L’année où mon père est mort, j’ai lu une histoire à l’école à propos d’un petit garçon qui construit des bateaux dans des fonds de bouteille. Le petit garçon vivait selon la maxime suivante : si tu arrives à imaginer le pire qui peut arriver, tu ne seras jamais surpris quand ça arrivera. Ne sachant pas que cette maxime était la définition exacte de l’angoisse telle que donnée par Freud (« “Angoisse” décrit un état particulier d’attente ou de préparation au danger, même s’il est inconnu »), je me suis engagée à la mettre en pratique. Déjà une « diariste » effrénée, je me suis mise à écrire des histoires horribles dans mes cahiers d’école. Ma première production était un court roman intitulé « Kidnappée », qui mettait en scène ma meilleure amie Jeanne et moi, enlevées et torturées par un couple, mari et femme, désaxé. J’étais fière de mon livre-talisman, je lui avais même dessiné une page couverture enjolivée. Maintenant, Jeanne et moi ne pouvions plus être kidnappées et torturées sans qu’on l’ait d’abord anticipé ! J’ai donc été déconcertée et attristée quand ma mère m’a emmenée luncher « pour se parler de quelque chose ». Elle m’a dit que ce que j’avais écrit l’inquiétait et inquiétait aussi mon prof de sixième année. D’un coup, il devenait clair qu’il n’y avait pas de quoi être fière de mon histoire, ni d’un point de vue littéraire ni comme prophylaxie.
The year my father died, I read a story in school about a little boy who builds ships in the bottoms of bottles. This little boy lived by the maxim that if you could imagine the worst thing that could ever happen, you would never be surprised when it did. Not knowing that this maxim was the very definition of anxiety, as given by Freud (“‘Anxiety’ describes a particular state of expecting the danger or preparing for it, even though it may be an unknown one”), I set to work cultivating it. Already an avid “journaler,” I started penning narratives of horrible things in my school notebook. My first installment was a novella titled “Kidnapped” that featured the abduction and torture of my best friend, Jeanne, and me by a deranged husband-wife team. I was proud of my talismanic opus, even drew an ornate cover page for it. Now Jeanne and I would never be kidnapped and tortured without our having foreseen it ! I thus felt confused and saddened when my mother took me out for lunch “to talk about it.” She told me she was disturbed by what I had written, and so was my sixth-grade teacher. In a flash it became clear that my story was not something to be proud of, as either literature or prophylactic.