Je subis l’effervescence intellectuelle connue sous le nom de mentisme.
[…]Dans la fièvre vous êtes en proie à une foule d’erreurs touchant les personnes et les choses ; vous n’avez plus conscience du temps ; vous exagérez les distances ; vous subissez, automatiquement, le spectacle d’une fantasmagorie interne qui, d’une manière vague, vous fatigue, vous obsède ou vous récrée ; en un mot c’est le délire. Dans le mentisme, il n’y a pour le moi, ni aberration, ni désordre ; seulement, nous voyons, avec un sentiment très net, des pensées qui nous sont étrangères, que nous ne connaissons pas comme nôtres, et qui, s’étant comme introduites du dehors, pullulent, se meuvent avec la plus grande rapidité… Je hasarderai cette figure en disant qu’elles sont une seconde vue en état de strabisme.
[…]Lorsque ces pensées intruses sont en exaltation, c’est alors qu’on sent la braise allumée ; mais lorsqu’elles sont calmes, elles se réduisent dans leur multiplicité, de telle sorte qu’il n’en est plus que quelques-unes qui discutent, prédisent, projettent sans tenir compte du maître du logis. Se remuent-elles ? alors elles traversent la tête en décrivant des lignes brisées comme le font des oiseaux tranquillement enfermés dans une cage. Cette comparaison donnée, j’ajoute : – Effarouchez les oiseaux et vous aurez l’approximation du mentisme élevé à sa plus haute portée.
[…]Encore une fois, ces étrangetés vous arrivent, et vous les subissez en sachant bien que vous n’avez pas la fièvre, que vous n’avez pris aucune liqueur capable de les engendrer ; ce qui fait qu’elles ont un caractère tout particulier pour le consensus ; et au lieu de pouvoir jamais vous charmer, elles ne cessent de vous importuner d’une douleur profonde. […] Dans la condition que je décris l’âme, est engoissée proportionnellement au degré de passivité qu’elle endure, parce que les phénomènes qui se produisent dans son habitacle y sont engendrés sans sa coopération, au mépris de sa volonté, de sa puissance, et qu’elle les considère comme une invasion de la folie… Ce n’est pas cela, cependant, car elle n’est point l’agent scénique, elle n’en est que la spectatrice forcée.
J’insiste sur la distinction qu’il convient de faire entre l’intégrité d’une part et l’aberration de l’autre. Celle-ci existe dans le cerveau, sans contredit, mais ne doit-on pas la considérer comme un simple produit de surexcitation de la pulpe corticale ? surexcitation qui, dans le trajet des prolongements de cette substance, sur un point éloigné du foyer spirituel, produirait un fourmillement dans la jambe comme elle produit l’anxiété précordiale, ou tout autre malaise purement organique. Dans ces exemples, on me l’accordera d’emblée, le symptôme n’a aucune prise sur le sentiment intime de notre raison ; car, déplacez l’irritation qui engendre le mentisme, et vous aurez une crampe dans le mollet… votre moi intellectuel n’en sera ni plus ni moins bien assis.
[…]Il faut avoir subi la conflagration dont je parle pour être pénétré de l’insuffisance de la réaction. J’affirme que, quelque effort que je fisse, ma volonté ne pouvait maîtriser mes pensées, car celles-ci ricochant de sujets en sujets, il m’était impossible de les tenir en bride. Donc, il y a entre nos facultés et nous-même toute la différence qu’il y a entre un cavalier et son cheval devenu frénétique.