29 09 15

Je subis l’effervescence intel­lec­tuelle connue sous le nom de men­tisme.

[…]

Dans la fièvre vous êtes en proie à une foule d’erreurs tou­chant les per­sonnes et les choses ; vous n’avez plus conscience du temps ; vous exa­gé­rez les dis­tances ; vous subis­sez, auto­ma­ti­que­ment, le spec­tacle d’une fan­tas­ma­go­rie interne qui, d’une manière vague, vous fatigue, vous obsède ou vous récrée ; en un mot c’est le délire. Dans le men­tisme, il n’y a pour le moi, ni aber­ra­tion, ni désordre ; seule­ment, nous voyons, avec un sen­ti­ment très net, des pen­sées qui nous sont étran­gères, que nous ne connais­sons pas comme nôtres, et qui, s’étant comme intro­duites du dehors, pul­lulent, se meuvent avec la plus grande rapi­di­té… Je hasar­de­rai cette figure en disant qu’elles sont une seconde vue en état de stra­bisme.

[…]

Lorsque ces pen­sées intruses sont en exal­ta­tion, c’est alors qu’on sent la braise allu­mée ; mais lorsqu’elles sont calmes, elles se réduisent dans leur mul­ti­pli­ci­té, de telle sorte qu’il n’en est plus que quelques-unes qui dis­cutent, pré­disent, pro­jettent sans tenir compte du maître du logis. Se remuent-elles ? alors elles tra­versent la tête en décri­vant des lignes bri­sées comme le font des oiseaux tran­quille­ment enfer­més dans une cage. Cette com­pa­rai­son don­née, j’ajoute : – Effarouchez les oiseaux et vous aurez l’approximation du men­tisme éle­vé à sa plus haute por­tée.

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Encore une fois, ces étran­ge­tés vous arrivent, et vous les subis­sez en sachant bien que vous n’avez pas la fièvre, que vous n’avez pris aucune liqueur capable de les engen­drer ; ce qui fait qu’elles ont un carac­tère tout par­ti­cu­lier pour le consen­sus ; et au lieu de pou­voir jamais vous char­mer, elles ne cessent de vous impor­tu­ner d’une dou­leur pro­fonde. […] Dans la condi­tion que je décris l’âme, est engois­sée pro­por­tion­nel­le­ment au degré de pas­si­vi­té qu’elle endure, parce que les phé­no­mènes qui se pro­duisent dans son habi­tacle y sont engen­drés sans sa coopé­ra­tion, au mépris de sa volon­té, de sa puis­sance, et qu’elle les consi­dère comme une inva­sion de la folie… Ce n’est pas cela, cepen­dant, car elle n’est point l’agent scé­nique, elle n’en est que la spec­ta­trice for­cée.

J’insiste sur la dis­tinc­tion qu’il convient de faire entre l’inté­gri­té d’une part et l’aber­ra­tion de l’autre. Celle-ci existe dans le cer­veau, sans contre­dit, mais ne doit-on pas la consi­dé­rer comme un simple pro­duit de sur­ex­ci­ta­tion de la pulpe cor­ti­cale ? sur­ex­ci­ta­tion qui, dans le tra­jet des pro­lon­ge­ments de cette sub­stance, sur un point éloi­gné du foyer spi­ri­tuel, pro­dui­rait un four­mille­ment dans la jambe comme elle pro­duit l’anxiété pré­cor­diale, ou tout autre malaise pure­ment orga­nique. Dans ces exemples, on me l’accordera d’emblée, le symp­tôme n’a aucune prise sur le sen­ti­ment intime de notre rai­son ; car, dépla­cez l’irritation qui engendre le men­tisme, et vous aurez une crampe dans le mol­let… votre moi intel­lec­tuel n’en sera ni plus ni moins bien assis.

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Il faut avoir subi la confla­gra­tion dont je parle pour être péné­tré de l’insuffisance de la réac­tion. J’affirme que, quelque effort que je fisse, ma volon­té ne pou­vait maî­tri­ser mes pen­sées, car celles-ci rico­chant de sujets en sujets, il m’était impos­sible de les tenir en bride. Donc, il y a entre nos facul­tés et nous-même toute la dif­fé­rence qu’il y a entre un cava­lier et son che­val deve­nu fré­né­tique.