23 03 18

Qu’en serait-il d’une ques­tion qui n’im­pli­que­rait pas de réponse ? Elle ne divi­se­rait pas le monde en deux : la demande, la réponse ; elle se tien­drait d’emblée en leur milieu, écla­tante de leur contra­dic­tion, et cepen­dant fer­mée à la dis­con­ti­nui­té que la contra­dic­tion engendre. Pareille ques­tion ne sau­rait pas ce qu’elle est, car niant sa nature et se niant elle-même, elle se conten­te­rait jus­te­ment d’être ce qu’elle est.
Il va donc fal­loir « jouer jus­qu’à la mort », me don­nant la comé­die de ces mots qui ne sont pas ce qu’ils vont tout d’a­bord paraître — qui ne sont pas là pour mani­fes­ter un savoir sai­si, mais pour le dépen­ser, au fur et à mesure.
« Tous les che­mins mènent à Rome », me disait-on, et encore : « Chacun pour soi et Dieu pour tous. » Ces prin­cipes pro­cla­maient à l’é­vi­dence qu’on doit néces­sai­re­ment aller quelque part. Autrement dit qu’il existe un lieu qui capi­ta­lise toutes les direc­tions et un dieu en qui se capi­ta­lisent tous les actes. Ces deux figures coïn­ci­daient d’ailleurs pour engen­drer l’Unité en laquelle « tout se retrouve » car « rien n’est per­du ». Cette grande uni­té capi­ta­liste per­met­tait d’être seul, d’être moi, puis­qu’elle garan­tis­sait la tota­li­té pour plus tard. »
Écrivant, tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien, mais il y a immi­nence d’un savoir, et cette immi­nence entre­tient l’é­cri­ture tout en étant, elle-même, entre­te­nue par la sup­pli­ca­tion de l’é­cri­ture, qui désire faire durer pour se faire durer. Et rien de plus. Rien au-delà.
Mais ne faut-il pas se battre conti­nuel­le­ment à l’in­té­rieur de ce même car­ré :
je -> me -> dérobe -> où -> je -> me -> connais
 !    !
je <- me <- connais <- où <- je <- me <-dérobe
bien qu’il soit tra­gi­que­ment risible de tour­ner ain­si en rond !
La poé­sie, par­fois, s’é­vade, mais il reste encore à s’é­va­der de la poé­sie.

« La ques­tion »
Change n° 7
Seuil 1970
p. 145
bernard noel dépense poésie et savoir question question sans réponse