexes, si je puis dire, « en eux-mêmes » que je me heurte le plus à de telles difficultés.
Ce qui est un peu intéressant, c’est que de telles objections (j’emploie « objection » pour faire court, il ne s’agit pas seulement d’objections, ou ce sont objections à toutes sortes d’échelles), les manifester, effectivement les énoncer et y répondre en cours de rédaction, donne, comme je l’ai dit ci-dessus, à l’arrivée, un texte nécessairement délirant et/ou ridicule, en telle sorte que, du point de vue du livre, je ne puis me le permettre que sous la prétendue plume d’un personnage lui-même ridicule, ou complètement fou, ou bien encore parfaitement idiot.
Nous qui écrivons pour nos morts – et ceux-là sont comme les morts des rêves : ils ne doivent pas savoir qu’ils sont morts ; il ne convient pas de leur montrer un monde dont ils sachent trop qu’ils ne l’ont pas connu : pas de supermarchés, dans nos livres, de Réseau Express Régional, peu de tags sur le béton. Quoi de neuf ? Rien de neuf, ou guère, ou lentement : que nos morts s’habituent.
Et le dîner, j’y pense ?