28 01 24

Nelson, The Argonauts

L’année où mon père est mort, j’ai lu une his­toire à l’école à pro­pos d’un petit gar­çon qui construit des bateaux dans des fonds de bou­teille. Le petit gar­çon vivait selon la maxime sui­vante : si tu arrives à ima­gi­ner le pire qui peut arri­ver, tu ne seras jamais sur­pris quand ça arri­ve­ra. Ne sachant pas que cette maxime était la défi­ni­tion exacte de l’angoisse telle que don­née par Freud (« “Angoisse” décrit un état par­ti­cu­lier d’attente ou de pré­pa­ra­tion au dan­ger, même s’il est incon­nu »), je me suis enga­gée à la mettre en pra­tique. Déjà une « dia­riste » effré­née, je me suis mise à écrire des his­toires hor­ribles dans mes cahiers d’école. Ma pre­mière pro­duc­tion était un court roman inti­tu­lé « Kidnappée », qui met­tait en scène ma meilleure amie Jeanne et moi, enle­vées et tor­tu­rées par un couple, mari et femme, désaxé. J’étais fière de mon livre-talis­man, je lui avais même des­si­né une page cou­ver­ture enjo­li­vée. Maintenant, Jeanne et moi ne pou­vions plus être kid­nap­pées et tor­tu­rées sans qu’on l’ait d’abord anti­ci­pé ! J’ai donc été décon­cer­tée et attris­tée quand ma mère m’a emme­née lun­cher « pour se par­ler de quelque chose ». Elle m’a dit que ce que j’avais écrit l’inquiétait et inquié­tait aus­si mon prof de sixième année. D’un coup, il deve­nait clair qu’il n’y avait pas de quoi être fière de mon his­toire, ni d’un point de vue lit­té­raire ni comme pro­phy­laxie.

The year my father died, I read a sto­ry in school about a lit­tle boy who builds ships in the bot­toms of bot­tles. This lit­tle boy lived by the maxim that if you could ima­gine the worst thing that could ever hap­pen, you would never be sur­pri­sed when it did. Not kno­wing that this maxim was the very defi­ni­tion of anxie­ty, as given by Freud (“‘Anxiety’ des­cribes a par­ti­cu­lar state of expec­ting the dan­ger or pre­pa­ring for it, even though it may be an unk­nown one”), I set to work culti­va­ting it. Already an avid “jour­na­ler,” I star­ted pen­ning nar­ra­tives of hor­rible things in my school note­book. My first ins­tallment was a novel­la tit­led “Kidnapped” that fea­tu­red the abduc­tion and tor­ture of my best friend, Jeanne, and me by a deran­ged hus­band-wife team. I was proud of my talis­ma­nic opus, even drew an ornate cover page for it. Now Jeanne and I would never be kid­nap­ped and tor­tu­red without our having fore­seen it ! I thus felt confu­sed and sad­de­ned when my mother took me out for lunch “to talk about it.” She told me she was dis­tur­bed by what I had writ­ten, and so was my sixth-grade tea­cher. In a flash it became clear that my sto­ry was not some­thing to be proud of, as either lite­ra­ture or pro­phy­lac­tic.

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trad.  Jean-Michel Théroux
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p. 174–175