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MAQUIS

Les mili­taires pensent et agissent d’un coup. C’est : lit­té­ra­ture. Ils ne nous donnent pas que des titres pra­tiques ou un lexique mais, en douce, des modèles tac­tiques, cepen­dant que nous fai­sons nos décou­pages et nos col­lages avec fuck war.

Cependant que nous fai­sons nos décou­pages et nos col­lages avec fuck war, nous pen­sons comme des mili­taires ou des avants-centres. D’autre part, il ne vaut pas mieux s’imaginer le foot­ball maro­cain por­teur de traits typi­que­ment maro­cains : n’allez pas vous ima­gi­ner des choses.

N’allez pas vous ima­gi­ner des choses, disait Cervantès, disaient Patrice Lumumba et Jimmy Durham. Ici n’est pas le lieu de l’imagination – ni celui du réel, d’ailleurs. Pas de pépites de réa­li­té dans les cookies alpha­bé­tiques.

Pas de pépites de réa­li­té dans la réa­li­té non plus, et pour­quoi y voir un pro­blème ? un chal­lenge (devoir intro­duire plus de réa­li­té) ? un manque, un trop-lein ? la langue mathé­ma­tique per­met de don­ner une juste appré­cia­tion des dépla­ce­ments de Roger Milla, le diable came­rou­nais.

Roger Milla, le diable came­rou­nais ; Pelé, une boule de muscles noirs, souple, habile, qui court dans les sables chauds de Copacabana ; Congo, les tam­bours de nos indi­gènes affectent par­fois des formes étranges qui s’inscrivent par­fai­te­ment dans un tri­angle rec­tangle.

Aux temps pré­his­to­riques déjà, des tam­bours s’inscrivent rétros­pec­ti­ve­ment dans un tri­angle rec­tangle. Galilée, sei­zième siècle, fut réha­bi­li­té rétros­pec­ti­ve­ment en 1992. La rétros­pec­tion est un tra­vail.

La rétros­pec­tion est notre tra­vail car le pré­sent ne suf­fit pas. Comment agir tout court par le biais de la rétros­pec­tion ? Comment agir par le biais de la rétros­pec­tion sans être trai­té de mar­xiste intel­lec­tuel pédo­phile ?

Il s’agit, au moment d’agir, de tra­vailler à mieux prê­ter le flanc aux accu­sa­tions de mar­xiste intel­lec­tuel pédo­phile. Et de ne pas faire le malin en énon­çant les dimen­sions exactes d’un ter­rain de foot­ball, par exemple.

Par exemple, la pré­fé­rence du mot foot ou du mot foot­ball devrait faire toute la dif­fé­rence. Ce n’est pas le cas. Le lexique n’est pas une solu­tion. Un esprit sain dans un corps saint, c’est un mau­vais début pour tout le monde.

Les paral­lé­lismes de construc­tion sont de mau­vais débuts pour tout le monde (sen­tences, pro­verbes). Il vau­drait mieux pour tout le monde faire preuve de plus de rela­ti­visme, mal­heu­reu­se­ment Galilée est pas­sé par là.

Galilée, hélas, pas­sa par là. Il se demande rétros­pec­ti­ve­ment si Johannes-Paulus n’a pas com­mis la plus grande erreur de son man­dat en le réha­bi­li­tant. Galileo Galilei a vu n’importe quoi à tra­vers sa piètre lunette, et nous voi­là faits.

Faits, c’est dire si le temps béni des colo­nies est un accom­pli. Achevé, antique, et pour­tant conti­nué par-delà par l’injection intus et in cute de cous­cous pour nous, de moderne pour eux, par nos luttes éco­no­miques et glot­tiques.

Ces luttes éco­no­mi­co-glot­tiques font tout le monde se tenir raide d’un bord à l’autre de la mer et des terres. Depuis la terre et les mers nous nous voyons et détaillons tels que, Arabes cos­tu­més en Arabes, Blancs en Blancs.

Les Blancs en Blancs sont pour eux-mêmes encore des dieux débar­qués, déchus peut-être de-ci de-là, puis tout aus­si­tôt re-lan­cés en véhi­cules hauts sur roues, bleu savane, kaki ocre, tenant en fan­tôme d’une défense l’éléphant.

L’éléphant est un elfe à pré­sent, est une force de la nature d’un elfe ; envo­lé en fumée bar­ris­sant, il nous envoie la force de ses enre­gis­tre­ments, et par force nous advient alors plus qu’une sorte de nos­tal­gie.

Plus qu’une sorte de nos­tal­gie, il s’agit de conqué­rir – car jamais en ce domaine de mémoire nous ne l’eûmes – le sens, et sen­si­bi­li­té, de l’événement. Le sens de l’événement vient majo­ri­tai­re­ment bien avant bien après. C’est ain­si que bien avant bien après nous pleu­rons. Aussi loin en avant en arrière qu’il nous ait été don­né d’aller, nous nous fîmes pleu­rer et nous les lais­sâmes à leurs larmes.

Que les évé­ne­ments pro­duisent des larmes, c’est ce que nous pre­nons garde d’oublier. Ainsi sommes-nous per­pé­tuel­le­ment sur­pris, enchan­tés et curieux. Enchantés, curieux et déso­lés, notre cœur se ravive à l’arrivée des larmes : nous vivons.

Sur un cime­tière aux pro­por­tions ter­restres, nous vivons, nous avan­çons gui­dés par les fan­tômes d’éléphants, pilo­tés par­mi les fosses, conduits par les sillons des vignes de pays où l’on ne doit pas boire de vin.

Il est dit qu’il y eut des rivières de vin, des arbres d’où cou­laient le miel, et que c’est cela même que nous nous devons d’espérer. Par tous les moyens, sans prendre de gants, nous fai­sons cou­ler le miel et le vin. Ils ruis­sellent.

Les ruis­seaux se trans­forment en fleuves, et les fleuves vont à la mer : par un abra­ca­da­bra por­té de siècle en siècle, des par­ti­cu­la­ri­tés géo­gra­phiques sont deve­nues les des­tins. Cet abra­ca­da­bra est aus­si une méthode d’apprentissage.

D’apprendre par cœur, nous sommes nous-mêmes l’objectif fixé du devoir culti­ver des vignes, n’importe où, n’importe quand, et de mesu­rer le débit de l’eau, n’importe quand, n’importe où, le débit de l’eau et le débit du lait.

Grand ensemble
P.O.L 2008
p. 105–110